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Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 3

Mars 1954. Depuis plus de trois mois, maintenant, les soldats du corps expéditionnaire français ont pris pied à Dien Bien Phu, une cuvette cernée de montagnes, située au nord-ouest du Vietnam, à quelques encablures du Laos, dont la route est ainsi barrée aux hommes de Vo Nguyen Giap, le commandant en chef des troupes du Vietminh.

Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 3Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 3
Écrit par Lepetitjournal Ho Chi Minh Ville
Publié le 13 mars 2024, mis à jour le 1 mai 2024

Avec le 70è anniversaire de Dien Bien Phu arrivant bientôt, Le Petit Journal dresse cette série de six épisodes intitulée "Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée". Retrouvez le premier et second épisode de cette série.

C’est de la défense du Laos qu’il s’agit, officiellement tout du moins. En bon militaire qu’il est, le général Navarre est allé, l’été précédent, exposer son plan à Paris pour recevoir le feu vert du gouvernement. Joseph Laniel (« ce pauvre Joseph » comme on l’appelle à Matignon), un grand-père normand bonasse à souhait qui ne sait dire ni oui ni non et qui est devenu président du conseil le 27 juin, s’est montré pour le moins évasif : certes il faut défendre le Laos, mais sans le défendre vraiment et tout en ayant l’air de le défendre quand même, a-t-il laissé entendre à Navarre, pour lequel l’absence d’objection claire vaut pour assentiment.

Henri Navarre

 

Henri Navarre sent en effet que son heure de gloire est arrivée. S’il s’est d’abord montré réticent à accepter le commandement du corps expéditionnaire français en Indochine, il entend bien désormais montrer et démontrer qu’il est un chef de guerre, un vrai. « Il faut bien que quelqu’un se dévoue », lui a dit le général Juin, son mentor, pour le convaincre qu’il était l’homme de la situation... Aussi se dévoue-t-il, et avec un zèle d’autant plus admirable que pour la France, il ne s’agit plus de gagner cette guerre, mais de limiter la casse de façon à arriver à la table des négociations sans avoir perdu trop de plumes.

Sauf que Navarre, lui, voit les choses d’un autre œil. Dien Bien Phu, c’est sa trouvaille (Salan y a bien pensé lui aussi, mais ne s’y est pas risqué…) : Giap ne résistera pas à un piège si savamment tendu, un piège qui fonctionne si bien sur une carte d’état-major qu’il ne peut que fonctionner à merveille sur le terrain.

Et de fait, Giap semble bel et bien avoir « mordu à l’hameçon » puisqu’il a, au prix d’un effort titanesque, encerclé la cuvette avec près de 50.000 hommes, contre 10.000 au fond du « pot de chambre » - ainsi les aviateurs appellent-t-ils Dien Bien Phu.

Et soudain la terre se met à trembler à Dien Bien Phu, où les hommes de Giap ouvrent le bal par une préparation d’artillerie d’une puissance de feu tout aussi dévastatrice qu’inattendue.

13 mars. Il est un peu plus de 17 heures…

Béatrice ...

C’est Béatrice, l’un des points d’appui les plus au nord du camp retranché, qui fait les frais de cette entrée en matière fulgurante. La position est tenue par le 3e bataillon de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère :  des durs, qui attendent l’adversaire de pied ferme, mais qu’un tel déluge de feu laisse pantois. Il faut dire que les obus de canons et de mortiers lourds s’abattent sur eux et que les abris, qui n’ont pas été conçus pour résister à du gros calibre, sont pulvérisés. Dès les premières minutes du combat, le chef de bataillon Pégot est tué, laissant ses hommes complètement désemparés.  

Les défenseurs de Béatrice ont pourtant fort à faire, car après l’artillerie, ce sont de véritables vagues d’assaut qui s’élancent sur la position, avec cette fameuse technique de la vague humaine, qui consiste à envoyer un maximum de soldats pour submerger l’ennemi par le nombre, et ce au mépris des pertes.

Le centre de résistance français tombe au Vietnam


Le centre de résistance tombe peu avant minuit, après plusieurs heures de combat au corps à corps. Et pour ajouter à la confusion dans les rangs français, le lieutenant-colonel Gaucher, le chef de corps de la 13e brigade, a été tué.

Stupeur et consternation

Dans son poste de commandement, le colonel de Castries est partagé entre la stupeur et la consternation. Son chef d’état-major, Hubert de Seguins Pazzis, sombre quant à lui dans la dépression nerveuse.  

C’est que. Contre toute attente, et en dépit des rodomontades dont la garnison a fait l’un de ses passe-temps favoris, force est d’admettre que le Vietminh a été capable d’amener et de camoufler tout autour du camp un nombre important de pièces d’artillerie de gros calibre, que la contre-batterie française, elle, va être dans l’incapacité de faire taire.

Pour le colonel Piroth, le coup est rude, très rude même... Après avoir passé le meilleur de son temps à claironner aux quatre vents qu’il allait réduire les canons adverses en deux temps trois mouvements, il comprend brusquement qu’il s’est trompé sur toute la ligne et que sa responsabilité dans le désastre est immense. Deux jours plus tard, le 15 mars donc, il se suicide dans son abri en dégoupillant une grenade sur son poitrail.

