Ils s’aiment, mais doivent se cacher. Elles ont leurs règles, mais doivent faire semblant de rien. Iels veulent simplement exister, mais l’État les traque. La sexualité, loin d’être une affaire privée, reste un champ de bataille politique. À l’heure des réseaux globaux, des prides mondiales et du porno en accès libre, les tabous sexuels n’ont pas disparu, mais se déplacent, se durcissent, se réinventent. Tour d’horizon global de ce que les sociétés veulent encore taire.


Le mot tabou vient du polynésien tapu, qui signifie « interdit » ou « sacré », popularisé en Europe par le navigateur James Cook au retour de son premier tour du monde durant lequel il séjourne à Tahiti.
Ce mot désigne un sujet qu’on évite d’aborder, par crainte de choquer, de troubler ou de transgresser une norme implicite. Certains tabous sont encadrés par la loi, d’autres simplement par le poids des convenances. La sexualité entre pleinement dans cette zone grise. Elle est présente partout, dans les imaginaires, dans les discours médiatiques, mais encore frappée d’interdits dès qu’il s’agit de désir hors normes, de plaisir féminin, de genres invisibilisés. Derrière l’omniprésence apparente, le silence reste massif.
Afrique : entre interdits coutumiers, homosexualité criminalisée et répression d’État
Dans 64 pays sur 193, l’homosexualité est encore criminalisée. Et dans douze d’entre eux, parmi lesquels la Mauritanie ou le Nigéria, elle peut coûter la vie. Le corps qui aime "hors-norme" est un corps risqué, n’ayant pas droit à la lumière.
En Afrique subsaharienne, les tabous sexuels se heurtent aux coutumes, aux religions et à l’héritage colonial. Dans 27 pays du continent, l’homosexualité est interdite par la loi selon Tv5monde. Ces dernières sont souvent importées par les anciens empires européens. À cela s’ajoutent les sanctions sociales comme le rejet familial, la perte d’emploi, les menaces, les violences…

Au-delà des orientations sexuelles, ce sont les expressions de genre qui sont frappées d’illégalité, de pathologisation ou d’invisibilisation. En Ouganda, une loi de 2023 permet de condamner à mort pour le délit qualifié d’« homosexualité aggravée », et prévoit la prison à vie pour un simple contact homosexuel entre adultes consentants.
La sexualité des femmes n’échappe pas à la règle. L’excision, bien qu’officiellement condamnée, reste pratiquée dans de nombreux pays. Il est difficile de chiffrer précisément, car beaucoup de pays ne veulent pas transmettre leurs données concernant cet acte. On estime cependant que les mutilations sexuelles féminines touchent plus de 200 millions de filles et de femmes dans le monde. 90 pays seraient le lieu de cette pratique, dont voilà une cartographie, réalisée par l’association Excision Parlons-En.
Et les violences sexuelles, parfois systématiques dans les zones de conflit (RDC, Soudan, Éthiopie…), restent tues. Par peur, par honte, ou par nécessité de continuer à vivre dans la communauté.
Asie : puritanisme sous contrôle
Le tabou sexuel n’est pas toujours une affaire de religion. En Chine, c’est l’État qui régule le désir. Depuis 2021, l’Administration nationale de la radio et de la télévision de Chine (NRTA) a formellement interdit la présence à la télévision de « sissy men and other abnormal aesthetics », c’est-à-dire des hommes perçus comme efféminés. Les contenus LGBTQ+ sont censurés en ligne. La sexualité devient un sujet de sécurité nationale.
En Inde, l’article 377 qui criminalisait les relations homosexuelles a été abrogé en 2018, mais les violences policières, les « viols correctifs » et l’exclusion sociale persistent. Les rapports hors mariage restent très mal vus. Et l’idée même de sexualité féminine autonome demeure explosive.
Dans l’Afghanistan des talibans, tout est redevenu interdit : éducation sexuelle, contraception, discussions sur les règles. La sexualité des femmes est gérée comme une zone à haut risque. Silence obligatoire.
Au Pakistan, comme dans de nombreux endroits du monde, les menstruations sont un tabou immémorial. D’après une étude menée en 2013, seules 17 % des Pakistanaises utilisaient des serviettes hygiéniques, faute d’accès, d’éducation ou à cause de la stigmatisation sociale. Dans d’autres régions du globe, comme à Madagascar, avoir ses règles est considéré comme une période de malédiction : les femmes sont alors mises à l’écart de certaines activités sociales ou interdites de cuisiner. Ces tabous sont parfois consolidés par certaines interprétations religieuses. Selon certaines interprétations de l’islam, les femmes menstruées ne peuvent ni entrer dans une mosquée, ni accomplir certains actes rituels. Le judaïsme orthodoxe impose également l’exclusion temporaire des femmes, qui doivent se purifier dans un mikvé (bain rituel) à l’issue de la période.

