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Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 4

16 mars 1954. A Dien Bien Phu, les troupes françaises sont sonnées, encore sous le choc des attaques qu’elles ont subies les trois derniers jours, et de la perte de deux points d’appui - Béatrice et Gabrielle - qui protégeaient la piste d’aviation au nord. Au-delà du revers encaissé, c’est la puissance de feu adverse qui en impose. Tout le monde, dans l’état-major français, était persuadé que le Vietminh ne possédait pas d’artillerie lourde, ou à tout le moins qu’il était trop loin de ses bases pour transporter des canons tout autour de la cuvette. Cruelle erreur, mais lorsque les écailles tombent enfin des yeux du colonel Piroth, l’artilleur en chef de la garnison, il est trop tard.

Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 4Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 4
Écrit par Lepetitjournal Ho Chi Minh Ville
Publié le 29 mars 2024, mis à jour le 1 mai 2024

Avec le 70è anniversaire de Dien Bien Phu arrivant bientôt, Le Petit Journal dresse cette série de six épisodes intitulée "Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée". Retrouvez le premier, second et troisième épisode de cette série.

Piroth, comme tous les autres, a gravement sous-estimé l’adversaire. Son suicide, deux jours après le déclenchement des hostilités, en dit long sur le désarroi qui a saisi le camp retranché.

Le colonel de Castries, qui en est le chef, semble lui-aussi en proie au doute et pour l’heure, il doit rabattre de sa superbe. « On nous tire dessus. Et puis après ? Je mets mon calot rouge pour qu’on me voit mieux », avait-il pourtant déclaré à Henri Amouroux, l’envoyé spécial de Sud-Ouest, quelques jours plus tôt. Comme quoi, le sort des armes peut vite changer un homme.

A Hanoï comme à Saïgon, c’est la stupeur et déjà, les parapluies d’ouvrent. Ils s’ouvrent d’autant plus et d’autant mieux qu’entre le général Cogny, commandant des troupes pour toute la partie nord, et le général Navarre, commandant pour toute l’Indochine, le torchon brûle ouvertement, le premier accusant le second d’avoir pris des risques inconsidérés à Dien Bien Phu.

Navarre, lui, sait bien que la situation est critique, mais il a cru bien faire en déclenchant simultanément une autre opération, l’opération Atlante, qui se déroule essentiellement dans la partie centrale du Vietnam, et dont la principale vertu sera de priver la garnison de Dien Bien Phu de la possibilité de se voir octroyer des renforts.

A Paris, le gouvernement de Joseph Laniel commence à s’émouvoir de la situation et à entrevoir les conséquences d’une possible défaite à Dien Bien Phu, mais il a - tout du moins le croit-il - encore une carte maîtresse à abattre : les Américains !  

Ce n’est pas tout à fait la première fois que l’Oncle Sam pointe le bout de son nez en Indochine. Cette guerre que mène la France s’inscrit en effet dans le contexte plus vaste de la guerre froide, et à ce titre, les Etats-Unis la soutiennent. Mieux encore, ils en assurent jusqu’à 80% des dépenses, estimant - le président Eisenhower le déclare d’ailleurs sans ambages - que c’est la manière la plus économique d’assurer la défense du « monde libre » dans cette partie du monde, jugée stratégique.

L’opération Vautour

Aussi les Américains proposent-ils aux Français, et ce dès le début de la bataille, un soutien aérien par des bombardiers lourds. L’offre va d’abord être rejetée par Navarre, qui, devant la tournure que prennent les évènements, finit par l’accepter.
C’est le général Ely, chef d’état-major interarmes, qui est dépêché à Washington pour plaider la cause du camp retranché. Il reçoit un accueil plutôt favorable de l’amiral Radford, son alter-ego américain. C’est ainsi que l’opération Vautour va commencer à s’esquisser dans les cerveaux et à agiter les chancelleries.

Il y aura même un début de réalisation avec des vols de reconnaissance effectués par des B29 au-dessus de Dien Bien Phu. L’idée, c’est de bombarder massivement les collines environnantes, dans l’espoir de détruire l’artillerie et surtout la DCA vietminh, et in finem de renverser la situation.

B29 au dessus de Dien Bien Phu

Mais les Américains, qui sortent tout juste de la guerre de Corée, redoutent qu’un tel bombardement n’entraîne une réaction de la Chine. Eisenhower a de toute façon besoin d’obtenir le feu vert du Congrès pour intervenir en Indochine, et le Congrès, justement, se montre réticent. Dès lors, le vautour que Radford a imprudemment posé sur les frêles épaules d’Ely semble bel et bien avoir du plomb dans les ailes.

Eisenhower choisira, pour finir, de s’en remettre à la décision des Britanniques, qui sont consultés pour la circonstance. La réponse de Winston Churchill, alors Premier ministre, est sans appel. « Ne comptez pas sur moi », s’écrie le vieux lion. « J’ai subi Singapour, Hong-Kong, Tobrouk. Les Français subiront Dien Bien Phu ».

