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« L’expatriation bouscule le sentiment d’identité »: les signaux avant le burn-out

S'expatrier à l’étranger est une aventure, capable de transformer votre vie… mais aussi de mettre votre santé mentale à rude épreuve. Derrière l’excitation de la nouveauté se cachent souvent des signaux d’alertes du burn-out. Pourtant, rares sont ceux qui font le lien entre leur santé mentale et leur expatriation. Pour en parler, Lepetitjournal.com a rencontré Élodie Seng, une praticienne en psychologie spécialisée en expatriation résidant à Rio de Janeiro, au Brésil.

femme face à la mer vu montagne femme face à la mer vu montagne
Écrit par Manal Oumaline
Publié le 27 novembre 2025, mis à jour le 3 décembre 2025

 

 

Le burn-out, ou épuisement professionnel, est défini par l’OMS comme un syndrome résultant d’un stress chronique non bien géré, qui déclenche des effets comme la fatigue extrême, le détachement ou encore le sentiment de manque d’accomplissement. En 2022, une étude menée par la compagnie d’assurance Cignal Global auprès de 11.922 personnes révélait que 90 % des expatriés se déclarent stressés, contre 77 % des personnes vivant dans leur pays d’origine. Une preuve que le sujet reste d’actualité et ne doit pas être pris à la légère. L’enquête s’est penchée sur cinq facteurs clés : la famille, les finances, la santé physique, la vie sociale et le travail. 

 

Encore aujourd'hui, l'expatriation fascine. On s’imagine souvent dans un scénario où chaque journée est intense et source de découverte. « Au début, il y a beaucoup de nouveautés et d’élan, tout semble possible » révèle Élodie Seng praticienne en psychologie et psychothérapie pour expatriés francophones installée à Rio de Janeiro au Brésil. Les réseaux sociaux nous vendent ce rêve : coucher de soleil sur une plage étrangère, apéritifs entre collègues internationaux, weekend improvisé dans une ville voisine… Bref, tout semble parfait. D’un point de vue psychanalytique, « L’expatriation vient bousculer le sentiment d’identité. Il faut un temps pour se réorganiser dans ce nouvel environnement. Cette période de flottement fait naturellement partie du processus d’adaptation. » explique Élodie. 

 

 

Pourquoi les expatriés sont-ils plus exposés à l’épuisement ?

Dans leur pays d’accueil, beaucoup d’expatriés occupent des postes à forte responsabilité ou évoluent dans des environnements très compétitifs. On attend d’eux une adaptation rapide, une performance irréprochable, voire même qu’ils « méritent » cette place. Mais derrière cette image de réussite, la charge mentale explose : il faut être performant, comprendre les codes locaux, gérer la barrière de la langue et s’adapter sans cesse, parfois sans soutien.

Ce sont d'ailleurs les causes majeures du burn out des expatriés. Beaucoup de salariés finissent aussi par se sentir émotionnellement épuisés, détachés de leur travail et même de leurs collègues, à force d’essayer de trouver un nouvel équilibre. En plus de l’absence de routine, le manque de soutien sur place et l’éloignement des proches créent un véritable vide dans leur quotidien. Hors de leur zone de confort, ils ont le sentiment de ne plus savoir où se situer. La mobilité entraîne une séparation avec l’environnement habituel, ce qui accentue le sentiment d’isolement chez l’expatrié.

 

Ôde à l’invisible résilience des conjointes suiveuses d'expatriés…

 

Le burn-out ne touche pas uniquement les expatriés en poste, mais aussi les conjoints suiveurs. Souvent sans activité professionnelle et confrontés à l’isolement, ils sont eux aussi particulièrement vulnérables. Là où la personne en poste peut rapidement trouver sa place, le conjoint doit reconstruire de zéro. En consultation, la spécialiste explique que l’absence de cadre et de réseau immédiat rend le soutien de son partenaire d’autant plus important. Solution immédiate, le conjoint peut également sociabiliser avec des structures d'accueil comme des associations locales, des réseaux d'entraides ou encore des groupes d’expatriés. Mais, parfois, cela ne suffit pas… 

