Démissionner, vendre sa maison et prendre un vol sans retour pour Acapulco. Si beaucoup en rêvent, peu franchissent le Rubicon. Car vouloir changer de vie à l’étranger, c’est prendre des risques et accepter de repartir à zéro, ou pire, de revenir bredouille. Témoignages.
Un matin de février 2006, Frédéric prend la direction de la Pologne, quelques dizaines d’euros en poche. Autour de lui, des rivières gelées. Il roule sous la neige vers une nouvelle vie. « Je n’avais pas le choix. Un peu cassé, un peu tordu par la vie, partir à l’étranger était la seule solution pour continuer à exister » raconte-t-il. Epreuves personnelles, ennui ou mal-être professionnels, sentiment d’insécurité, impression de ne pas être à sa place, besoin de changement radical…A un moment de leur vie, nos interlocuteurs ont décidé de laisser libre cours à leurs rêves d’ailleurs.
« Je voulais retrouver ce qui me fait vibrer au plus profond de moi : la transmission, le partage et le dépassement de soi. J’avais besoin de nouveauté, de créer un projet en me nourrissant de l’énergie des pays traversés lors de mon voyage » raconte Sophie, qui a monté « Casa Cocotte », un centre social à Palomino en Colombie, après un périple de 15 mois en Amérique latine.
« Un état grisant que l’on a du mal à trouver aujourd’hui en France »
« Ici, j’ai l’impression que tout est possible. Même si je travaille énormément pour faire aboutir mon projet, je suis motivée et soutenue. Cela donne des ailes et l’envie, tous les jours, de continuer. Un état grisant que l’on a du mal à trouver aujourd’hui en France ». De sa démission d’un job dans la publicité à la création d’un centre de formation et une école de langue pour aider les habitants de Palomino à s’insérer dans le secteur touristique, Sophie en a parcouru, du chemin. Aujourd’hui, depuis son village « aux mille facettes, qui lui ressemble », elle semble être accomplie : un travail utile auquel elle aspirait depuis longtemps, « une effervescence permanente » et des « habitants accueillants et attachants ».
« Je gagne mensuellement le tiers de ce que je gagnais en France, mais ce n’est pas important. Je vis à mon rythme, les gens sont gentils. Je ne regrette rien » raconte Elodie, établie au Panama depuis quelques années. Pour elle, partir à l’étranger sans filet de sécurité a surtout été l’occasion de se connaître mieux et de changer de regard sur l’autre. « C’est moi l’immigrée, c’est à moi de m’intégrer et de m’adapter à cette nouvelle culture. Un grand défi, très enrichissant sur le plan personnel, d’autant plus dans une langue étrangère » confie-t-elle.
Frédéric qui est également parti de rien « a l’impression de pouvoir développer son rêve » à Cracovie, à la tête d’une entreprise bien portante, qui conçoit des habitats en bois haut de gamme.
« En France, je faisais des horaires de folie, tandis qu’ici, j’ai une deuxième vie après 16h », explique Magali, établie au Canada. Elle ne regrette pas d’avoir troqué son salaire et ses responsabilités comme directrice d’une maison de retraite pour un poste où elle « s’éclate », des week-ends au vert et une vie plus apaisée. Chez celle qui a trouvé un boulot en 15 jours après avoir débarqué à Ottawa ses « 10 valises et deux filles sous le bras », changer de vie semble être d’une facilité déconcertante. Pour autant, le pari, risqué, nécessite une détermination et une énergie sans faille.
Pas à pas, le long d’une route semée d’embûches
Climat difficile, précarité professionnelle et matérielle, séparation d’avec ses proches, lente intégration ; l’expérience n’a pas toujours des allures de conte de fées.
« Il faut savoir prendre des risques, accepter de redescendre bien plus bas. On n’arrive pas dans un pays en conquérant, ni en se disant que ça va être facile », expose Magali. « Si nous conservons nos réflexes français, les choses sont plus difficiles. J’ai encore du mal avec les codes du monde professionnel. Mes démarches pour proposer mes services ne fonctionnent pas systématiquement » abonde Elodie, travailleuse indépendante.
« La première difficulté a été de faire reconnaître le sérieux de mon entreprise. Il fallait non seulement montrer énormément de garanties mais surtout prendre des risques pour vendre », se souvient Frédéric, qui s’est trouvé, à plusieurs reprises, face à des entrepreneurs malhonnêtes. « Avec les Polonais, il y a toujours une période de défiance. Comprendre l’échelle de valeurs de l’autre est essentiel pour s’intégrer » poursuit-il.
Un aller simple ?
Si Frédéric se dit « français jusqu’au bout des ongles », ses séjours dans l’Hexagone s’accompagnent d’une envie d’en repartir vite. « Cela ne ressemble plus à ce que j’ai connu: moins de politesse, de respect. Et puis en France, quand vous proposez quelque chose d’intelligent et de porteur, il y aura toujours quelqu’un pour vous contredire, au lieu d’un « allons-y, bonne idée, on va l’améliorer ».
« J’ai eu beaucoup de mal à rentrer pour les vacances, j’ai trouvé que c’était étouffant, agressif », explique Magali, qui imagine de belles années devant elle et ses filles au Canada, puis « dans un pays avec une mentalité anglophone ».
Chez nos expatriés hors-norme, si tout n’est pas rose au quotidien, la vie est en tout cas plus verte que les prairies françaises. « L’étranger n’est pas forcément l’eldorado, personne ne nous attend. Mais il peut nous permettre de faire peau neuve, de nous métamorphoser, d’éclore », conclut Frédéric.