L’AEFE est au cœur d’une crise financière importante. Frédéric Petit, député des Français de l’étranger et rapporteur pour avis du budget de la diplomatie culturelle, pointe depuis plusieurs années l’impasse budgétaire inéluctable dans laquelle l’Agence s’est engagée, impasse paradoxale par rapport au dynamisme et à la gestion solide d’une majorité d’établissements. Il s’est exprimé sur les problèmes de l’opérateur et propose plusieurs mesures pour améliorer sa gouvernance.


À travers une lettre adressée à Claudia Scherer-Effosse, la directrice générale de l’Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), Frédéric Petit exprime son inquiétude face à la crise financière que traverse l’Agence. Il déplore « le manque de transparence » de sa direction concernant les mesures d’urgence envisagées, notamment les 35 millions d’euros de « ressources supplémentaires » dont une part importante reposerait en réalité sur les établissements conventionnés et potentiellement sur les familles. Le député plaide pour une réforme profonde séparant clairement les fonctions de gestion des EGD (établissements en gestion directe) et celles d’animation du réseau mondial.
Vous avez adressé un courrier à Mme Scherer-Effosse, Directrice générale de l’AEFE, pourquoi ?
Mon rôle en tant que parlementaire est de contrôler l’action du gouvernement et de son administration. Concernant la situation de l’AEFE, la commission des Affaires étrangères s'est saisie du sujet dès mars 2025. Dans le cadre de la préparation budgétaire anticipée, j’ai auditionné la Directrice générale, Mme Scherer-Effosse. Je l’ai interrogé sur la réforme de fond de l’Agence, son calendrier, et bien sûr, sur son sauvetage immédiat. La « contrainte budgétaire » invoquée par sa directrice ne m’a pas convaincu. En tant que rapporteur pour avis du budget de la diplomatie culturelle, je m’intéresse depuis 2017 à la situation de l’AEFE. En 2017, l'Agence a reçu une subvention d’un peu plus de 350 millions d’euros. En 2024, celle-ci s’élevait à environ 450 millions d’euros. Ce n’est donc pas de ce côté-là qu’il faut chercher l’explication. Aujourd’hui, l’AEFE me semble sur une pente dangereuse. Or, il ne sert à rien de remettre de l'essence dans un véhicule défectueux tant que la réparation n’est pas faite.
« Gérer directement des lycées et développer l’enseignement français aux quatre coins du monde, ce sont deux métiers très différents »
Quelles seraient, selon vous, les actions prioritaires ?
De manière générale, pour rendre plus cohérente notre action extérieure, la première mesure à prendre serait d’aligner et synchroniser l’ensemble des Contrats d’Objectifs et de Moyens (COM) signés avec les différents opérateurs de l’État, tels que l’AEFE. Par ailleurs, je préconise que la nomination de toutes les directrices ou directeurs de ces opérateurs soit validée par le Parlement. Cela leur donnerait davantage de légitimité pour mener à bien une politique publique qui ne peut plus se contenter d’être pilotée en administration centrale mais doit s’adapter au terrain auquel elle est confrontée.
Concernant l’AEFE plus précisément, je pense qu’elle pourrait être déchargée de certaines tâches qu'elle réalise actuellement. Je pense en particulier au développement des FLAM (français langue maternelle) qui devrait être géré par la Fédération des FLAM, pour un coût moindre. Autre point, les bourses scolaires. Elles ne devraient plus être gérées à l'AEFE. C'est un budget qui concerne la direction des Français à l'étranger (DFAE) ; celle-ci pourrait très bien s’en charger.

Quelle précision ou point souhaiteriez vous mettre en avant ?
Je voudrais revenir sur deux rumeurs, complètement infondées, qui circulent sur l’AEFE, à l’heure actuelle. La première, c’est que l'AEFE aurait des problèmes financiers à cause des réductions budgétaires. C'est faux. La subvention à l’Agence n’a cessé d’augmenter en moyenne ces dernières années.
La seconde rumeur consiste à dire qu’il n'y a plus d'argent pour gérer nos lycées à l’étranger, à cause de l'objectif CAP 2030, 700.000 élèves en plus dans le réseau, initié par le Président de la République. C'est complètement faux. Le réseau s’est toujours développé ces dernières années grâce à des lycées homologués et contrôlés par l’État, qui ne sont pas gérés directement par l'Agence, mais par des associations locales, des parents d'élèves ou des autorités locales. Les ressources supplémentaires pour l’Agence, du fait de la participation financière de ces nouveaux établissements, ont d’ailleurs nettement augmenté depuis plusieurs années. Je dispose de tous les chiffres. Ils sont d’ailleurs publics.