 


 

Mal-être et désillusion en expatriation, les premiers signes 

L’expatriation bouleverse tous les repères habituels : la langue, les codes sociaux, les routines, parfois même la manière de sociabiliser ou de travailler. Sans réseau familial ou amical sur place, beaucoup d’expatriés se retrouvent dans une situation de solitude sociale et identitaire. Selon une étude du Baromètre Expat Communication, 84 % des expatriés disent ressentir un fort besoin de s’intégrer dans la communauté locale ou expatriée de leur pays d’accueil en 2023. 

portrait praticienne psychologie Élodie Seng
©Élodie Seng 

Face à l’échec d’intégration, certains expatriés finissent par limiter leurs interactions, ne sortent plus, se renferment. Ce repli renforce encore… l’isolement initial. Les principales causes de solitude en expatriation sont la barrière de la langue, les différences culturelles, le besoin de se créer de nouveaux repères et l’éloignement des proches

 

 

 

 

« S’expatrier, c’est aussi faire le deuil de son monde d’avant. »

Les expatriés ont souvent tendance à sous-estimer l’impact de la distance avec leur famille et leurs amis, selon Élodie Seng. L’experte explique qu’une fois la routine installée, apparaît un sentiment de manque et de perte des moments partagés. La distance n’est pas seulement géographique, elle est aussi mentale, avec la disparition des figures familières qui maintiennent l’identité. Les expatriés ressentent alors un flottement ou un déracinement comme s’ils se trouvaient entre deux mondes. 

 

 

homme appel vidéo sa femme et sa fille sur ordinateur chemise carreaux

 

L’isolement n’explique pas tout : l’éloignement des proches crée un stress important, renforcé par la pression quotidienne et les attentes liées à l’expatriation.: “Je n’ai pas le droit de me plaindre, j’ai de la chance d’être parti”. Cette culpabilité empêche de reconnaître que la personne va mal, et peut amplifier les symptômes de mal-être.

 

«L’expatriation ne crée pas le mal-être, elle le met en lumière. En nous éloignant de nos repères habituels, elle nous renvoie à l’essentiel»

 

Voici un exemple vécu par l’un des clients de la praticienne qui illustre ce phénomène : un homme parti à l’étranger avec sa famille pour un poste très prometteur se sentait vide, irritable et sans énergie, malgré un environnement agréable et un confort matériel. “Je ne comprends pas, j’ai tout pour être heureux, mais je n’y arrive pas”, disait-il. Lors de la consultation, il s’est rendu compte que son mal-être ne provenait pas uniquement de l’expatriation, mais de l’éloignement et l’absence des repères familiaux avaient en réalité ravivé des insécurités déjà présentes. L’expatriation, loin de créer le mal-être, l’avait simplement mise en lumière.

 

 

​​Le burn-out se traduit aussi par un sentiment d’impuissance. L’individu a l’impression de ne pas disposer des moyens pour changer sa situation ou résoudre ses difficultés. Cette sensation peut devenir si envahissante qu’elle conduit, souvent de manière inconsciente, à se blâmer soi (retour au sentiment de culpabilité) et à penser que le problème vient de soi. Ce mécanisme affecte directement la confiance en soi et l’estime de soi et peut progressivement miner la motivation.

Cette désorganisation temporaire n’est pas un signe d’échec, mais une étape normale de l’adaptation à un nouvel environnement comme le souligne Élodie Seng ; « Je dirais que c’est une phase où tout doit être redéfini, à commencer par la manière d’habiter le monde et de se sentir soi. »


 

homme assis tshirt blanc ordinateur travaille fatigué burn out stressé

 

 

 

Le burn out en expatriation, quand le corps parle

Les symptômes psychologiques ne restent jamais invisibles et se répercutent souvent sur le corps. Pour l’expatrié, le burn-out ne résulte pas uniquement du travail. Les causes sont souvent multiples et mêlent vie professionnelle et vie personnelle. Un déséquilibre entre les deux peut rapidement générer stress et épuisement. 

