Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 5

ANNE GENETET – "Les non-résidents ne sont pas des nantis"

Rapport Genetet Français de l'étranger expatriationRapport Genetet Français de l'étranger expatriation
Écrit par Justine Hugues
Publié le 17 septembre 2018, mis à jour le 3 octobre 2019

Changer l’image galvaudée des Français de l’étranger et leur faciliter la vie, tel est l’objectif du rapport remis par la députée Anne Genetet (11e circonscription Asie Océanie) au Premier ministre. Fiscalité, protection sociale, démarches administratives… elle nous explique en détail ses recommandations ambitieuses pour favoriser la mobilité des Français.

 

Lepetitjournal.com : En quoi est-il important pour la France de mieux accompagner ses ressortissants en mobilité internationale ?

Anne Genetet : Je suis moi-même, depuis 2005, une Française à l’étranger. J’ai toujours été frappée de voir qu’il y a là un vivier extraordinaire. Or, si nous sommes capables de nous regrouper en communautés dans un lieu de vie, il n’y a pas de cohésion entre ces communautés dans le monde. On ne se connait pas très bien : les entrepreneurs, indépendants, académiques, étudiants, chacun est dans son silo. Je souhaite vraiment m’investir sur les ressorts qui nous permettraient de contribuer à l’influence française dans le monde, d’autant plus que l’image des Français à l’étranger est galvaudée. A en croire certains, nous serions tous des exilés fiscaux, des personnes qui fuient quelque chose, qui en ont ras le bol de la France. Ces propos me gênent : cela existe mais c’est à la marge. Quand je suis arrivée dans l’Hémicycle, j’ai bien senti que j’étais vue comme la députée bizarre qui habite loin, dont on ne comprend pas vraiment la circonscription. Je fais souvent l’objet de commentaires, voire de mépris. Quand j’entends le Président au Congrès s’adresser aux « Français de métropole et d’outre mer », je ne peux m’empêcher de rétorquer que nous sommes plus nombreux que les ultra marins. Si je n’obtiens rien de mon rapport mais que notre image s’améliore, ce sera déjà un grand pas….

 

Il y a pourtant des mesures qui ont été prises pour les Français établis à l’étranger…

 

La dernière chose qui a été faite, c’est la plateforme sur le retour en France par Hélène Conway-Mouret. Avant cela, on avait mis en place les conseilleurs consulaires en 2014. Vous imaginez dire aux Français de métropole « on s’occupera de vous deux fois en quatre ans et pour le reste débrouillez-vous » ! Quand les politiques passent, ils ont beau faire de jolis discours, nous complimenter sur nos atouts, nous désigner comme ambassadeurs, je ne le supportais plus. Ne nous demandez plus de partir en ambassadeurs si de l’autre côté, vous ne vous occupez pas de nous.

 

Le rapport est là pour ouvrir des portes, faire réfléchir et proposer des pistes.

 

Quand peut-on attendre la mise en place de vos recommandations, dans quel ordre et sous quelle forme ?

 

J’ai envoyé une note de cadrage dans laquelle j’ai hiérarchisé nos propositions. Leur intégration dans des textes se fera au cas par cas. Les mesures fiscales, par exemple, seront intégrées dans le PLS-PLFSS. Nous allons suivre avec acharnement la mise en place, en étant ambitieux mais réalistes. Le rapport est là pour ouvrir des portes, faire réfléchir et proposer des pistes. Même si pour un tas de raisons, notamment budgétaires, toutes ne pourront être retenues, ce n’est pas grave, on avance.

 

Pour vous aider dans le suivi des recommandations, vous préconisez la mise en place d’un délégué interministériel. Quelles seront ses attributions ?

 

En entreprise, en l’appellerait « chef de projet ». L’idée n’est pas de créer un poste de fonctionnaire ad vitam mais d’avoir quelqu’un qui, pendant deux ans, travaille de façon transversale pour réunir tout ce qui existe sur une plateforme unique et simplifier les démarches. Ensuite, il s’agira seulement de faire des mises à jour ponctuelles.

 

Concernant les informations préalables au départ, je souhaite que la délivrance de tout passeport soit assortie d’un QR code renvoyant vers trois informations capitales :

  • Ariane
  • L’enregistrement consulaire pour les longs séjours, en explicitant ce que font et ne font pas les consulats
  • La nécessité d’avoir une assurance

 

La plateforme unique devra également être déclinée en une application pour mobiles. Aujourd’hui, non seulement l’information est partout, mais elle est dans un langage inadapté, qui n’est pas celui de l’usager. On lit souvent des références aux réglementations, sans avoir le pendant pratique, le « on fait comment ? ».  Pour cela, je défends le langage naturel. A la place des « certificats «  ou « déclarations » de naissance, on pourrait envisager d’avoir une rubrique « j’attends un bébé », qui parle à tous.

 

Lorsque vous faites référence aux effectifs du réseau diplomatique et consulaire, vous mentionnez « un bilan comptable inquiétant ». Comment résoudre la contradiction avec la suppression de 2000 postes sur le quinquennat ? 

 

Précisons d’abord que ces postes concernent l’ensemble des effectifs, pas seulement ceux du Ministère des affaires étrangères mais aussi ceux de l’Intérieur ou Bercy. Aujourd’hui, il y a beaucoup de consulats qui ont des bonnes pratiques mais font les choses dans leur coin. Je suis certaine qu’en mutualisant les moyens et les pratiques, il y a vraiment des marges d’efficacité. De toute façon, les Français sont partout. On ne peut pas les empêcher de s’installer au milieu de nulle part mais on ne peut pas systématiquement mettre des consulats à leurs côtés. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous organiser pour être accessibles d’une autre façon.

