Édition internationale

Confidences, assistance ou sexualité… de quoi parle-t-on vraiment avec l’IA ?

En 2024, 314 millions d’individus ont échangé quotidiennement avec l’intelligence artificielle. Entre demandes créatives, confessions intimes et appels à l’aide camouflés sous des « s’il te plaît », que révèlent nos conversations avec les chatbots ?

Crédit : Zaapi.Crédit : Zaapi.
Crédit : Zaapi.
Écrit par Sherilyn Soekatma
Publié le 6 mai 2025, mis à jour le 7 mai 2025

Les intelligences artificielles (IA) s’immiscent chaque jour un peu plus dans nos vies en transformant notre travail, nos interactions et notre façon de penser. En seulement quelques années, l’IA est devenue un confident invisible, un collègue de travail, et parfois même un substitut à nos relations humaines. Et la dynamique n’est pas prête de ralentir. D’après Statista, le nombre d'utilisateurs de l'IA grand public devrait doubler en quelques années et passer de 378 à 729 millions d’utilisateurs d’ici 2030.

 

Les usages de l'intelligence artificielle générative (IAG) en 2025. Crédit : Marc Zao-Sanders.
Les usages de l'intelligence artificielle générative (IAG) en 2025. Crédit : Marc Zao-Sanders.

 

Prédictions pour 2025 : ce qui était prévu et n’est pas (encore) arrivé dans le monde 

 

L’IA pour produire plus vite

« Il y a dix ans, quand on était aux balbutiements de l’intelligence artificielle, je m’amusais à la piéger. Je cherchais à voir à quel point elle pouvait s’approcher de la réalité, et au vu des dernières mises à jour, ça commence à faire peur », confie Yann, agent administratif, dans une discussion sur Reddit, le 28 avril 2025.

Ce que Yann pressent, les chiffres le confirment : l’intelligence artificielle est devenue un outil de production à part entière, utilisé pour écrire, coder et créer. D’après l’analyse des conversations menée par The Washington Post, 7% des échanges avec des chatbots visent à écrire, comprendre et corriger du code. Environ 5% concernent l’aide aux devoirs, et 15% portent sur des tâches professionnelles telles que la rédaction de présentations, l’automatisation de tâches ou encore la rédaction d’e-mails.

Rester efficace, produire plus vite ou simplement déléguer l’ennuyeux. Si les chatbots séduisent, c’est aussi parce qu’ils promettent un gain de temps. Reste à savoir ce que nous avons réellement à gagner en laissant l’IA penser à notre place.

 

“Je suis un programme informatique, je n'ai pas conscience de moi-même”

 

« ChatGPT est le seul psy que j'utilise »

 

Quand l’IA joue au psy

Entre lire Freud et consulter ChatGPT, la nouvelle génération choisit souvent l’écoute numérique. Gratuites, sans rendez-vous et disponibles de jour comme de nuit, les IA « psychologues » telles que Psychologist.Ai bousculent de plus en plus le milieu de la santé. 

 

Selon l’étude menée par l’Allen Institute for Artificial Intelligence, environ 5% des conversations avec des chatbots portent sur des questions personnelles. Certains utilisateurs y livrent notamment des informations sensibles, oubliant que les données sont souvent sauvegardées et utilisées pour entraîner les modèles.

 

D’ailleurs, sur le site Reddit les avis des utilisateurs sont élogieux à propos des IA thérapeutes : « Je suis terrifié par les psychologues », « ChatGPT est le seul psy que j'utilise »« Je trouve que l’IA est incroyablement plus efficace, ne serait-ce que par ses réponses — là où un psy se contente d’écouter au même niveau qu’une chaise ».

Sans contrainte, ni regard extérieur, beaucoup trouvent dans l’IA un espace de parole inédit : « J’utilise ChatGpt entre mes séances avec une vraie psychologue, tous les 15 jours. Parfois je lui dis des choses que je n’ai pas encore le courage d’aborder en séance par honte ou par peur d’être jugé », peut-on lire sur le site web communautaire.

Mais si les machines savent aligner les mots, elles n’en portent ni le poids, ni l’émotion, et c’est peut-être là que se joue toute l’ambiguïté : « l’IA est une machine à mots, pas un psy. Tu peux lui raconter ta vie, elle va cracher des réponses logiques, mais zéro émotion ».

 

L'IA ou la machine au service de l'humain... mais ne serait-ce pas plutôt l'inverse ?

 

En 2025, environ un demi-milliard de personnes utilisent l’intelligence artificielle générative (IAG) dans le monde, selon les données du Groupe de la Banque Mondiale. Parmi les principaux utilisateurs : l’Inde, le Brésil, les Philippines, l’Indonésie ou encore le Canada.

 

 L’IA générative a conquis la planète : à la fin du mois de mars 2024, ChatGPT recensait des utilisateurs dans 209 économies sur 218. Source des données : Semrush et calculs des auteurs.
L’IA générative a conquis la planète : à la fin du mois de mars 2024, ChatGPT recensait des utilisateurs dans 209 économies sur 218. Source des données : Semrush et calculs des auteurs.

 

Ce que nos conversations avec l’IA disent de nous

Dire « bonjour », « merci » et « s’il vous plaît » est une habitude pour la majorité des utilisateurs. Une étude publiée sur arXiv révèle que 70% des utilisateurs interrogés adoptent un comportement poli lorsqu’elles s’adressent à l’IA. Un réflexe qui en dit long sur notre tendance à anthropomorphiser les chatbots, même lorsqu’on sait qu’ils ne ressentent rien. 

Les dialogues avec l’IA vont parfois plus loin. Plus de 7% des échanges portent sur des sujets sensibles et parfois intimes, y compris des demandes liées à des jeux de rôle sexuels ou des images explicites, selon l’étude du Washington Post. Certains utilisateurs vont même jusqu’à essayer de contourner les limitations et filtres moraux de l’IA, en expérimentant des « jailbreaks » pour tromper les systèmes.

« Je fais du roleplay la majorité du temps. J’utilise Character.AI et SpicyChat, non pas pour le contenu sexuel mais parce qu’ils ne censurent pas les scènes violentes ou sanglantes », confie un utilisateur sur le site Reddit.

 

Des conversations, crues, sensibles et décalées qui ne disent peut-être rien de ce que sont vraiment les machines, mais tout de ce que devient le monde qui les fabrique…