Gabrielle ...

Les hommes de Giap, eux, n’ont pas d’état d’âme. Dès le 14 mars, ils se lancent à l’assaut du point d’appui le plus au nord de tout le dispositif, qui répond au doux nom de Gabrielle. C’est le 5e bataillon du 7e régiment de tirailleurs algériens qui se retrouve ainsi sous le feu de la mitraille puis sous les coups de butoir des vagues humaines, par lesquelles Giap semble être en mesure de venir à bout de tout, en dépit de tout.

Et c’est effectivement ce qui va finir par se produire. Après une résistance acharnée, les tirailleurs algériens sont submergés et doivent abandonner le point d’appui le 15 au matin. Ni le 1er régiment de chasseurs à cheval, ni surtout le 5e bataillon de parachutistes vietnamiens, envoyé en renfort dans l’après-midi du 14, n’ont pu inverser le cours des choses, et le constat est aussi simple que cruel : en deux jours, les Français ont perdu autant de points d’appui, Béatrice et Gabrielle, donc.

Attaques de Béatrice et Gabrielle sur Dien Bien Phu

 

Mais il y a plus grave, encore : la piste d’aviation, qui est constamment pilonnée et qui va devenir rapidement inutilisable, de jour comme de nuit. Le dernier avion décollera de Dien Bien Phu le 27 mars.

Une accalmie

Le réveil est donc brutal, très brutal même, pour la garnison du camp, qui comprend, Castries le premier, qu’à moins d’un miracle.
Pour Giap, ces deux premiers jours de combat ont certes été victorieux, mais très coûteux en vies humaines. Aussi est-il contraint de marquer une première pause, pour réorganiser ses unités durement éprouvées, reconstituer ses stocks de munitions et faire creuser des tranchées, car il entend désormais grignoter le camp, et ses bo doï, équipés de pelles et de pioches, se commuent en une véritable armée de termites.

Cette accalmie est également la bienvenue du côté des Français, où il y a de nombreuses blessures à panser, au sens propre comme au sens figuré.

L’antenne chirurgicale, située au centre du dispositif, est submergée. Le commandant Grauwin, le médecin-chef, est débordé. Il doit opérer jour et nuit, dans des conditions épouvantables, parfois à la lueur des bougies. Très vite, il va devoir aussi effectuer un tri parmi les blessés qui arrivent, entre ceux que l’on peut encore raisonnablement essayer de sauver, et les autres.   

Mais Grauwin n’est pas tout à fait seul. Il peut notamment compter sur l’aide, le dévouement et l’abnégation d’une convoyeuse de l’air, dont l’avion, touché par un obus, n’a pas pu repartir à Hanoï avec son chargement de blessés. Cette convoyeuse devenue infirmière par la force des choses, c’est une certaine Geneviève de Galard, que ses blessés appellent affectueusement « mam’zelle », et dont le sourire est à ce point contagieux qu’elle restera, pour la postérité, « l’ange de Dien Bien Phu ». Un ange en enfer.

Geneviève de Galard

 

Pour autant, et contrairement à une légende sirupeuse véhiculée notamment par la presse anglo-saxonne, Geneviève de Galard n’est pas la seule femme, à Dien Bien Phu. Il y aussi les pensionnaires du BMC (Bordel Militaire de Campagne, eh oui !...), qui aussitôt la bataille commencée, se font aide-soignantes, et dont le dévouement n’a rien à envier à celui de « l’ange ».

Bigeard et Langlais, un duo de choc

Mais s’il y a effectivement des plaies à panser, il y a aussi une bataille à mener, et pour l’heure, les Français n’ont pas encore renoncé. Ils ont si peu renoncé, d’ailleurs, que dès le 16 mars, ils parachutent à Dien Bien Phu l’une de leurs unités de choc, le 6e bataillon de parachutistes coloniaux de Bigeard.

Marcel Bigeard, donc, dit « Bruno ». Déjà une légende, au sein de l’armée française. Un baroudeur né, qui ne fait toujours dans la dentelle, mais qui sent le terrain comme personne, et dont l’efficacité est redoutable. Ses « Bigeard boy’s » constituent, au sein du corps expéditionnaire, une sorte de petite coterie dont la devise pourrait bien être veni, vidi, vici.  

Colonels Langlais et Bigeard

 

Avec le lieutenant-colonel Langlais, Bigeard va rapidement devenir l’âme de la bataille, reléguant Castries au rang de simple figurant. Langlais, lui, est un fort en gueule, sec et longiligne, l’un des seuls à croire en la victoire (« Malgré vous, nous gagnerons cette bataille ! », lancera-t-il au commandement, à Hanoï). Tous les jours, il harangue ses hommes à la radio, en leur chantant « T’en fais pas, la Marie ».

Elle aurait pourtant de quoi s’en faire, la Marie, car l’affaire est mal engagée, c’est bien le moins qu’on puisse dire.

Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 4 : à lire ici.

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