Frédéric Petit propose 11 mesures pour une influence française renforcée :
1. Alignement et synchronisation de l’ensemble des Contrats d’Objectifs et de Moyens (COM) pluriannuels des principaux opérateurs de l’Etat engagés à l’étranger (AEFE, Institut Français, AFD, Expertise France, France Education Internationale, France Media Monde, Campus France…), via la prolongation des contrats d’objectifs en cours jusqu’au 31 décembre 2027, pour tous les faire débuter en 2028, et élaboration d’un cadre commun de performance.
2. Validation par le parlement de la nomination du directeur ou de la directrice de l’AEFE.
3. Mise en place d’un commissaire exécutif aux mobilités d’influence, nommé en interministériel (Premier ministre, ministère de l’Europe et des affaires étrangères et ministère de l’Intérieur), pouvant statuer sur la délivrance des visas étudiants, rapidement et en dernier recours.
4. Coopération entre France Éducation International et l’AEFE pour le développement du réseau de l’enseignement français à l’étranger, via une convention.
5. Convention, délégation de mission et mise à disposition de personnels à la Fédération Internationale des associations FLAM et à la Fédération Internationale des Professeurs de Français, pour démultiplier et coordonner le développement avec ceux qui sont engagés sur le terrain (transfert partiel d’ETP de l’AEFE).
6. Coopération entre la Direction des Français à l’Etranger (DFAE) et le CNED pour permettre un accès facilité à l’enseignement français à distance.
7. Redéploiement de 20 ETP du siège de l’AEFE auprès des postes diplomatiques, pour renforcer et déployer les plans pays « écoles éducation » qui deviennent le canevas de développement du réseau de l’enseignement français à l’étranger.
8. Renforcement et soutien à la mixité sociale et l’inclusivité du réseau par une remise à plat et une diversification des aides à la scolarité.
9. Transfert de la commission centralisée des bourses scolaires pour les Français de l’étranger à la DFAE. Cette fonction pèse aujourd’hui sur L’AEFE, alors que c’est un travail des consulats sur le terrain (transfert partiel d’ETP de l’AEFE).
10. Séparation comptable rigoureuse au sein de l’AEFE entre la mission de gestion des établissements « dont l’AEFE reçoit les écolages » d’une part, le développement et l’animation du réseau, d’autre part. Subvention pour charges de service public séparée en deux lignes budgétaires distinctes.
11. Campagne de conventionnement entre l’AEFE et TOUS les gestionnaires d’établissements homologués (conventions actuelles renégociées au cas par cas).
Est-ce qu'il y a des mesures qui permettraient de ne pas léser les familles ?
Aujourd’hui, il y a des parents dans la soixantaine d’établissements historiquement gérés par l’Agence (EGD), qui se posent légitimement la question : « Pourquoi ai-je l’impression que le chèque que je fais à mon lycée à Madrid, sert au lycée d'Ottawa ou au Bangladesh ? ». Une clarification est nécessaire. Dans le réseau, il y a deux catégories de familles : celles des établissements en gestion directe et celles des établissements qui ne sont pas gérés par l’AEFE, soit 80 % des lycées. Ces derniers sont en général très bien gérés et en équilibre. Ils sont situés partout dans le monde, parfois dans une même ville, comme à Londres, par exemple, où le lycée Churchill est géré localement tandis que le lycée Charles de Gaulle est géré par l’Agence.
Concurrence, rentrée, stratégie e-nov…Claudia Scherer-Effosse évoque les défis AEFE
Selon vous, quel serait le modèle idéal à adopter pour l’AEFE afin de combler cette crise ?
Gérer directement des lycées et développer l’enseignement français aux quatre coins du monde, ce sont deux métiers très différents ; de même que gérer de l’immobilier, des contrats d’enseignants ou de non-enseignants, encaisser des écolages, d’un côté, rencontrer des gestionnaires potentiels, des autorités locales, des associations, mobiliser ou discuter avec des parents et des francophiles, de l’autre. Depuis 10 ans, l’AEFE utilise sa subvention de service public sans différencier d’une part, ce qui est utilisé pour la gestion des EGD et donc au profit direct d’environ 70,000 élèves, et, d’autre part, ce qui est utilisé pour le développement et l’animation du réseau, c’est-à-dire 460,000 élèves et 560 lycées.
Or, ce modèle n’est plus adapté à la réalité des missions confiées à l’Agence. Il n'y a aucune raison pour que l'AEFE ne soit pas à l’équilibre. Nous parlons d’un demi-milliard d'euros d'argent public, ce n’est pas rien.
Pour conclure, peut-on vous demander si vous avez eu un quelconque retour ou réponse à votre courrier ?
Non.
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