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Violences conjugales en expatriation : quand l’éloignement complique l’échappatoire

​​Dans l’ombre des rêves d’expatriation, certaines femmes se heurtent à une réalité bien plus sombre : l’universalité des violences conjugales. Delphine, Julie, Céline, Aurélie*, quatre femmes installées aux quatre coins du monde, partagent leur histoire pour montrer qu’il est possible de trouver des chemins pour sortir de la violence, sans prétendre que ce parcours soit simple ni accessible à toutes. 

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Les histoires de ces quatre femmes expatriées se croisent pour rappeler que la violence conjugale ne connaît pas de frontières.
Écrit par Léa Degay
Publié le 22 novembre 2024, mis à jour le 27 novembre 2024

 

Dans des contextes géographiques et culturels différents, les histoires de ces quatre femmes expatriées se croisent pour rappeler que la violence conjugale ne connaît pas de frontières. Chacune à leur rythme et leur façon, elles ont compris que ce que leurs conjoints appellent  l’amour peut parfois se transformer en un piège cruel. 

 

"Au début, tout allait bien, c'était la vie de rêve que de vivre sur une île" confie Aurélie.

 

Pour certaines, l’expatriation représente un rêve. Pour Aurélie, ce rêve s’est peu à peu transformé en un piège étouffant où la violence psychologique a pris le dessus. Elle s’expatrie en Grèce en 2008 d’abord pour terminer ses études puis pour s’installer avec l’homme - un Grec - qui va devenir son mari et le père de ses deux enfants. "Au début, tout allait bien, c'était la vie de rêve que de vivre sur une île", se confie-t-elle. Mais très vite, les choses se détériorent avec la naissance de leurs enfants. "La violence psychologique s'est intensifiée, je me suis retrouvée à devoir tout sacrifier, mon travail, mon indépendance, tout pour lui et ses projets. Il me disait que j’étais une mauvaise mère et que je ne ressemblais à rien, il m’insultait et entre la naissance des deux enfants, il y a eu des rapports sexuels forcés" raconte-t-elle. 

 

Aurélie,  l’électrochoc du violentomètre

Aurélie perd sa confiance en elle, s’isole davantage, et s’englue dans le cycle infernal de violences, des excuses et de “l’amour”. Au bout de onze années, elle consulte, en visioconférence, une conseillère en périnatalité française, lui permettant de réaliser l’étendue de ce qu’elle vit. "Elle m'a montré un violentomètre - un outil visuel allant du vert au rouge et permettant de 'mesurer' si la relation amoureuse ne comporte pas de violences de n’importe quel type -, et là, ce fut l'électrochoc. Tout était rouge.” Elle prend alors conscience qu’il n’y a pas que des violences physiques.

 

 

"Je n’étais pas une victime de coups, mais la violence était partout, dans les mots, dans les gestes, dans les objets cassés" avoue Aurélie.

 

Après deux épisodes particulièrement violents et des menaces de mort de son mari, Aurélie décide de fuir. Elle dépose une plainte dans un commissariat en Grèce et entame une procédure judiciaire pour se protéger ainsi que ses enfants. Depuis un an, elle vit seule avec ses enfants dans une maison de l’île et a obtenu une ordonnance de protection. Malgré tout, la route reste semée d’embûches. "Tout est compliqué lorsque l’on est à l’étranger. Heureusement que je suis bilingue pour naviguer plus facilement dans les démarches par exemple. Mon mari et moi n’avons toujours pas divorcé, et même s'il a des mesures d’éloignement - il ne peut pas approcher la famille à moins de 15 mètres sans son autorisation -, il vit à 200 mètres de la maison.” Une peur constante qui s’ajoute à son stress post traumatique, “je suis suivie et j’essaie de me reconstruire.” 

 

"Tout est compliqué lorsque l’on est à l’étranger" explique Aurélie. 

 

Contrairement à Aurélie, les parcours judiciaires de Céline et de Delphine sont terminés, elles ont divorcé et toutes les deux ne vivent plus en expatriation. La première a suivi son mari pendant 20 ans au gré de ses missions. La deuxième a rencontré son mari à l’étranger et est restée avec lui pendant 10 ans. L’une était au Moyen Orient et en Pologne, la seconde en Afrique. Toutes les deux étaient victimes de violences psychologiques. 

