Novembre 1953. Le corps expéditionnaire français vient d’investir la cuvette de Dien Bien Phu au cours de l’opération Castor : il s’agit, pour son chef, le général Navarre, de créer un point de fixation sur lequel les hommes de Giap, son alter-ego vietminh, iront – tout du moins l’espère-t-il – se casser les dents. Ce sera l’affrontement ultime, la bataille décisive, celle dont le vainqueur pourra se présenter en position de force à la table des négociations, au printemps, à Genève… Car enfin, il faut en finir. Cette guerre n’a que trop duré, pour la France, qui se cherche une sortie honorable et qui croit pouvoir la trouver, justement à Dien Bien Phu.
Avec le 70è anniversaire de Dien Bien Phu arrivant bientôt, Le Petit Journal dresse cette série de six épisodes intitulée "Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée". Retrouvez le premier épisode de cette série.
Henri Navarre est un homme pratique, qui déteste l’improvisation et qui croit aux stratégies dûment planifiées, réglées comme des chorégraphies.
Aussi décide-t-il de mettre les petits plats dans les grands et de créer un camp retranché qui fera école, à Saint-Cyr…
Une grande base aéroterrestre
Dien Bien Phu sera une grande base aéroterrestre. Soit. Sauf que lorsque la cuvette est recouverte de nuages bas et denses, comme c’est en général le cas en mars et en avril, il devient difficile, sinon impossible, de miser sur l’aviation, ce qui fait de la position une sorte d’îlot, isolé de tout.
C’est un « trou » cerné de montagnes, objecte-on à Navarre. Et si les Viets parvenaient à hisser des canons tout autour, s’inquiètent certains oiseaux de mauvais augure ? Impossible, rétorque le colonel Piroth, en charge de l’artillerie… D’abord, les Viets n’ont pas tant de canons que ça, et en outre, ils ne savent pas tirer !
Le commandement de Dien Bien Phu est confié à un colonel, Christian-Marie-Ferdinand de la Croix de Castries : un officier à panache, brillant cavalier aux très nombreuses citations, qui s’est illustré en 1944 et 1945 au cours des campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne. Célèbre pour son calot rouge, il l’est tout autant pour ses conquêtes féminines : la rumeur - tenace - veut que les prénoms féminins qu’il attribuera aux points d’appui du camp soient ceux de ses maîtresses !
Car le camp est conçu pour assurer la défense de piste d’aviation, véritable cordon ombilical qui le relie à Hanoï et qui ne doit surtout pas rompre ! Tout autour de la piste, se trouvent donc ces fameux points d’appui (sept, en tout) qui sont autant de collines.
- A l’ouest de la piste d’atterrissage, les « Huguette »
- A l’est de la Nam Youn, les « Dominique »
- Au sud de la piste, « Claudine », avec notamment le poste de commandement opérationnel.
- Au sud-ouest, sur les collines qui surplombent la Nam Youn, en dessous de « Dominique 2 », les « Eliane »
- Sinon, le centre principal de résistance est couvert au nord-est par les « Béatrice », au nord par « Gabrielle » et au nord-ouest par « Anne-Marie ».
Un point d’appui supplémentaire, « Isabelle » complète le dispositif, à 5 kilomètres au sud, le long de la Nam Youn.
Reste une question obsédante, pour l’Etat-major français : Giap va-t-il relever le gant ?
Des bicyclettes et des canons
Oui ! Tout comme les Français, les Vietminh veulent en finir avec cette guerre et ils croient dur comme fer que Dien Bien Phu, ce sera « la belle »… Mieux encore : ils entendent bien arriver à Genève (ils sont conviés eux aussi) avec le scalp de la garnison du camp retranché en guise de monnaie d’échange.
Giap ne va donc pas lésiner sur les moyens et va réaliser un véritable tour de force en faisant acheminer des canons et du matériel lourd par des pistes tracées dans la jungle montagneuse et invisibles pour les avions français.
C’est d’ailleurs là que commence la légende, la geste de Dien Bien Phu… C’est en effet avec des bicyclettes renforcées, pouvant porter des charges de 250 kilos, poussées à pied, qu’une très grande partie du ravitaillement est transportée vers la cuvette. Giap aura beau jeu, après, de dire à propos de ces bicyclettes que - je cite - « ce sont nos taxis de la Marne ».
L’honnêteté oblige à reconnaitre qu’en dépit de ce travail de fourmis, les camions Molotova, livrés d’urgence par le grand frère soviétique, se révèleront bien évidemment beaucoup plus efficaces.
Certaines de ces bicyclettes sont entrées dans la légende. Témoin celle du dénommé Ma Van Thang, qui est aujourd’hui une pièce de musée : 3.700 kilos de marchandises sur 2.100 kilomètres, au total.
L’armée française, elle, est au courant de ce qui est en train de se tramer, mais elle laisse faire : elle soutient mordicus, le colonel Piroth en tête, que l’artillerie vietminh sera immédiatement détruite par les tirs de contre-batterie du camp. Personne n’imagine, alors, que les canons ennemis vont être à moitié enterrés à flanc de montagne, et de ce fait, hors de portée…
Mais il est vrai que les militaires français n’ont que peu de considération pour leurs adversaires, et notamment pour ce Giap qui se dit général et qui n’est passé par aucune école de guerre : pensez donc !
« C’est du solide »…
Ils auraient pourtant de quoi s’inquiéter, car dès le mois de janvier 1954, Giap envoie régulièrement des patrouilles pour tester les défenses du camp. Les Français font de même, mais assez rapidement, il leur devient impossible de s’aventurer au-delà d’un certain périmètre.
Et de fait, ils sont totalement encerclés. Pire encore, le rapport de force est de l’ordre de cinq pour un en faveur du Vietminh qui réussira, à la veille de la bataille à rassembler 48.000 hommes tout autour du camp retranché, lequel n’en compte que 10.800.
Il y a bien quelques visiteurs qui posent des questions inquiètes… René Pleven, le ministre de la Défense, est de ceux-là, mais sur place, on l’assure que… « c’est du solide ». Et d’ailleurs, les unités présentes ne rêvent que d’en découdre et attendent les hommes de Giap d’un pied ferme… Les hommes sont tellement sûrs d’eux qu’ils ont négligé de bétonner leurs casemates : à quoi bon ?
Brigitte Friang, elle, est reporter de guerre. C’est une femme de tempérament, qui n’a pas froid aux yeux, et qui n’a pas hésité à sauter en parachute pour rejoindre le camp retranché. Elle aussi pose des questions inquiètes, notamment au colonel Piroth.
« Si j’étais votre papa, je vous collerais une fessée », lui répond ce dernier.
Du côté vietminh, l’heure n’est pas aux rodomontades. Giap est prêt. Il a déjà repoussé l’attaque une première fois, préférant « grignoter » le camp, plutôt que tenter un assaut général. Il sait aussi qu’à partir de la mi-mars, la météo sera avec lui.
Le piège s’est refermé sur les Français. L’attaque aura lieu le 13 mars, aux environ de 17 heures.
Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 3 : à lire ici.