Le rêve, c'est celui des enfants des rues vivant la pauvreté et la violence au quotidien sur la grande décharge de Phnom Penh. Rêve de s'ouvrir un avenir différent. Rêve devenu réalité pour 10000 enfants; depuis qu'un autre rêveur, Christian des Palières, avec sa femme Marie-France, s'est engagé en 1997 dans « POUR UN SOURIRE D'ENFANTS ». Témoin privilégié depuis 2000 du travail formidable accompli par les intéressés, Xavier de Lauzanne a réalisé avec LES PEPITES un film témoignage extrêmement émouvant, dont il commente la genèse dans cet entretien.
« Nous avons tous un rêve à réaliser » figure en exergue du dossier de presse du film Les Pépites. Le film a été projeté en première à Singapour à l'Alliance Française le samedi 11 mars en ouverture du festival de la francophonie. Une seconde séance de projection est prévue le dimanche 19 mars à 19:00 .
Votre parcours de cinéaste n'a rien de banal car vous vous êtes, paraît-il, formé sur le tard après un parcours dans le domaine de l'hôtellerie
Xavier de Lauzanne - C'est vrai j'ai commencé avec une formation dans une école hôtelière et un BTS hôtellerie. J'ai travaillé pendant plusieurs années dans la formation hôtelière. C?est dans ce cadre que je suis parti en Martinique et au Vietnam pendant 3 ans, puis que j'ai fait des études de faisabilité pour une ONG à Hô Chi Minh et à Phnom Penh, avant de partir, en 2000, pendant 3 ans, à Hanoi pour un projet d'école. C'est comme ça que j'ai rencontré Christian et Marie-France des Palières.
Dans quelles circonstances avez-vous commencé à faire du cinéma ?
- Depuis longtemps j'étais passionné par le cinéma. J'ai proposé de faire un film de communication pour l'association « Pour un Sourire d'Enfant » (PSE). Ensuite j'ai créé avec un ami ma propre société de production qui réalise des films institutionnels et des documentaires. En 2003, j'ai réalisé un documentaire de 52 mn pour PSE. En 2007, j'ai proposé à Christian des Palières de revenir sur l'histoire de « Pour un sourire d'Enfant » dans le cadre cette fois d'un long métrage : LES PEPITES.
Le projet a donc été très long
- Plutôt qu'un long projet, je parlerais d'un long parcours. J'ai fait la connaissance de Christian des Palières en 2000. Nous sommes devenus amis. J'ai assisté, pratiquement depuis les débuts à toutes les étapes du développement de « Pour un souvenir d'enfant ».
Comment, dans ces circonstances, se forme-t-on au cinéma ?
- Comme un autodidacte, c'est à dire de manière empirique. J'ai commencé, en 1999, par acheter l'une des premières caméras numériques sur le marché. Dans « Hanoï entre dux 14 juillet », j'ai suivi en images un ami cyclopousse, à Hanoï, entre deux 14 juillet (1999 et 2000) qui marquaient le changement de siècle. Pendant un an j'ai filmé et filmé. Mais, je me suis rendu compte cependant que je n'avais pas réellement de notion à l'époque de la manière de raconter une histoire. Ce n'est pas suffisant de filmer. Il faut raconter une histoire. J'ai fait un film, « retour sur la RC4 » qui a été mon premier vrai documentaire. C'est ce qui m'a permis de me lancer.
Pourquoi les documentaires essentiellement ?
- Ce n'était pas prémédité. Dans le cadre de mon cursus et de mon apprentissage, j'ai beaucoup voyagé et rencontré beaucoup de gens. J'ai eu envie de raconter la vie de ces gens que je croisais. Mais mon prochain projet, sur lequel je travaille actuellement, sera un film de fiction qui n'aura rien à voir avec le contexte de mes documentaires.
Le documentaire est-il un genre porteur ?
- Les documentaires sont des films très difficiles à faire. Il n'y a pas d'économie du documentaire. Ce sont généralement de petits projets très longs à mettre en ?uvre parce qu'on traite de la réalité. Il faut convaincre en amont tout un ensemble de personnes : depuis ceux qui pourront contribuer au financement du film jusqu'aux diffuseurs. Dans le cadre de ma société de production ? Aloest production ? ce qui me permet de financer les documentaires, ce sont les films de commande que je réalise par ailleurs. Le film LES PEPITES a mis 4 ans à se faire.