 

Mains tendues
© Nahid Hatami, Unsplash

 

Le silence comme arme pendant 20 ans

“C’était des silences à chaque fois qu'il n'était pas content, à chaque fois qu'il y avait quelque chose qui ne se passait pas bien, dès le début de la relation.” explique Céline, ancienne expatriée. “C'est inimaginable à expliquer sans le vivre.” En mettant bout à bout toutes les longues périodes de silence en 20 ans, il ne lui a pas parlé pendant 2 ans - sans compter les silences de moins d’une semaine. Toujours dans l’incompréhension d’avoir vécu et accepté le mutisme de son mari, elle se rappelle qu’après une séparation de quatre mois, où il avait tout fait pour qu’elle revienne au Qatar avec leurs filles, “il me l’a fait payer et il a, à nouveau, cessé de me parler. Plus bonjour, plus au revoir, plus rien. Pas un mot. Pendant 6 mois, de janvier à juin. Le soir, il rentrait du travail, je me mettais devant lui : “il faut qu'on parle”. Il ne me regardait même pas, ni ne me parlait.” 

 

 

"C'est inimaginable à expliquer sans le vivre. Pendant six mois, le silence. Pas un mot, pas un bonjour” confie Céline. 

 

Céline est consciente que le mutisme régulier de son conjoint n’est pas propre à l’expatriation mais qu’il a été aggravé par l’éloignement. “J’étais loin, il ne me parlait pas et il ne mettait rien en place pour que je puisse communiquer avec ma famille. J’avais un téléphone portable. Mais avec les 9.000 kilomètres qui me séparaient de ma famille, je ne pouvais me  permettre d’appeler ma famille de manière régulière ni pour de longues conversations alors que j’avais besoin de leur partager ma souffrance au quotidien face à son silence hostile et écrasant. Il nous a installé Skype quinze jours, avant de - bizarrement - ne plus fonctionner”. 

En dehors de sa famille, Céline se rend compte de la difficulté de trouver des personnes de confiance à qui se confier en expatriation. Dans son cas, "les ‘coups’ étaient psychologiques et donc non visibles par les autres. J’ai eu beaucoup d’amis en expatriation pendant ces 20 années, mais pour parler de choses aussi graves, me confier sur des choses aussi profondes, je n’ai su en parler qu’à très peu de personnes, et seulement quand j’étais déjà très loin dans l’accumulation de la souffrance." Une distance sociale qui a renforcé sa difficulté à faire à la violence en expatriation.

 

Main en premier plan
© Saif71, Unsplash

 

Violences conjugales, la reconstruction après le gouffre 

L’expérience de Céline illustre comment le mutisme et le contrôle peuvent devenir des outils de domination dans un couple. Delphine, quant à elle, a connu une autre forme de maltraitance psychologique, marquée par une lente déconstruction de son identité. “Nous nous sommes rencontrés en expatriation et pendant cinq ans, tout s’est bien passé. Puis nous avons eu les enfants et il m’a fait arrêter de travailler. Là, il a changé. Mais je n’ai pas compris tout de suite, il m’a fallu quatre années de plus pour ne plus être aveugle” explique-t-elle. 

 

 

"Il a réussi à me faire croire que j’étais le problème, que ses mots et ses agissements étaient de ma faute. Il a cassé l'image que j’avais de moi-même et celle que les autres avaient de moi aussi” confesse Delphine.

 

Durant ces années, en expatriation, Delphine sombre et fait une dépression, enfermée dans le noir à longueur de journées. Elle avoue être au bord du suicide. Alors, elle commence à s’interroger beaucoup sur ce changement radical de comportement, “il a réussi à me faire croire que j’étais le problème, que ses mots et ses agissements étaient de ma faute. Il a cassé l'image que j’avais de moi-même et celle que les autres avaient de moi aussi”. Finalement, elle se remet sur pied, retrouve un travail - pour mettre de l’argent de côté - et au bout d’une année, demande à rentrer en France pour divorcer. Il accepte, “j’avais peur qu’il refuse parce qu’une procédure de divorce où nous résidons m’aurait enlevé tout droit et j’aurais perdu mes enfants”.  

