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Entre l’Albanie et la France, le coeur de Marie-Thérèse Marchal balance

Marie-Thérèse Marchal tient une boulangerie-pâtisserie depuis le début des années quatre-vingt dix en Albanie. Son cœur et son temps sont partagés entre deux capitales : Tirana et Paris. Aujourd’hui, à 75 ans, elle envisage de plus en plus de passer la main de La Pâtisserie Française. « Je voudrais trouver un couple de Français pour reprendre. » Portrait.

Portrait Marie Thérèse MarchalPortrait Marie Thérèse Marchal
Marie-Thérèse Marchal tient une boulangerie-pâtisserie depuis le début des années quatre-vingt dix en Albanie. Son cœur et son temps sont partagés entre deux capitales : Tirana et Paris. Portrait.
Écrit par Léa Degay
Publié le 18 avril 2024, mis à jour le 29 août 2024

 

Sous le charme de l’Albanie, « le hasard fait bien les choses » 

 

A écouter sa voix à l’autre bout du téléphone, difficile d’imaginer qu’elle puisse avoir 75 ans. D’après elle, « l’air Albanais conserve ». La septuagénaire est boulangère à Tirana depuis 24 ans. Marie-Thérèse Marchal découvre l’Albanie par hasard, en mai 1990, grâce à des amis dans l’humanitaire. Elle tombe sous le charme de ce pays en pleine ouverture, de ses 450 kilomètres de bord de mer, de ses habitants qui prennent le temps de vivre « pas comme à Paris ». 

Au départ, dans la capitale française où elle avait fondé sa famille, elle travaille comme consultante pour Vivendi, la Compagnie Générale des Eaux (CGE). En Albanie, l’eau est très mal gérée et distribuée. En tant que spécialiste pendant cinq ans, elle multiplie les allers-retours pour améliorer la vie des citoyens du pays. 

« Ça faisait longtemps que j’étais là. En plus de mon travail, j'ai essayé d’aider, d'amener de nouveaux investisseurs. Tout ce que j’ai fait, c’était parce que j’avais foi en ce pays. » C’est d’ailleurs pour ‘services rendus’ que le Président de l’époque, Sali Berisha, lui offre la nationalité albanaise. Alors quand la mission se termine, elle n’envisage pas de rentrer en France mais elle s’interroge : « Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? » 

 

 

rue de Tirana

 

 

Le début de l’aventure pâtissière en Albanie

 

A la fin de l’année 1999, à Tirana et plus largement dans tout le pays, il n’y a pas de restaurants spécialisés en desserts. « Bien sûr, il y avait des mets sucrés, mais principalement turcs. » L’idée émerge alors et  La Pâtisserie Française  ouvre ses portes à Rruga Ibrahim Rugova dans la capitale. Son frère, meilleur ouvrier de France en pâtisserie, lui prête mains fortes au lancement. Au total, il y a deux bâtiments, côte à côte : un point de vente et un salon de thé. 

 

 

Les gens prennent le temps. Tirana, ce n'est pas Paris.

 

Au même moment, elle emménage définitivement à Tirana. Ce qui ne l’empêche pas de rentrer régulièrement en France. Au moins, une fois par mois, pour son mari et sa famille. « Mon époux venait au début mais le pays ne lui plaisait pas trop. Il trouvait que ce n’était pas assez stable, trop changeant. » À son âge, elle sait qu’elle n’est pas éternelle, que les allers-retours sont fatigants. Tenir son commerce l’est tout autant. « Quand je suis ici, je travaille du lundi au dimanche de 7 à 21 heures." Heureusement, elle peut compter sur ses employés et sur Bujar. Ce dernier a commencé à travailler avec elle presqu’à l’ouverture et il en est maintenant devenu le responsable. Tous sont albanais mais il n’y a pas de barrière de la langue. « Au bout d’autant d’années sur place, je parle et j’écris l’albanais et je comprends leur mentalité. » Tout le monde la connait et elle connait tout le monde. Et pour cause, elle vient de passer près de la moitié de sa vie ici, en Albanie. Si c’était à refaire ? Oui, elle ne changerait aucun de ses choix, « je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de moments difficiles et il y en aura encore, mais j’avais envie et besoin d’atteindre mon but. » 

