Etabli dans un village moldave depuis une dizaine d’années, le Français, qui a fondé l’association Vent d’Est, met toute son énergie à redynamiser sa région rurale d’adoption.
De son premier séjour en Moldavie en 1993 et des orphelinats, où « des gamins de 10 ans dormaient dans des lits pour bébés », Thierry Ernst s’en souvient comme si c’était hier. « Je fais partie de la génération qui avait 25 ans à la chute de Ceaușescu et vouait une véritable passion pour la Roumanie et sa région, sans avoir jamais pu s’y rendre », raconte le Français. Thierry vit les années 90 au rythme des convois humanitaires qu’il organise au profit d’anciennes républiques socialistes soviétiques. Le budget est modeste, les formalités douanières un casse tête, mais l’optimisme de sa bande d’amis est invincible. En Moldavie, c’est le coup de cœur. « Il y a vraiment dans la culture et les habitants une richesse particulière que je n’ai trouvée nulle part ailleurs », explique-t-il. Sur sa route, il croise Tatiana, interprète moldave qui deviendra son épouse. Installé à Lyon, le couple crée « Vent d’est » en 2002, une association pour venir en aide aux populations sinistrées de Moldavie.
Moldavie, une brise venue du cœur
« On y allait quelques semaines chaque année, se souvient le gone, propriétaire à l’époque d’un restaurant. C’était frustrant de ne pas pouvoir faire avancer plus vite nos projets ». En 2010, Thierry, Tatiana et leur petite fille de 4 ans bouclent leurs bagages pour un aller simple vers Horodiste, petit village du raion de Rezina, situé à 85 kilomètres de Chișinău, la capitale moldave. Leur projet : mettre en place une fabrique de sirops et de confitures, à partir de produits locaux et employant des villageois, pour redynamiser une commune moribonde.
De changements de cap en tentations de céder à la corruption, à rebours du mouvement de désertion des villages, la route est sinueuse. Mais le Français reste « droit dans ses bottes » : « Même si on a parfois mis des années à obtenir les autorisations, tout faire en règle nous a aidés ». Le couple rachète l’ancienne école du village à l’abandon pour y installer la fabrique et une « éco-pension », auberge de jeunesse rurale qui accueillera bientôt touristes en quête d’authenticité et enfants moldaves défavorisés. Grâce aux habitants du coin et aux centaines de volontaires internationaux qui sont passés par Horodiste, le couple donne forme à ses projets.
Economie solidaire en Moldavie
Il y a quelques années, Thierry, véritable couteau suisse de l’entrepreneuriat social, tombe sur une recette de fromage lors d’un salon de l’alimentation bio. L’idée a à peine le temps de germer dans son esprit qu’il se retrouve à alimenter en fromages de caractère les réceptions de l’ambassade de France. Depuis la cave de l’éco-pension, ancien repère d’exercices de sûreté nucléaire, Thierry et son équipe affinent patiemment bûches et tommes aux trois laits, qui atterriront dans l’assiette des populations aisées de la capitale. En achetant chaque semaine 600 litres de lait aux producteurs de la région - 60% au dessus du prix du marché - le projet fait aujourd’hui vivre près de 15 familles du village. « On fournit les marchés et, depuis peu, quelques grandes surfaces de Chișinău. C’est un gros succès », se réjouit-il. Les origines de Thierry, dans un secteur typiquement associé à la gastronomie française, lui ont conféré une certaine image et crédibilité. « Beaucoup me prennent aussi pour un fou à vouloir m’installer dans un village moldave quand tout le monde rêve de fuir à l’étranger », raconte-t-il en riant.
Freiner l’émigration vers le Portugal et la République Tchèque
Car la Moldavie, qui compte pourtant sur des terres agricoles « parmi les plus fertiles d’Europe », est en proie à une émigration massive. « C’est un pays riche avec une population pauvre, déplore Thierry. La corruption mine le potentiel moldave et beaucoup de jeunes préfèrent aller travailler en République Tchèque ou au Portugal pour des petits salaires plutôt que d’essayer d’entreprendre ici ».
Affairé entre la poire et le fromage – la fabrique de production de sirops et confitures devrait être inaugurée sous peu – Thierry est loin d’avoir baissé le rideau. « Malgré le fait qu’ici au village, on voit les anciens s’éteindre les uns après les autres, je veux être optimiste. Si les habitants peuvent avoir un emploi et en vivre dignement, alors ils resteront ». Donner aux habitants des zones rurales des raisons d’espérer, dans un pays en mal d’exil de ses jeunes générations : tel est le doux rêve de ce « fou » français, tombé sous le charme de la Moldavie.