Aujourd’hui, elles limitent le plus possible leurs contacts avec leurs ex-maris. Delphine explique que tout se fait par écrit, “pour être crue, il faut des traces. Je ne peux pas agir comme si j’étais face à une personne normale. Les enfants sont en garde alternée. Je les dépose devant chez lui et ils sortent de la maison quand il est devant. Pour me protéger.” Pour Céline, la situation est différente, elle n’a plus d’enfants en bas-âge ou de gardes alternées, pas de contacts nécessaires avec son ex-mari. D'ailleurs, l'aînée de ses deux filles a été l’élément déclencheur de son divorce. “Elle avait raté son année scolaire et pendant deux mois, les deux mois d’été, il ne lui a pas parlé. Je n’ai rien vu, je n’aurais jamais pensé qu’il puisse lui faire ce qu’il me faisait. Ce n’est qu'à la fin de l’été qu’elle m’a dit “mais tu sais ça fait deux mois qu’il ne m’a pas adressé la parole?” C’en était trop. Je ne pouvais pas accepter qu’il le fasse aussi à ma fille. 

 

Main dans l'ombre
© Mika Korhonen, Unsplash

 

Violences en expatriation : résilience et pardon envers son ex mari

Julie, enfin, a fait le choix de la résilience et du pardon. Choix rare et possiblement difficile à comprendre au vu de la série d’événements qui bouleversent sa vie lorsqu’elle décide de mettre un terme à son mariage, dont la relation a duré 3 ans et a donné naissance à une petite fille. Elle a grandi à Singapour avant de retourner y vivre à l'âge de 31 ans, “je suis une third culture child, mon mari lui, n’est ni français ni singapourien. Il a toujours été dans le contrôle. Moi, comme tout le monde, je trouvais des excuses à ses comportements.” Mais à l’arrivée de leur fille, elle ne le reconnaît plus et n’arrive plus à l’excuser. 

Elle lui annonce son souhait de le quitter, alors il dénonce sa consommation de cannabis - pour gérer son stress conjugal, elle fumait occasionnellement -, auprès des autorités Singapourienne et en deux semaines, elle est arrêtée. Elle est incarcérée dans un Drug Rehabilitation Center, qui se trouve au sein de la prison centrale à Changi. Pendant sept mois, elle raconte n’avoir droit qu’à une heure par jour hors de sa cellule partagée de 21 mètres carrés. Sans matelas, brosse à cheveux ou shampoing. Durant son incarcération, elle a traversé des moments d'effondrement émotionnel avant de trouver une force intérieure grâce à la méditation, le yoga et des lectures inspirantes. A sa sortie, elle porte un bracelet électronique pendant 5 mois.

 

 

"Etre séparée de ma fille a été le plus douloureux. Elle n’avait que 20 mois quand je l’ai quittée. L’impatience de la revoir est ce qui m’a donné la force de ne pas sombrer” raconte Julie.

 

Mais aujourd’hui, Julie considère cette période comme un tournant dans sa vie, lui permettant de développer une résilience qu’elle met aujourd’hui au service des autres en tant que coach de vie et pour aider d’autres femmes comme elle. Le combat judiciaire pour la garde de sa fille a duré cinq ans, marqué par des déplacements incessants entre Singapour et les États-Unis, où elle a refait sa vie et depuis peu, elle a enfin pu récupérer sa fille. Malgré tout, elle a choisi de pardonner à son ex-mari, non pas pour lui, mais pour elle-même et pour préserver l’équilibre de leur fille.

 

image de main
© Mathilde Langevin, Unsplash

 

Les violences conjugales dépassent les frontières

Ces quatre témoignages, aussi différents soient-ils, révèlent une constante : les violences conjugales transcendent les frontières, qu’elles soient culturelles, géographiques ou sociales. Aujourd’hui, ces femmes continuent de se battre, non seulement pour leur propre liberté et celle de leurs enfants, mais aussi pour sensibiliser les autres. 

 

 

Et des ressources existent pour les accompagner. La plateforme Save You, par exemple, offre des conseils et un soutien adapté aux victimes de violences conjugales dans un contexte d’expatriation. Aussi, le groupe Facebook Expats nanas : séparées, divorcées permet de libérer la parole. "Pour beaucoup, nous vivons toutes le même cycle de violence, d’excuses et 'd’amour' puis de retour à la violence." Il est crucial de savoir que celles et ceux qui subissent cette véhémence ne sont pas seuls. Ensemble, nous pouvons briser le silence et tracer un chemin vers l’espoir.

 

*Pour préserver l'anonymat et la sécurité des quatre femmes interrogées dans cet article, leurs prénoms ont été modifiés.

 

 

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