Parmi les principaux symptômes physiques associés au burn-out, on retrouve des troubles du sommeil ou des insomnies, des douleurs chroniques, une perte d’appétit, des maux de tête, une prise ou une perte de poids, ainsi que différents troubles ORL, dermatologiques ou digestifs.

 

Santé mentale en expatriation : quand la thérapie en ligne peut briser l'isolement

 

Ils existent aussi des symptômes émotionnels, des signes qui se manifestent dans l’humeur et les émotions des personnes. Le burn-out se manifeste par différents signaux, comme un manque de motivation ou une tendance à procrastiner, un désengagement professionnel ou personnel, des troubles de l’humeur tels que la colère, l’irritabilité ou la tristesse, une angoisse persistante ou un mal-être général. Il peut aussi entraîner un détachement émotionnel, une perte de sociabilité, un isolement, une baisse de confiance en soi, ainsi qu’un sentiment de persécution ou une méfiance exagérée.

 

 

Comment réagir et préserver sa santé mentale en expatriation ?

De simples gestes permettent de prévenir le mal être et de ne pas se laisser déborder par le stress, avec une routine stable qui aide à s’adapter même dans un environnement nouveau. 

 

«Il y aura des hauts et des bas, des moments d’élan et d’autres de grand vide. Ce n’est pas un signe d’échec, c’est normal»


Et cela commence avant même de partir ! Selon Élodie, les expatriés doivent prendre le temps de se faire la réflexion sur la raison de cette expatriation (Qu’est-ce que je viens chercher là-bas ? Qu'est-ce que je laisse derrière moi ? Qu’est-ce que cette expérience va me faire changer en moi ?) pour comprendre que cette expérience n’est pas destinée à tout le monde, et donc si elle est adaptée au profil et aux ambitions de chacun. 

 

 

amis qui rigolent ensemble assis avec un ordinateur sur canapé orange

 

 

Pour prévenir l’épuisement émotionnel et physique, la spécialiste recommande plusieurs pistes concrètes. Par exemple, chaque jour, tentez de trouver votre repère personnel. Un café où l’on aime s’installer pour observer le monde, un parc où vous revenez sans raison précise, ou ce banc au bord de l’eau qui vous invite à respirer profondément. Ces lieux deviennent de véritables repères, des petites bases de stabilité dans un quotidien en mouvement. 

En parallèle, il est important de créer de nouveaux repères, que ce soit à travers des rencontres, de nouvelles activités ou des expériences. Pourquoi ? Parce que s’ancrer dans un environnement étranger peut se révéler déstabilisant. Ces nouveaux repères apportent de la stabilité et aident à créer un réseau de soutien. La solitude, aussi peut parfois peser lourd mais continuer de parler à ceux qui comptent peut réellement apporter, un simple appel ou message peut faire toute la différence.

 

Expatriés : comment prendre soin de votre santé mentale à l’étranger ?

 

Prendre soin de corps est primordial pour prévenir le burn-out. Un corps fatigué ou négligé amplifie le burn-out plus vite qu’on ne le pense. Dormir suffisamment, manger équilibré et bouger régulièrement ne sont pas de simples recommandations de bien-être : ce sont de véritables boucliers anti-stress. Prendre soin de son corps permet aussi de renforcer la résilience mentale. Il est aussi important d’être indulgent et bienveillant envers soi-même, l'expatriation reste une épreuve qui demande des efforts et de l’adaptation et il est normal de connaître des hauts et des bas. C'est d'ailleurs le moment idéal pour apprendre à lâcher prise, de prendre conscience qu'on ne peut pas tout contrôler. Il ne faut pas chercher à tout comprendre et maîtriser, l'expérience n'en sera que meilleure. 

Partir à l’étranger n’est pas une promenade de santé, c’est un voyage qui secoue et une expérience unique. La santé mentale peut impacter négativement comme positivement votre expatriation. Il est essentiel de ne pas la négliger et d'en prendre soin. En cas d’apparition de l’un de ces signes d’alerte, il est important de consulter un professionnel ou de se tourner vers son entourage pour ne pas rester seul.


 

 

 

 


 

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