Si des rapatriements ont eu lieu depuis la fin de la guerre au gré de découvertes ou d’initiatives indépendantes, des milliers de corps de soldats français demeurent ensevelis dans le sol vietnamien. La France les rapatrie-t-elle ? Enquête inédite.
En 2022, Bertrand et Vincent Dieudonné pensent savoir où se trouve le corps de leur oncle, le Capitaine Jacques Dieudonné, mort pendant la guerre d’Indochine. Cela fait 30 ans qu’ils enquêtent sur le crash de l’avion B-26 le 28 avril 1951 à Cao Bang, piloté par leur aïeul avec trois passagers dont le Général Hartemann. Pendant toutes ces années, ils multiplient les expéditions sur place, se rendent aux archives au Service historique de Défense à Vincennes, rencontrent des vétérans, des anciens prisonniers français, mais aussi des villageois et des anciens combattants Viet-minh. « Nous ne lâchons rien depuis 1994. Les travaux effaceront un jour toute trace de nos aïeuls. Rapatrier nos soldats a du sens pour moi mais je pense que la démarche doit venir des familles. » explique Vincent Dieudonné que nous avons rencontré.
L’espoir était de trouver des crânes humains ou des objets. Mais non
L’exhumation de la présumée sépulture du Capitaine Dieudonné
Le 4 octobre 2023, les neveux Dieudonné, accompagnés de représentants de la France au Vietnam, se rendent près de Thái Nguyên au nord de Hanoi. Une boîte en métal est exhumée à un mètre de profondeur, avec les dépouilles présumées de l’équipage. En présence des autorités locales, des hommages vietnamiens puis français sont rendus avant d’ouvrir l’objet très abîmé et procéder à une constatation visuelle par un médecin français : « L’espoir était de trouver des crânes humains ou des objets. Mais non » confie Vincent Dieudonné. La boîte est scellée et envoyée à Paris mi-octobre pour l’identification des fragments d’os. « Notre ADN parlera ou non, mais notre enquête continue ! »
« Lorsqu’une situation de recherche se concrétise, nous l’accompagnons » explique Olivier Brochet, ambassadeur de France au Vietnam lors d’une interview avec lepetitjournal.com. Si la France a accompagné « administrativement et financièrement » ce rapatriement, la quête acharnée de cette famille est décorrélée de toute démarche d’ampleur des autorités françaises.
Nous ne sommes pas chez nous. Les signalements de villageois sont plutôt rares. Le contexte historique est dense
Des sépultures françaises souvent non référencées ou localisées
Pourquoi la France ne se lance-t-elle pas dans d’importantes fouilles ? La réponse, loin d’être évidente, mérite un contexte historique. Il est impossible d’estimer précisément les pertes humaines en Indochine, autour de 100.000 morts, côté français. Des milliers de sépultures françaises, réalisées sommairement lors de convois ou près de camps de prisonniers - après la bataille de Diên Biên Phu notamment - se mélangent à la nature vietnamienne. « Ceux que nous rapatrions sont ceux dont nous avons la quasi-certitude qu’ils sont Français » explique l’ambassade au Vietnam, souhaitant rappeler que « nous ne sommes pas chez nous. Les signalements de villageois sont plutôt rares. Le contexte historique est dense » précise l’ambassade, « La réalité de la guerre et ses conséquences, la souveraineté vietnamienne, les moyens financiers à disposition, les souhaits des familles…Autant de facteurs qui doivent être pris en compte ».
La France a l’obligation d’assurer une sépulture perpétuelle à ceux qui sont morts pour elle
Beaucoup de soldats français rapatriés depuis 1955
Après les Accords de Genève de 1954, des blessés et des corps sont rapatriés en France. Environ 12.000 dépouilles de soldats français sont rendues aux familles entre 1955 et 1975. En 1986, de longues négociations aboutissent à des lettres entre le secrétariat d'Etat aux Anciens combattants et l'Ambassade du Vietnam à Paris. L’échange est reconnu comme un accord international et statue sur le sort des corps français inhumés au Vietnam. Entre 1986 et 1987, environ 27.000 dépouilles sont rapatriées, auprès des familles ou à Fréjus, ville mémorielle d’Indochine. En 2005, une fosse commune est découverte à Diên Biên Phu : 13 corps sont rapatriés et honorés le 8 juin, date nationale d'hommage des combats en Indochine. En 2011, des travaux d’urbanisation déterrent 14 dépouilles de soldats français près de Ho Chi Minh Ville. En 2018, 21 corps militaires sont rapatriés à Fréjus.
Patricia Mirallès, secrétaire d’État chargée des anciens combattants et de la mémoire le précise d’ailleurs en mars 2023 dans l'Hémicycle de l’Assemblée nationale : « La France a l’obligation, inscrite dans la loi du 29 décembre 1915, d’assurer une sépulture perpétuelle à ceux qui sont morts pour elle (…) Dans le cas particulier du Vietnam, une doctrine s’est forgée (…) : les corps doivent être rapatriés dans la nécropole du mémorial d’Indochine de Fréjus. Nous devrons, d’abord, définir avec les autorités vietnamiennes les modalités d’information et de conservation des corps découverts. Ensuite, organiser le rapatriement, en mettant à jour l’accord franco-vietnamien de 1986 ».
Relancé en juin 2023, le secrétariat d'État auprès du ministre des armées précise que « Si de nouveaux corps non vietnamiens sont trouvés (sur le site de Dien Bien Phu NDLR), le ministère opérera comme il l'a fait lors des derniers rapatriements ». Des propos qui vont s’illustrer courant 2024 avec le rapatriement - après vérifications - de deux soldats présumés de l’union française enterrés dans des tombes récentes à Diên Biên Phu. En attendant de nouvelles découvertes…