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Eleonore Caroit : « Nous devons apprendre à co-construire avec les pays du Mercosur »

Haïti, Nicaragua, Argentine ou encore Mercosur, autant de sujets brûlants qui occupent Eleonore Caroit, députée des Français d’Amérique latine et des Caraïbes. La parlementaire nous a accordé un entretien à l’Assemblée nationale entre deux déplacements en circonscription et une mission parlementaire sur l’alimentation durable. Alors que les sujets se suivent et ne se ressemblent pas, un fil rouge persiste, celui du dialogue : « les pays d’Amérique latine restent des alliés stratégiques pour la France », martèle-t-elle. 

Eleonore Caroit, députée des Français d’Amérique latine et des CaraïbesEleonore Caroit, députée des Français d’Amérique latine et des Caraïbes
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 13 mars 2024

J’ai toujours été très sensible et très active pour la cause en Haïti

 

Êtes-vous inquiète quant à la situation en Haïti ?

Il était très important pour moi de me rendre en Haïti en novembre dernier pour constater la situation sécuritaire de la communauté française et les conditions de réouverture du lycée français. J’ai toujours été très sensible et très active pour la cause en Haïti. La situation y est globalement très mauvaise depuis déjà de longs mois, et je dirais même depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Une forme d'espoir était apparue, il y a quelques mois, avec le vote aux Nations Unies de l'arrivée d'une force spéciale présidée par le Kenya, avec d'autres pays sur une base volontaire, mais cette force tarde à arriver. La situation se dégrade aujourd’hui et nous n’avons pas vraiment de perspectives quant à la tenue de nouvelles élections. La population reste dans un état d'incertitude et nous constatons que les gangs prennent le pouvoir et contrôlent les artères de transport. 

 

Eleonore Caroit au Lycée français d'Haïti
Eleonore Caroit au Lycée français d'Haïti en novembre dernier

 

J’aimerais aussi exprimer ma solidarité avec les Français qui sont sur place et qui vivent dans des conditions extrêmement difficiles. Il est très difficile de se déplacer et le risque sécuritaire est omniprésent. Certains d'entre eux ont même fait l'objet d’enlèvements, dont la gravité et la durée varient, mais qui restent des situations extrêmement traumatisantes. Cela peut malheureusement toucher tout le monde n'importe où.  

 

J’ai déposé début février à l'Assemblée nationale une proposition de résolution pour condamner le régime de Ortega/Murillo

 

La situation est également très préoccupante au Nicaragua…

La crise au Nicaragua dure depuis des années avec le duo Daniel Ortega et Rosario Murillo, qui a durci les conditions d'exercice de leur pouvoir avec une persécution systématique des opposants et des institutions privées de moyens. Il y a eu des emprisonnements politiques, dont deux Françaises (Jeannine Horvilleur Cuadra et sa fille Ana Alvarez Horvilleur, ndlr.). Des opposants ont été rendus apatrides ou ont été renvoyés du pays. Cette situation est intenable. 

Pour cette raison, j’ai déposé début février à l'Assemblée nationale une proposition de résolution pour condamner le régime de Ortega/Murillo et surtout pour attirer l'attention de la communauté internationale sur ce qui est en train de se passer au Nicaragua. La crise dure depuis des années et s’est aggravée depuis 2018, je ne peux tolérer l’acceptation de cet état de crise permanent. Il est important d’alerter l'opinion publique française. 

 

Eleonore Caroit lors de son déplacement au Brésil, avec l'Ambassadeur de France au Brésil et le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères
Eleonore Caroit lors de son déplacement au Brésil, avec l'Ambassadeur de France au Brésil et le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

 

Vous revenez d’un déplacement en Argentine et au Brésil, est-ce que les pays d’Amérique latine redeviennent des zones d’intérêts mais aussi d’influence pour la France ? 

Je déplorais au début de mon mandat le peu de visites diplomatiques dans la région et une attention finalement assez faible de la part de la classe politique française envers l'Amérique latine. Je peux mettre au bilan de mon action dans cette année et demie comme députée des Français d'Amérique latine et des Caraïbes le fait d'avoir remis cette région dans l’agenda politique français. Les changements politiques notamment au Brésil ont permis un certain rapprochement mais je me suis vraiment battue pour qu'il y ait davantage de visites politiques mais aussi un rôle accru de l’Agence française pour le développement en Amérique latine. Je pense que ce message a été entendu et j’accompagnerai d’ailleurs le président Macron lors de sa prochaine visite au Brésil.

Comme vous le mentionnez, j’étais la semaine dernière en déplacement avec Stéphane Séjourné, qui a vécu en Argentine et qui connaît très bien la région. Je suis donc convaincue qu'il y a un véritable changement qui est en train de s'opérer. Alors que les crises se multiplient dans le monde, les pays d’Amérique latine restent des alliés stratégiques pour la France.

 

Avec la ministre des Affaires étrangères argentine Diana Mondino
Avec la ministre des Affaires étrangères argentine Diana Mondino

 

Est-ce que justement le changement politique en Argentine est une crainte pour vous dans les relations bilatérales ? 