 

L’Albanie, un pays de plus en plus ouvert et touristique

 

Marie-Thérèse est consciente qu’il lui faudrait laisser la main : « je voudrais trouver un couple de Français pour reprendre, je ne veux pas remettre la boulangerie à des Albanais. Ils sont travailleurs mais ils n’ont pas le sens du détail ni de l’initiative », confie-t-elle, « il faut répéter, répéter, toujours répéter. » C’est d’ailleurs, pour elle, le principal point négatif de son expatriation : trouver du personnel compétent. « Le service est mauvais partout, dans tous les hôtels ». Des bâtisses qui coupent le souffle, tant elles sont belles et modernes, confie-t-elle.

Pour le reste, elle ne se lasse pas du décor qui l’entoure, entre mer et montagnes, du climat méditerranéen et encore moins du fait que la vie n’y est pas trépidante. « Les gens prennent le temps. Tirana, ce n’est pas Paris. » En majorité, les travailleurs terminent à 15 heures, rentrent chez eux et le soir sortent se promener. Et puis, le pays se développe beaucoup, « c’est plus moderne qu’on ne le pense » et les Européens, notamment les Français, commencent à connaitre. Petit à petit, les clichés s’effacent et les touristes affluent. Pour l’année 2022, 7,5 millions de touristes ont visité le pays. Et au début du mois d’octobre 2023, il y en avait déjà 8,3 millions. 

 

 

Je ne vais pas venir tricoter au coin du feu. Il faut que ça bouge. J’ai besoin d’une activité et des problèmes. 

 

Pendant longtemps, l’apprentissage du français était dans la culture. « Quand je suis arrivée en Albanie, il y avait  beaucoup de personnes qui parlaient le français et un peu l’italien - ils l'apprenaient grâce aux médias. Maintenant c'est l’anglais qui est le plus appris et parlé, étant la langue du business. » De leur côté, les Français sont peu nombreux dans le pays, aujourd’hui. D’après la gérante de La Pâtisserie Française, ils doivent être une centaine, « si on ne compte pas les gens de l’Ambassade ou ceux en mission pour quelques mois. »*

 

Marie-Thérèse Marchal, « d’abord Française »

Lorsqu’un Albanais lui demande si elle est albanaise maintenant, elle répond « non, non, non, pas encore ». Même si elle ne se voit jamais abandonner le pays qui l’a accueillie il y a plus de trente ans et qui lui a offert la nationalité, elle est « d’abord Française ». Il y a des comportements et des réactions chez les Albanais qui ne lui plaisent pas : « donc je ne peux pas dire que je suis comme eux ».

 

 

Je voudrais trouver un couple de Français pour reprendre, je ne veux pas remettre la boulangerie à des Albanais. Ils sont travailleurs mais ils n’ont pas le sens du détail ni de l’initiative », confie-t-elle, « il faut répéter, répéter, toujours répéter. »

 

Même si la démocratie s’est installée en 1992, le pays continue de s’ouvrir petit à petit. Pour les futurs expatriés français, il y a encore beaucoup à entreprendre. L’Albanie est en constante évolution et n’attend que de nouveaux projets. D’ailleurs, à la fin de notre appel, Marie-Thérèse Marchal en profite pour passer un message à nos lecteurs pour la reprise de son commerce. « Je ne suis pas éternelle, vous savez. » Alors, si vous êtes en quête d’un nouveau challenge à 1.600 kilomètres de Paris, une boulangerie-pâtisserie pourrait prochainement rechercher des repreneurs…

 

Pour autant, cela ne signera pas la retraite de la septuagénaire qui envisage déjà l’après. « Je ne vais pas venir tricoter au coin du feu. Il faut que ça bouge. J’ai besoin d’une activité et des problèmes » conclut-elle en riant. Son seul souhait : ne plus avoir d’employés à gérer. Elle pense à ouvrir une galerie : « Mais bon, on n’en est pas encore là ! »

 

 

Devanture de la Patisserie Francaise à Tirana

 

 

*Selon France Diplomatie, en 2023, l’Albanie comptait 206 Français installés dans le pays. Une évolution de 7,29% par rapport à 2022.

 

 

 

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