Moyen-Orient : sexe, péché et politique
La région concentre certains des interdits les plus brutaux. En Arabie saoudite, l’homosexualité est assimilée à de la déviance morale et est punie de peine de mort. Tout comme en Iran, où les pendaisons de jeunes hommes accusés d’actes homosexuels n’appartiennent pas au passé : elles continuent, parfois médiatisées comme des châtiments divins, à servir de leçons de morale. Quelques mois avant la coupe du monde de football au Qatar en 2022, le monde entier se préparait aux interdits du pays : l’Émirat comptait appliquer aux visiteurs étrangers, joueurs comme supporters, l’interdiction des relations sexuelles hors mariage, tandis que les couples gays étaient refusés par plusieurs hôtels recommandés par la Fifa, selon Ouest France.
Critiquer la religion, parler de sexualité dans les médias ou revendiquer une liberté corporelle est passible de lourdes peines. Le tabou est sanctuarisé. Le corps, particulièrement celui des femmes, est à la fois sacralisé et contrôlé : pudeur, virginité, chasteté, interdiction d’avorter…
Amériques : miroir brisé du progrès, entre l’antiavortement et la censure LGBT
Les États-Unis alternent entre avancées fulgurantes et retours de bâton. L’annulation de Roe v. Wade en 2022 a rouvert la guerre sur l’avortement. Dans une dizaine d’États, avorter est devenu quasiment impossible, même dans des situations sinistres. En 2025, une femme enceinte en état de mort cérébrale est maintenue artificiellement en vie jusqu’à la naissance de son bébé, en conséquence de la loi anti avortement dans l’État de Géorgie… En parallèle, plus de 500 lois anti-LGBT ont été déposées en 2023 dans les assemblées locales. La Floride a interdit les discussions sur les questions de genre à l’école. On censure les livres, on pourchasse les drag queens, on parle de « retour à la décence ».
En Amérique latine, les contrastes sont frappants. L’Argentine a légalisé l’avortement et dispose d’une des lois les plus avancées sur la reconnaissance des identités de genre. Mais sur le même continent, au Honduras, les relations homosexuelles sont un délit et l’avortement est interdit en toutes circonstances, même en cas de viol.

Europe : pudeur moderne et tabous persistants
On croit parfois que tout est dit en Europe, mais le silence est plus subtil. En France, on parle peu de sexualité des personnes handicapées. Peu de celle des personnes âgées. Et presque jamais de celle des femmes sans enfant. La liberté sexuelle s’arrête souvent là où commence l’inconfort social.
À la surface, les discours changent. L’amour entre personnes de même sexe est de mieux en mieux accepté dans certains coins du monde. Selon un rapport de Pewresearch sur la fracture mondiale en matière d'homosexualité partagé en 2020, 94 % des Suédois y sont favorables, le pourcentage le plus haut au niveau mondial. Mais la Russie, la Pologne ou la Hongrie inventent chaque année de nouvelles lois pour refermer le placard à double tour. En Pologne, Hongrie ou Russie, les contenus « faisant la promotion de l’homosexualité » sont interdits dans les écoles, les bibliothèques ou les médias publics. En Russie, une loi de 2022 a même élargi cette interdiction à « toute discussion d'identité sexuelle non conforme » sur Internet. Le Parlement polonais, lui, envisage toujours une « zone sans idéologie LGBT » dans plusieurs régions.
Malgré des données qui restent parfois décevantes, l’acceptation de l’homosexualité grimpe progressivement chaque année.
Dans son rapport 2024, Human Rights Watch alerte sur la montée des violences contre les minorités sexuelles à l’échelle mondiale. « Les droits des femmes, des filles et des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) ont subi de lourdes représailles dans de nombreux endroits, comme en témoignent les persécutions sexistes perpétrées par les talibans en Afghanistan. », note l’organisation. Le corps n’est jamais un détail. Il est souvent la première cible.
Vous n’avez pas dû le manquer, les minorités politiques comme les femmes et les personnes LGBTQ+ sont les plus touchées par ces silences grinçants. Derrière les interdits, il y a des vies. Des jeunes qui fuient leur pays. Des femmes qui avortent clandestinement. Des familles qui mentent pour protéger. Et des résistances, heureusement, qui grandissent. Marches, podcasts, romans, hashtags, autant de manières de redonner la parole ou de porter des voix tues dans certaines régions du monde.
Parler de sexualité est politique. Il s’agit désormais de choisir la lumière contre l’obscurité, l’écoute contre le silence, le réel contre le fantasme. Il est nécessaire de dire et redire que les corps ne sont pas honteux, que le désir n’est pas un crime, que le sexe ne devrait jamais être un tabou.
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