L’IA fait partie de notre quotidien, il suffit de posséder un téléphone portable pour y avoir accès. A Singapour, des cours intégrant l’intelligence artificielle sont enseignés dès l’école maternelle et primaire. Comment peut-on enseigner intelligemment l’IA aux plus jeunes ? Lepetitjournal.com enquête.


Et si votre enfant de 4 ans apprenait à générer des images par la voix ou à créer des robots ? C’est ce qui est enseigné à Singapour dans l’école ChildFirst. Au sein de l’établissement, plusieurs activités liées à l’Intelligence Artificielle sont proposées par les enseignants à des enfants à l’école maternelle et primaire. Leurs objectifs est de préparer les enfants à l’avenir et leur réussite à l’ère de l’IA. Les enfants apprennent à utiliser l’IA et les nouvelles technologies de manière responsable et judicieuse. La pratique n’est pas encore universelle mais elle pourrait bien être monnaie courante dans les établissements scolaires autour du monde. Perçue de prime abord comme une machine dangereuse, pourrait-elle nous être utile ?
L’IA déjà très présente dans le quotidien
L’IA est déjà omniprésente dans notre quotidien, difficile de l’éviter. Selon Forbes, 66% des individus dans le monde ont accès à des technologies d’intelligence artificielle. 378 millions de personnes dans le monde ont utilisé l’IA dans l’année 2025, jusqu'au mois de juin. Le défi de l’IA est similaire à celui d’internet à l’aube des années 2000 ou celui des réseaux sociaux des années 2010. « Comme chaque révolution technologique, elle nous obligera surtout à revoir nos méthodes de travail.» nous confie Yacine Mekideche, expert en intelligence artificielle et data.

Sept adolescents sur dix affirment utiliser les IA génératives, selon l’étude « The Dawn of the AI Era: Teens, Parents, and the Adoption of Generative AI at Home and School" de 2024, de Common Sense Media. Interrogeant près de 1.054 adultes et adolescents de 13 à 18 ans, 53% d’entre eux affirment utiliser l’IA pour faire leurs devoirs, le cas le plus élevé d’usage d’'IA génératives. Pour beaucoup, l’intelligence artificielle est un outil précieux qu’il serait dommageable d’éviter. « Lorsqu’une possibilité technologique apparaît, tout le monde se précipite dessus, c'est normal, c'est fascinant et magique », soutient Serge Tisseron, psychiatre, docteur en psychologie et créateur des repères 3,6,9,12.
« L'usage excessif de l'IA abrutit, mais son apprentissage encadré éveille »
L’éducation face à l’IA, où est le curseur ?
Au-delà du quotidien, la formation et l’éducation face à l’IA sont les clés pour se protéger et limiter son danger. Pour beaucoup, plutôt que de retarder son utilisation à l’école, les enfants pourraient apprendre à comprendre l’IA. Mais à partir de quel âge initier à cette nouvelle technologie ?
Selon Yacine Mekideche, l’utilisation de l’IA doit être encadrée et réalisée de manière intelligente. « Lorsque j'étais en primaire, on nous apprenait à naviguer sur Internet et à vérifier la fiabilité d'un site. Aujourd'hui, c'est l'IA qu'il faut apprendre à comprendre. Il ne s'agit pas d'enseigner la programmation à l'école primaire, mais d'initier les enfants à la pensée algorithmique et à la logique des modèles.»
Pour Serge Tisseron, l’IA permettrait de développer des compétences de manière accélérée et plus concrète. « C'est une belle école d'apprentissage de la précision. Il y a des mots qui désignent très précisément ce qu'on veut faire comprendre à l'IA.» Les prompts écrits à l’intention de l’Intelligence artificielle doivent être le plus précis possible, afin de limiter la marge d’erreur de l’IA. Cette précision peut également être utile dans d’autres domaines dans la scolarité des élèves ou pour son développement personnel.
En France, le site officiel du Ministère de l’éducation nationale parle de l’omniprésence de l'Intelligence artificielle au sein des établissements scolaires. Le Ministère est conscient que l’IA est utilisée à la fois par les élèves pour faire leurs devoirs, par certains enseignants pour préparer leurs cours et par le personnel administratif. « Si l’IA constitue un enjeu et un apport potentiel pour l’éducation, elle doit néanmoins être utilisée dans le respect d’un cadre éthique et juridique, de manière consciente et raisonnée.» Pour l’éducation nationale française, l’école détient un rôle essentiel à jouer au sujet de l’Intelligence artificielle, « pour que les élèves puissent la comprendre et la maîtriser en tant qu’utilisateurs et futurs citoyens.»
AI Summit Barcelona : l’intelligence artificielle électrise la capitale catalane
Pour Yacine Mekideche, l’IA est un outil qui peut apporter beaucoup aux jeunes en construction. « Une exposition structurée à l'IA développe la logique, la rigueur et la curiosité scientifique : des compétences clés, quelle que soit la carrière future. L'usage excessif de l'IA abrutit, mais son apprentissage encadré éveille. C'est toute la différence.»
« Pour rester lucides, les jeunes doivent être formés aux deux : créer avec l'IA, mais aussi détecter, analyser et douter, poursuit l’expert. C'est ainsi qu'ils développeront une véritable culture de vigilance numérique. Former à l'IA, c'est autant apprendre à s'en servir qu'à s'en protéger.»