Les thaïs se taillent

Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour l’heure, le camp retranché vient tout juste de perdre deux points d’appui, ce qui est déjà catastrophique. Il va très rapidement en perdre en troisième, en écrivant l’une des pages les moins glorieuses de son histoire.

Anne-Marie, puisque c’est de ce point d’appui-là qu’il s’agit, était tenu par un bataillon de Thaïs, lesquels vont s’évanouir dans la nature dès les 16 et 17 mars. Eh oui ! « Les Thaïs se taillent », lance-t-on, l’œil désabusé, autour des popotes. Pour les calembours comme pour les munitions, les hommes du camp retranché font avec les moyens du bord.

Cette désertion ne fait évidemment pas les affaires de Castries, mais elle montre surtout à quel point le corps expéditionnaire, qui est une véritable « auberge espagnole », a parfois bien du mal à trouver un sens à cette guerre. Il a d’autant plus de mal, d’ailleurs, qu’en France, l’opinion semble se désintéresser complètement du sort de l’Indochine. Et sur place au Vietnam, qui serait prêt à mourir pour sa majesté Bao Daï ?

Face à des Vietminh qui, eux, savent pourquoi ils se battent, ça fait une différence de taille.

Dans le cas de la garnison de Dien Bien Phu, force est d’admettre que si beaucoup de soldats se battent avec l’énergie du désespoir, d’autres se débandent, et pas seulement les Thaïs d’Anne-Marie. Beaucoup de ces fuyards vont trouver refuge sur les berges de la Nam Youn, où ils vont se terrer, ne sortant que la nuit pour se livrer à des rapines. Langlais les appellera « les rats de la Nam Youn ».

Pour le reste, Dien Bien aura Phu ses héros. On pense bien sûr au tandem de choc Bigeard-Langlais, mais aussi à Botella, Bréchignac, Tourret, Lalande, Allaire, Brunbrouck, Hervouët, Le Page et quelques autres, dont les noms claquent au-dessus du champ de bataille comme un gigantesque baroud d’honneur.  

Les cinq collines

Car c’est déjà de cela qu’il s’agit. Gagner la bataille ? A part l’inoxydable Langlais, personne n’y croit vraiment et lorsque le 30 mars, Giap lance sa seconde vague d’attaques, il ne rencontre de réelle résistance que de la part des légionnaires et des parachutistes, qui pour le coup se battent comme des lions.

Giap s’est fixé pour objectif l’ensemble des collines formant la défense est et nord-est du centre de résistance principal (les Dominique et les Eliane, essentiellement). Dès la nuit du 30 mars, tous les points d’appui tombent aux mains du Vietminh, à l’exception notable d’Eliane 2, que défend farouchement un bataillon de tirailleurs marocains.

bataille des cinq collines


La « bataille des cinq collines » - ainsi la nomme-t-on dans les livres l’Histoire - va dès lors consister en des contre-attaques parfois victorieuses (Dominique 2, Eliane 1), mais suivies d’un abandon des positions reprises, faute de renforts.
Sur Eliane 2, en revanche, ça tient, et Giap s’y cassera les dents jusqu’au 4 avril, date à laquelle il renonce finalement à prendre ce point d’appui, ce qui va provoquer du flottement et même un début de crise morale chez ses hommes.

Coûte que coûte, vaille que vaille

Côté français, on se persuade qu’il faut tenir, coûte que coûte, vaille que vaille. On n’espère encore décrocher une sorte de « match nul » qui pourrait permettre aux négociateurs de Genève d’arriver avec quelques cartes en main.
Encore faudrait-il que les tentatives d’appui aérien ne soient pas que de vaines tentatives, comme c’est trop souvent le cas. Les avions venant de Hanoï sont en effet gênés par l’écran nuageux qui recouvre la cuvette et qui est quasi-permanent en cette période de mousson. Ils doivent souvent parcourir plus de 600 kilomètres avant d’’arriver au-dessus du champ de bataille, mais ils sont alors à la limite de leurs réserves de carburant quand ils ne sont pas violemment pris à partie par la DCA vietminh, laquelle fait souvent mouche.

Idem pour les largages : ils se font au jugé, et bien souvent les parachutages arrivent directement chez les Vietminh.
C’est notamment ce qui va arriver aux étoiles de Castries, qui est fait général le 14 avril et qui n’en verra jamais la couleur, pas plus qu’il ne profitera des bouteilles de Cognac qui les accompagnent. Il sera obligé de célébrer sa promotion au vinogel, qui est une sorte de vinasse gélifiée (on la dilue dans de l’eau), absolument infâme et généreusement distribuée par l’intendance militaire. Infortune, quand tu nous tiens.

Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 5 : à lire ici.

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