L'Argentine connaît une crise structurelle depuis des décennies mais il est clair que le nouveau président argentin n'est pas du tout sur la même ligne politique. Javier Milei a pris un certain nombre de positions préoccupantes lors de sa campagne électorale. Même si je suis en complet désaccord avec lui, je pense qu’il y a une différence entre la campagne qu’a pu faire Javier Milei et son action en tant que président de la République. Il a ainsi fait le choix de nommer dans des ministères clés des personnes dans une coalition de centre-droit, notamment son adversaire pendant la campagne présidentielle. En réalité, il est en train d’adopter une politique de rigueur budgétaire et plus proche de celle du centre-droit. Cela reste en décalage avec l'image complètement disruptive qu'il a donnée au cours de sa campagne quand il apparaissait avec une tronçonneuse à la main, ou avec ses déclarations qui sont à mon sens tout à fait inadmissibles. 

 

Le risque est que nous ne voyons pas l'absolue nécessité de conclure un partenariat stratégique et une coopération renforcée avec les pays du Mercosur

 

Vous étiez présente au Salon de l’agriculture. Quelle est votre opinion quant aux critiques face à des traités de libre-échange comme le Mercosur ?  

Le sujet du Mercosur est un sujet épineux, qui revient souvent lorsque l’on parle de la relation France-Amérique du Sud. Cela fait 20 ans que ce traité est en négociation, de manière relativement peu transparente. La copie remise en 2019 n’était pas acceptable par la France parce qu'elle n'intégrait pas un certain nombre de normes environnementales, mais aussi parce qu'elle avait créé une situation de concurrence déloyale en permettant l'importation de produits qui auraient été produits selon des normes sanitaires et écologiques tout à fait différentes des nôtres. Dans ce sens, il y a un alignement entre la parole du Président de la République et sa position assez minoritaire en 2019, et les demandes des agriculteurs aujourd'hui. 

Le risque est que nous nous arrêtions là et que l’on ne voit pas l'absolue nécessité de conclure un partenariat stratégique et une coopération renforcée avec les pays du Mercosur. Ce traité entre l'Union européenne et le Mercosur partait sur une base obsolète mais j’ai l'espoir que nous puissions le transformer avec une vraie vision environnementale et des négociations plus audacieuses. Le traité tel qu’il nous a été imposé par la Commission européenne ne sera pas ratifié par les différents parlements. Nous devons en revanche maintenir l’essence de ce partenariat renforcé en le découpant en différentes parties pour s’assurer que nous avons bien un respect des accords de Paris. L’Europe n’a d’ailleurs pas le monopole sur les réglementations environnementales vertueuses. Nous devons apprendre à co-construire avec les pays du Mercosur. 

 

Eleonore Caroit et Stéphane Sejourné
Eleonore Caroit et le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Sejourné, en Argentine. 

 

Vous travaillez beaucoup sur la question de l'alimentation durable. Est-ce que vous êtes justement inspirée par les pays de votre circonscription ?  

Il est important de regarder, comme vous le dites à très juste titre, ce qui se passe ailleurs. Ma circonscription est immense et riche de projets inspirants. Par exemple, je me suis rendue dans plusieurs projets d'agroforesterie en Amazonie où la forêt intégrait également des zones d’élevage. Même si les conditions sont différentes, il est intéressant pour nos chercheurs, les ONG ou encore l’AFD de s’interroger sur ces questions. 

Quant au sujet de l'alimentation durable, je suis en train de finaliser une mission dans le cadre de la Commission des Affaires étrangères avec mon collègue Guillaume Garot. Nous voulons voir quels ont été les choix en matière agricole et commerciale et s'il est aujourd'hui possible de revenir en arrière. Nos agriculteurs ont souvent raison lorsqu’ils disent que nous marchons sur la tête. La question est de savoir comment nous pouvons inverser ces choix et trouver des équilibres, pas seulement en France et en Europe mais aussi au niveau international. 

 

La constitutionnalisation de la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse doit être un modèle à travers le monde

 

La France vient d’inscrire l’IVG dans la constitution, en quoi cette décision historique peut-elle également influencer le reste du monde ?

Je l’espère et j’ai fait un appel pour que d’autres parlements se saisissent de cette question et avancent vers la constitutionnalisation de l’IVG. Si je ne parle que de ma circonscription, nous avons une grande majorité de pays qui aujourd'hui l’interdisent ou ne donnent pas aux femmes la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse de manière libre, c’est-à-dire qu’elle reste conditionnée. 

D'autres pays plus minoritaires ont réussi à obtenir ces droits dans les dernières années. Le Mexique a pénalisé l'interdiction de recourir à l’IVG, depuis quelques années. La Colombie et l’Argentine l’ont autorisé, même si les propos inadmissibles de Javier Milei font craindre un retournement de la situation comme dans les Etats-Unis  de Donald Trump. La France, elle, a fait un pas symbolique mais aussi réel. La constitutionnalisation de la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse doit être un modèle à travers le monde. 

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