Au cœur des collines calcaires de Ninh Binh, Bai Dinh se dresse comme une énigme millénaire. Sous la lumière diffuse du matin, la brume s’attarde sur les toits de cuivre, tandis que les statues silencieuses semblent veiller sur la vallée. On dit que ceux qui s’y aventurent n’en ressortent jamais tout à fait les mêmes..


Le chemin menant à la pagode Bai Dinh serpente entre les rizières. On avance au rythme des buffles, tandis que les montagnes, telles des murailles, percent l’horizon. Ce n’est qu’à l’approche des premiers portiques que l’on devine l’immensité du sanctuaire. La vieille pagode, elle, demeure cachée. Bai Dinh Cổ Tự, creusée à même la roche il y a près d’un millénaire, semble appartenir à un autre temps. On raconte qu’un moine, Nguyen Minh Khong, y guérit jadis un roi atteint d’un mal mystérieux. Une grotte comme refuge, des prières pour remède. La foi, brute et simple.

Et puis, il y a l’autre Bai Dinh. Celle des colosses de bronze et des tours défiant les cieux. Une vision presque irréelle. 539 hectares, des milliers de marches, une procession de statues aux visages graves. On marche sous les regards de ces ascètes de pierre, tous différents, comme les témoins muets d’un pèlerinage sans fin.
L’écho des pas et des voix
Lucien et Madeleine, un couple de retraités français, ralentis par l’immensité du site mais les yeux brillants. Ils voyagent à travers l’Asie depuis six mois, et Bai Dinh est leur dernière halte.
« On voulait comprendre ce que signifie la foi ici », confie Lucien, le dos perlé de sueur.
« On n’a pas ce genre de grandeur en Europe. Ici, tout respire la démesure. » Ils s’attardent devant la Tour Stupa, immense reliquaire où repose une parcelle de la dépouille du Bouddha. Autour d’eux, les pèlerins allument de longs bâtons d’encens, leurs prières montant en volutes vers le ciel. Madeleine les observe, le regard perdu.

« Ce qui me frappe, c’est ce silence. Il y a quelque chose de profondément apaisant ici.»
Plus loin, un jeune homme s’attarde devant l’une des innombrables statues d’Arhat. Thomas, 27 ans, a quitté Paris pour plusieurs mois de voyage en solitaire. Bai Dinh l’a intrigué, autant pour sa grandeur que pour ce qu’il espère y trouver. « Je pensais juste cocher une case sur ma liste », admet-il en haussant les épaules. « Mais en montant chaque marche, j’ai senti quelque chose. Comme si le poids du lieu s’accrochait à moi. » Il s’arrête, scrute les visages de pierre. Certains rient, d’autres pleurent. Tous semblent raconter une histoire que seuls les plus patients peuvent entendre.
« On parle souvent de spiritualité comme d’un concept abstrait. Mais ici, elle est presque physique. »
La pierre et l’âme

Le chemin continu, longeant les galeries où le bois sculpté s’anime sous les doigts des artisans du passé. Chaque poutre, chaque relief raconte un combat, une offrande, un éveil. À Bai Dinh, la pierre a une mémoire.
Il faut se perdre dans les ruelles silencieuses du temple. L’odeur du bois brûlé, le murmure de l’eau coulant entre les bassins, tout semble conspirer pour suspendre le temps. Et puis, surgit la cloche de bronze, haute comme trois hommes, dont la voix résonne dans la vallée. Il n’est pas difficile d’imaginer, mille ans plus tôt, les prières montant à la lueur des torches. On dit qu’ici, les ancêtres veillent encore. Peut-être est-ce pour cela que le lieu semble vivant.
La quête sans fin
Avant de quitter les lieux, Thomas s’attarde encore, assis à l’ombre d’un portique. Il fixe l’horizon, où les montagnes se fondent dans la brume. « On ne vient pas vraiment pour comprendre, n’est-ce pas ? » dit-il, presque pour lui-même. « On vient pour sentir. » Lucien et Madeleine, eux, s’apprêtent à redescendre. Ils échangent un dernier regard avec la pagode, comme on salue un vieil ami. « Ce n’est pas qu’un monument », murmure Madeleine. « C’est un passage. »

Et c’est peut-être cela, finalement, la véritable essence de Bai Dinh. Une marche où chaque pas résonne en nous, une ascension intérieure. On croit venir pour contempler la grandeur, mais c’est dans la poussière des marches et le poids du silence que l’on trouve ce que l’on cherchait. Il est l’heure de quitter la pagode alors que les dernières lueurs du jour caressent les toits vernissés. Bai Dinh ne retient personne. Mais ceux qui y passent en portent toujours un fragment en eux.
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