 

Votre rapport mentionne la dématérialisation des procédures, pouvez-vous nous en dire plus, notamment sur le vote en ligne ?

 

Aujourd’hui les administrations dématérialisent les documents mais pas la procédure. Prenons l’exemple des impôts. Nous devons remplir en ligne un formulaire 2042, le même qu’avant sur papier. Cela n’a pas changé grand chose car vous devez savoir quoi cocher. Ce serait tellement plus simple qu’on nous pose un certain nombre de questions avec un algorithme derrière qui, au fur et à mesure, nous renvoie sur les bonnes cases en fonction des réponses précédentes.

 

Quant au vote en ligne, le ministère des Affaires étrangères a entamé une phase de test. Il y a une volonté réelle d’avancer mais je reste prudente sur les promesses, sachant que les hackers vont beaucoup plus vite que tous les ingénieurs qui mettent en place ces dispositifs.

 

Les non-résidents qui ont des petits revenus en France sont doublement défavorisés.

 

Comment va se dérouler le passage au prélèvement à la source pour les Français de l’étranger ?

 

C’est un système extrêmement compliqué et rien n’est fait pour que ce soit mis en place au 1er janvier. La Direction des impôts des non résidents (DINR) traite 60% des dossiers à la main. Ils impriment vos formulaires, font les calculs, puis saisissent à nouveau les chiffres, qui vous sont envoyés par messagerie sécurisée. Comme le nombre de contribuables augmente, aujourd’hui, il s’agit du plus gros centre de collecte d’impôts en France. Pour un système plus pratique et plus équitable, je propose d’aligner le barème sur celui des résidents. Les non-résidents qui ont des petits revenus en France sont en effet doublement défavorisés. Pas seulement par manque d’information : s’ils ne cochent pas la bonne case, on leur applique le fameux taux couperet de 20%. Par ailleurs, les simulations montrent qu’il est équivalent, plus avantageux ou beaucoup plus avantageux d’être résident, face à l’impôt sur le revenu. Il n’y a aucune cohérence dans le barème. Des personnes en bas de l’échelle paient vraiment trop et d’autres, en haut de l’échelle, ne paient vraiment pas assez.

 

La perte de recettes liées à la surpression des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine immobilier sera-t-elle compensée par cette harmonisation des barèmes ?

 

On ne sait pas du tout l’évaluer. Les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine immobilier génèrent 285 millions d’euros par an. Il s’agit de recettes fiscales constituées de cinq prélèvements. Aujourd’hui, l’Europe nous a épinglés sur deux de ces prélèvements.  Une option serait de conserver les trois restants, qui sont les moins élevés. Quoiqu’il en soit, on ne peut pas continuer. Tous mes interlocuteurs en sont conscients mais ils ont des contraintes budgétaires. Le Premier ministre a une antenne « recettes » et une une antenne « dépenses » face à chacune de mes recommandations. Comme l’image des Français à l’étranger n’est déjà pas terrible, expliquer aux contribuables français qu’on s’assoit sur 285 millions d’euros de recettes fiscales est difficilement envisageable, d’autant plus que les non résidents sont déjà exemptés de payer des charges sociales sur les revenus du capital mobilier.

 

Il faut des mécanismes qui permettent d’anticiper un retour pas forcément souhaité

 

On voit que la protection sociale recule chez les Français établis à l’étranger. Que proposez-vous pour faciliter l’accès aux assurances vieillesse et maladie ?

 

Je suis obnubilée par l’entrée volontaire dans l’assurance vieillesse et je répète toujours que le passeport français est un outil formidable, nous permettant à tout moment de rentrer en France. Lorsque des expatriés me disent « je suis très bien là où je suis, je n’ai aucun projet de retour »,  je suis dubitative. Qui aurait pu prédire que beaucoup de ceux qui étaient au Japon au moment de Fukushima décideraient de quitter le pays définitivement ? Il faut des mécanismes qui permettent d’anticiper un retour pas forcément souhaité.  Nous avons la chance d’avoir une protection sociale qui fonctionne. Elle est peut être imparfaite mais sincèrement, être dans le système, avoir un bout de pension plus tard et ne pas être dépendant des minimas sociaux, c’est quelque chose qu’il faut encourager. Mes interlocuteurs sont très réceptifs à ce sujet, de même que face à la réforme de la CFE (Caisse des Français de l'étranger), laquelle doit être votée prochainement à l’Assemblée.

 

Afin de financer une complémentaire santé pour les plus démunis, je demande également une petite rallonge. Bien qu’il s’agisse de 300.000 euros par an, Bercy et les Affaires étrangères se renvoient la balle. Il va falloir continuer à les travailler au corps et je continuerai.

 

J’ai également ressenti un manque d’information chez ceux qui partent en voyage ou vont s’installer à l’étranger. Les risques sont là, derrière ce sont nos consulats qui trinquent. De manière générale, on voit bien que les employeurs ne fournissent plus de pack avantageux aux expatriés. L’expatriation aujourd’hui n’est plus un accélérateur de carrière mais une commodité. On envoie quelqu’un parce que ça nous arrange.  

 

Consulter le rapport ici.

Justine Hugues
Publié le 17 septembre 2018, mis à jour le 3 octobre 2019
Pensez aussi à découvrir nos autres éditions

© lepetitjournal.com 2024