Si l’Ambassadeur ne distribue pas vraiment de Ferrero Rocher lors de ses réceptions, les dîners et autres cocktails organisés par les dignitaires français présents à l’étranger font bien partie de notre arsenal diplomatique. Le pouvoir de la fourchette tricolore n’est pourtant pas assez pris en compte dans le soft power français.
La France est bien la nation de la gastronomie et de la diplomatie. Et si, les deux ne formaient finalement qu’une seule et même entité : la gastrodiplomatie ? Ce terme utilisé par le chercheur Paul Rockower désigne les « formes particulières de diplomatie publique qui mêlent diplomatie culturelle, diplomatie culinaire et construction d’une image de marque nationale pour rendre palpable au goût et au toucher une culture étrangère. » La France pourrait être un bon exemple en la matière. Depuis des siècles, l’Hexagone manie les arts de la table comme ceux de la guerre. Ses mets les plus délicats deviennent alors ses meilleurs outils de séduction et de négociation.
Parallèlement à leur importance économique incontestable, alimentation, cuisine et gastronomie sont aussi de puissants outils de communication, d’attractivité et d’influence
Pierre Raffard, chercheur en géopolitique
Pour le Club France Initiative, Pierre Raffard, auteur d’une Géopolitique de l’alimentation et de la gastronomie (éditions du Cavalier Bleu), a publié une note regroupant ses réflexions et ses suggestions sur le sujet de la gastrodiplomatie. Selon lui, la France part avec un avantage certain sur les autres nations : « la France demeure la première puissance agricole européenne tandis que, dans le sillon d’entreprises globales comme Danone, Lactalis ou Bel, le secteur agroalimentaire national représente le quatrième secteur contributeur à la balance commerciale française. Parallèlement à leur importance économique incontestable, alimentation, cuisine et gastronomie sont aussi de puissants outils de communication, d’attractivité et d’influence ».
Un attrait qui est confirmé par Denis Matton-Perry, ancien consul de France, auteur de Paroles de Consul : « Incontestablement, le savoir-faire dans les arts de la table est un des marqueurs de l'identité française. Les étrangers nous reconnaissent cette forme d'excellence quoique cet univers devient de plus en plus concurrentiel à travers le monde. Bien évidemment, les ambassades sont amenées à jouer de ce levier de rayonnement ».
La France ne doit pas se reposer sur ses (feuilles de) lauriers
La marque France avec son arsenal culinaire n’est pas la seule à vouloir sa part du gâteau. « Malgré la renommée internationale dont peut encore se prévaloir la gastronomie française grâce notamment à certains produits phares (vins, fromages, pâtisserie, etc.) et certaines figures médiatiques, les profondes transformations qui ont marqué le monde gastronomique ces dernières années interrogent la pérennité d’un supposé leadership français en la matière. Notre héritage national alliant gastronomie et diplomatie est-il toujours adapté aux attentes des sociétés contemporaines ? Doit-on se limiter à une approche parfois accusée “d’élitisme” se focalisant presque exclusivement sur les cercles diplomatiques et / ou la restauration et l’hôtellerie de luxe ? », s’interroge Pierre Raffard. La France nourrit une image élitiste voire vieillotte qui la distancie du grand public et limite donc son rayonnement à l’international.
Thaïlande, Corée du Sud, Pérou, des exemples de soft power culinaire
D’autres pays émergent donc sur une nouvelle scène en mettant en avant, non pas forcément leur histoire mais aussi une identité contemporaine forte. La Thaïlande a ainsi développé un programme Global Thai, pour séduire à l’international. « Campagnes de communication internationales, soutien financier et logistique à l’ouverture de restaurants thaï dans les grandes métropoles étrangères, délivrance de labels de qualité pour ces mêmes établissements, facilités douanières pour l’exportation de denrées en provenance du Royaume, le programme assuma une approche volontairement plurielle susceptible de s’adresser à une diversité de publics », résume le chercheur en géopolitique. Le résultat du programme est probant avec une augmentation du nombre de restaurants thaï à l’étranger, un développement du tourisme culinaire et surtout une notoriété accrue du pays.
De la même manière, la gastronomie sud-coréenne a surfé sur la vague Hallyu et a lancé son programme Korean Cuisine to the World. La culture k-pop et les k-drama s’accompagnent maintenant d’un nouvel intérêt pour le kimchi et autres bibimbap.
Le Pérou est également un exemple de soft power par la gastronomie. Alors que sa cuisine était totalement inconnue à l’étranger il y a encore quelques années, la popularité de certains chefs star comme Gaston Acurio, Virgilio Martinez et Pia Leon ont bouleversé la scène culinaire péruvienne. Depuis, des restaurants péruviens, notamment spécialisés en ceviche, ouvrent dans toutes les métropoles du monde.
Les conseils pour une gastronomie française conquérante
Pierre Raffard inclut dans sa note 10 propositions pour renforcer l’influence de la gastronomie française à l’international. Nous en avons sélectionné les morceaux de choix.