Que décide l’enseignement français face à l’IA ?
Pour la rentrée 2025 en France, les élèves d’école élémentaire sont sensibilisés à l’Intelligence artificielle sans en manipuler. Dès la classe de 4ème, l’utilisation des IA génératives expliquées, limitées et encadrées par un enseignant est autorisée.
Durant leur scolarité, les élèves en 4ème, en 2nd générale, technologique et professionnelle, ainsi qu’en CAP reçoivent une formation obligatoire sur l’IA via l’outil Pix. Cette plateforme publique en ligne permet de développer, évaluer et valider des compétences numériques. Au lycée les élèves peuvent utiliser l’IA de manière autonome mais dans un cadre de formation, guidé par l'enseignant.
« Le danger le plus subtil reste la perte d'autonomie intellectuelle »
Les enseignants sont autorisés à sensibiliser leurs élèves, accompagnés des directeurs d'établissements, aux enjeux éthiques et environnementaux de l’IA, à travers des cours d’éducation civique ou d’éducation aux médias et à l’information. La pédagogie autour de l’IA avant la 4ème peut être réalisée afin de développer l’esprit critique des élèves sur les enjeux et l’utilisation de cette machine mais sans manipulation de leur part.
Ailleurs dans le monde, l’agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) intègre l’intelligence artificielle au sein de leur réseau par plusieurs fondements dont l’aide à la décision, « L’IA est un outil au service de l’humain, nous explique Claudia Scherer-Effosse, directrice générale de l’AEFE. Elle doit compléter et non se substituer à l’intelligence et à la capacité de jugement des enseignants et des élèves.»
L’AEFE annonce un événement phare et symbolique lancé à la rentrée 2025 : « L’année de l’IA », qui s’articule autour d’un calendrier d’actions : un temps d’ouverture et de sensibilisation, un accompagnement des expérimentations en classe, des retours d’expérience et temps forts et une offre de formation dédiée pour toutes les catégories de personnels. Une cinquantaine d’actions sont prévues.
Les risques et inquiétudes de l'IA pour les jeunes
Employées dans le cadre scolaire, ces intelligences artificielles peuvent remplacer les facultés de chercher des informations, ou d‘élaborer un raisonnement. « Avant, apprendre signifiait chercher, douter, comparer ; un effort cognitif qui stimule la mémoire et le système de récompense du cerveau », évoque Yacine Mekideche. Avec l’Intelligence Artificielle, « Nous sautons souvent cette phase pour aller directement à la réponse. Mal utilisée, elle peut malheureusement abrutir plus qu'elle n'éduque. [...] Le danger le plus subtil reste la perte d'autonomie intellectuelle : si l'IA fait tout, l'élève cesse d'apprendre à réfléchir. C'est pourquoi les enseignants doivent rester au centre, pour replacer la pédagogie avant la technologie. L'IA doit être un outil d'émancipation, pas de formatage.»
Pour Serge Tisseron, l’éducation des jeunes est primordial pour comprendre que, quoi que dise l’IA, elle n'est définitivement pas humaine. « Le problème, c’est le modèle économique de l’IA, sa programmation. Il est facile de penser qu'elle s'adresse à nous comme une vraie personne, qui se préoccupe de nous. Le modèle économique de l’IA, qui lui a donné la forme qu'elle a aujourd'hui, est une forme très toxique. En revanche, ses possibilités ne sont pas toxiques en elles-mêmes. C'est l'emballage qui l’est.»

La personnification de l’IA pourrait donc être le danger majeur de cette machine. En parlant à la première personne du singulier « je », celle-ci peut perturber à long terme la perception de cette intelligence et la méfiance que nous pourrions avoir à son égard. « Tout le monde est menacé par les IA actuelles, de croire qu'elles auraient véritablement des émotions à notre égard. L’IA ne reconnaît jamais qu'elle se trompe ni n’admet qu'elle ne sait pas. L'IA est toujours très flatteuse. Elle relance toujours la conversation, “est-ce que tu veux que je fasse ceci ? Est-ce que tu veux que je fasse cela ?” ».
Outre l’utilisation de l’IA dans le cadre scolaire, certains jeunes développent des relations privées avec l’intelligence artificielle. Dans certains cas des drames surviennent lorsque certains s'attachent à cette intelligence non humaine et mettent leur vie en danger. « Le jeune doit apprendre à dialoguer avec l'IA sans s'y attacher, poursuit Yacine Mekideche. L'enjeu n'est pas seulement technologique, il est profondément humain.»
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