Le collectif pour la Reconnaissance des adoptions illicites en France (RAIF) demande qu’une commission d’enquête soit ouverte sur les pratiques d’adoption illégales qui ont eu lieu en France depuis 1970.
Sonia Molina* accouche au Chili en 1971. Elle a 14 ans. Dans l’incapacité de s’en occuper, son bébé est placé en pensionnat. « L’assistante sociale m’a demandé le certificat de naissance de mon enfant. Mais ce document était à Santiago, dans l’hôpital où j’avais accouché. Je n’avais pas d’argent pour aller le récupérer. Et puis je ne savais pas lire, je n’ai pas fait d’études, je ne savais pas quoi faire », se souvient-elle, des sanglots dans la voix. Un jour, sa fille disparait, adoptée par un couple de Suédois. Elle la retrouvera des années plus tard. Elle s’appelle Ema, à 49 ans et vit en Suède avec ses 4 enfants.
Depuis quelques dizaines d’années, des scandales d’adoptions illégales à l’étranger se sont multipliés. Constitué de personnes adoptées et de parents adoptifs, le collectif « pour la Reconnaissance des adoptions illicites en France » (RAIF), a lancé une pétition. Ils réclament qu’une commission d’enquête soit ouverte, en France, sur les adoptions illégales à l’international depuis 1970. Plus de 100.000 enfants ont été adoptés à l’étranger depuis cette date.
Des cas courants dans la seconde moitié du 20e siècle
« Les statistiques de l’adoption internationale sont encore très floues » explique Yves Denéchere, professeur spécialisé dans l’histoire des adoptions à l’université d’Angers (Témos, CNRS). Avant 1990, aucune loi ne réglementait les adoptions internationales, ce qui a laissé la part belle aux dérives. Ayant étudié des archives, la presse de l’époque et recueilli des témoignages, Yves Denéchère assure : « des années 60 à 90 il y a eu beaucoup d'adoptions internationales qui à un moment ou a un autre ont impliqué des faits délictueux, illégaux ou illicites. »
« C’est dans le cadre de ces recherches d’origine que les personnes adoptées se retrouvent confrontées à des versions aléatoires qui leur mettent le doute sur la vérité et le côté licite de leur adoption », explique Emmanuelle Hébert, membre du collectif RAIF, elle-même adoptée en Inde. De nombreux enfants adoptés, alors adultes se sont retrouvés devant des documents officiels falsifiés : dates de naissance erronées, noms modifiés, du correcteur sur certaines données… Le flou maintenu par les autorités sur les dossiers d’adoption ont entretenu ces pratiques. Si une loi autorise bien les personnes adoptées à récupérer leur dossier d’adoption, cela relève d’un « parcours du combattant », selon Emmanuelle Hébert à qui il a fallu 20 ans pour récupérer le sien.
Egalement membre du collectif RAIF, Âme Quetzalame est adopté du Guatemala. A 43 ans, il a témoigné de son histoire à l’AFP. Les informations dans son dossier d’adoption indiquait qu’il avait fait l’objet d’un abandon. Alors quarantenaire, il découvre qu’il a été adopté illégalement. Sa mère a passé 40 ans de sa vie à le chercher et est décédée 3 mois avant qu’Âme ne la retrouve.
Visionnez le témoignage de Jean-Noël Raoult et de sa mère, recueilli par Konbini News:
« Ces dernières années, incontestablement, il y a encore eu des cas »
Les années 1990 sont un tournant dans l’histoire des adoptions internationales avec la ratification de la Convention de la Haye. Elle établit le principe qu’un enfant doit être élevé lorsque c’est possible par ses parents génétiques. Lorsque l’adoption est nécessaire, celle-ci doit être faite au maximum dans le pays où vit l’enfant. Après cette date, le nombre d’enfants adoptés à l’étranger tombe considérablement et avec elle, le nombre de pratiques illicites. Aujourd’hui, seulement 400 à 500 enfants sont adoptés depuis l’étranger en France. Pourtant le phénomène n’a pas complètement disparu selon Yves Denéchère : « Pour un historien, on peut dire que dans les 20 dernières années, incontestablement il y a encore eu des cas »
Si les données manquent, certaines choses sont sures concernant les adoptions illégales. « Rayon de Soleil », « Babylift » ou « l’Arche de Zoé » sont des noms qui rappellent tous les scandales qui ont éclaté ces dernières années. « Pour l'instant on manque de données, d'études statistiques, historiques, sociologiques. Il faut faire le point » estime Yves Denéchère.
Les administrations de l'Etat connaissaient beaucoup de choses, c'est certain
Mettre en lumière les dérives
Le collectif RAIF souhaite suivre le modèle des Pays-Bas et de la Suisse. Ces deux pays ont récemment diligenté des enquêtes pour faire la lumière sur les pratiques d’adoption qui ont eu cours chez eux. Les résultats ont conduit la Suisse à reconnaitre les pratiques illicites et présenter ses regrets, tandis que les Pays-Bas ont immédiatement suspendu les procédures d’adoption à l’étranger. Les deux pays se sont engagés à accompagner les enfants adoptés dans la quête de leurs origines.
« Notre objectif n'est pas d'accuser qui que ce soit. Nous réclamons qu'on fasse la lumière sur les affaires que nous trouvons étranges. » affirme Emmanuelle Hébert. Ces enfants devenus adultes souhaitent montrer qu’ils ne sont pas des cas isolés et que ces pratiques ont été nombreuses. Emmanuelle Hébert reçoit régulièrement de nouveaux témoignages de personnes adoptées ayant découvert qu’ils sont issus d’une démarche illégale : « Je pense que la parole se libère parce qu'il fallait qu'il y ait des personnes qui ouvrent la brèche. ».
Avec plus de 15000 signatures sur leur pétition, le collectif espère bien qu’une réponse viendra de la part de l’Etat français. Ils ont pour l’instant reçu une réponse par voie de presse d’Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l’enfance, qui s’est dit prêt à les recevoir.
« Les administrations de l'Etat connaissaient beaucoup de choses, c'est certain. Elles ont souvent agi pour les empêcher, pour les réguler mais il n'y a pas eu sans doute de politique globale suffisamment forte pour empêcher tous ces actes illicites et illégaux. Il faut savoir qui a fait quoi, quand et comment. », estime Yves Denéchère, qui soutient publiquement la pétition lancée par le collectif.
*Ce témoignage a été recueilli par notre correspondante à Santiago.