Eveiller les consciences
Le chercheur indique qu’il est essentiel de mener un lobbying efficace auprès des organismes publics pour une réelle prise de conscience du rôle central que peut jouer la gastronomie au sein de la stratégie diplomatique française. Il faut former les futurs décideurs aux enjeux gastro-diplomatiques. Pierre Raffard propose de nommer un ambassadeur thématique chargé des questions agricoles, alimentaires et gastronomiques.
Capitaliser sur la puissance évocatrice de la gastronomie française et de ses produits phares
Pierre Raffard propose de « renforcer l’image de marque de la cuisine française en multipliant au sein de nos représentations diplomatiques et culturelles (ambassades, consulats, Instituts français) des événements gastronomiques ouverts aux populations locales ». L’image de la cuisine française doit aussi investir les nouvelles plateformes de diffusion et être déployée à l’international.
Faire de la gastronomie un vecteur d’influence pour la France
La création d’un organisme de promotion de l’agriculture et la gastronomie française permettrait de mieux faire connaître la gastronomie française à l’international. L’organisation d’évènements est également indispensable pour la faire connaître à l’étranger.
Impliquer et valoriser l’ensemble des filières agroalimentaires françaises
Le chercheur souhaite que la France mène notamment « un travail soutenu de lobbying au sein des organismes internationaux pour renforcer la position française en termes de normes de qualité, de traçabilité et de protection de productions locales (systèmes d’appellations d’origine, labels, etc.) » Il faut également « s’appuyer sur le savoir-faire des chambres d’agriculture pour mieux communiquer sur le rôle du secteur agricole français, tout à la fois acteur économique de premier plan, mais aussi garant de la sécurité alimentaire nationale, voire mondiale ».
Mettre la gastronomie au service du rayonnement économique de la France
L’augmentation du nombre de restaurants français permettra une meilleure visibilité de la cuisine tricolore. Il faut également « renforcer le travail engagé par le projet Taste France consistant à créer une marque internationale rassemblant les productions agricoles et alimentaires françaises. »
Développer des outils opérationnels pour appuyer un véritable soft power gastronomique français
Pierre Raffard suggère la production d’un « guide du “restaurateur français” permettant d’accompagner les entrepreneurs à chaque étape de leur projet (modèles de positionnement commercial, liste de menus et de plats types, répertoires de fournisseurs français, etc.) », mais aussi la facilitation d’exportations et d’accès aux denrées alimentaires françaises pour les établissements de restauration basés à l’étranger.
Intégrer la gastronomie française aux modèles alimentaires émergents
L’approche française en matière de cuisine est parfois trop élitiste. Il est donc important d’investir les nouvelles manières de consommation comme la street food, le végétarisme ou encore le snacking et développer « un répertoire gastronomique français simple, identifiable et adaptable par l’ensemble des mangeurs de la planète. » Il est aussi essentiel de présenter la cuisine française dans toute sa diversité.
S’appuyer sur les communautés françaises de l’étranger
Un sujet qui parlera à tous les expatriés : les Français de l’étranger sont des ambassadeurs de la cuisine française à l’international. Il faut donc « identifier pour mieux les mobiliser les Français et francophones agissant dans les secteurs locaux de l’agroalimentaire, de la restauration et de l’hôtellerie » et « créer des réseaux d’entrepreneurs et d’experts régionaux capables de fournir une aide et une expertise opérationnelle au service des entreprises nationales souhaitant pénétrer de nouveaux marchés ».
Faire de la cuisine et de la gastronomie françaises des secteurs clés des ambitions françaises en termes de durabilité
Les nouveaux modes de consommation doivent impliquer une démarche davantage responsable, éthique, durable et inclusive. Il faut « promouvoir et soutenir les projets gastro et œnotouristiques responsables, permettant aux touristes français comme étrangers de constater le travail quotidien des professionnels en faveur de pratiques durables. »
Faire de la gastronomie un élément de cohésion nationale sur et hors du territoire français
La gastronomie française dans toute sa diversité permet de « recréer un sentiment d’appartenance nationale ». Pierre Raffard explique : « face aux questionnements identitaires qui irriguent aujourd’hui l’ensemble de la société française, cuisine et gastronomie témoignent de la manière dont une référence nationale n’a cessé, de manière apaisée, de se nourrir d’apports culturels multiples. »
Il ne faudrait pas que la gastronomie soit ce qui nous reste quand tout a disparu
Denis Matton-Perry, ancien Consul de France
Même si le soft power français ne pourrait que bénéficier d’une gastrodiplomatie mieux coordonnée et avec une réelle stratégie, elle ne peut être qu’un outil diplomatique parmi d’autres. L’ancien diplomate, Denis Matton-Perry, nous l’explique : « Le piège serait que le recours à cet instrument devienne abusif et soit considéré comme l'argument ultime. Ce serait s'engager alors dans la voie de la facilité. Et malheureusement il est de plus en plus malaisé de résister à cette pente car notre industrie n'est plus aussi florissante qu'auparavant. Je dirais, un brin provocateur : il ne faudrait pas que la gastronomie soit ce qui nous reste quand tout a disparu. »