Vous remerciez sur votre site les contributeurs qui vous ont soutenu via KissKIss BankBank. Cette plateforme de crowdfunding a-t-elle été un des éléments importants du financement des PEPITES ?
- Les fondateurs de KKBB ont adoré le film et ont tout de suite voulu faire quelque chose. A ce stade, le film était déjà réalisé. Le propos n'était donc plus de financer la production. En revanche, ce qui nous manquait vraiment c'était la visibilité. Il n'est pas possible pour un documentaire de bénéficier d'un budget spécifique pour la promotion comme cela existe pour les films de fiction. Ce qu'on a donc demandé aux gens, c'est de nous aider à créer la visibilité autour du film. Cela s'est fait à travers la réalisation d'un contenu que les gens se partagent et qui supporte le bouche-à-oreille. Par ailleurs, l'argent récolté a permis de faire un peu de publicité dans de grands journaux comme le JDD.
Comment s'est forgé le projet de refaire, cette fois sous la forme d'un long métrage, un film sur les enfants des décharges de Phnom Penh et l'action de PSE ?
- Quand on est réalisateur, on n'aime pas trop revenir sur un sujet qu'on a déjà traité. La motivation est d'habitude d'aller vers autre chose. En ce qui concerne « Pour un Sourire d'Enfant », cependant, l'histoire était tellement incroyable que j'avais très envie d'y revenir, mais différemment, c'est à dire en mettant beaucoup plus en relief sa charge émotionnelle, tellement puissante.
Ce que n'avait pas permis le film précédent réalisé pour la télévision ?
- Non, car la télévision oblige à recourir à un langage beaucoup plus direct et beaucoup plus franc.
Comment avez-vous fait pour mettre l'accent sur l'émotion?
- En utilisant un langage sensoriel. C'est à dire en appliquant la courbe émotionnelle qui est ressentie par tous les gens qui découvrent la situation sur place. On y est en permanence animé par des sentiments qui oscillent entre des éléments positifs et négatifs. Côté négatif, il y a l'environnement de pauvreté et de violence terrible auquel sont confrontés les enfants. De l'autre, il y a les enfants, auxquels il suffit de rien pour accéder à la joie. Le pari était de construire le film sur cette courbe sinusoïdale.
Le but du film n'était pas de dénoncer la situation mais davantage de mettre en avant la manière dont l'accès à l'éducation, comme moyen de s'ouvrir un avenir professionnel, apportait une réponse. Une réponse de taille puisque, entre les enfants qui ont pu étudier grâce à PSE et ceux qui étudient actuellement, ce sont 10000 enfants qui ont vu leur vie transformée.
Il y a une amplitude phénoménale entre le début de l'action de Christian et Marie-France, quand ils commencent par installer une paillotte, aux pieds de la décharge, pour offrir aux enfants un repas, de quoi se laver et les premiers soins, et ce qu'ils ont bâti 20 ans plus tard. On voit dans le film à quel point Christian des Palières était prédisposé aux voyages et aux rêves. Marie-France et lui ont vécu leur rêve complètement. Lui était retraité d'IBM quand il est arrivé au Cambodge. Il croisait les enfants des rues dans des états pas possibles. Personne ne connaissait la décharge. On savait qu'elle existait, mais on n'imaginait pas concrètement à quoi cela pouvait ressembler dans la réalité. Quand il la découvre, amené là par les enfants des rues, c'est un choc.
Un choc à cause non seulement de la pauvreté mais aussi de la violence dont les enfants sont victimes
- C'est ce qu'on appelle le 1er choc et le 2nd choc. Le premier choc c'est la découverte de la décharge et des enfants. Le deuxième choc intervient quand on découvre les violences familiales. Il faut savoir qu'en 1996, il n'y avait pas d'état civil. On pouvait tuer un enfant en toute impunité.
Et en contrepoint, il y a les enfants qui vous épatent par leur extraordinaire résilience
-Dans le film, il y a des témoignages assez durs. Je n'ai pas cherché à occulter la violence pour ménager le spectateur. Mais l'objectif n'est pas de dénoncer la violence, il est d'apporter une réponse. Tous les enfants qu'on voit dans le film sont aujourd'hui pères ou mères de famille.
Compte tenu du sujet, le risque de faire du bon sentiment représentait-il un écueil?
- Evidemment, le sujet posait la question du bon sentiment qui peut aller avec. Mais c'était un écueil que je connaissais et je savais comment faire pour le contourner. Quand on suit Christian et Marie France, compte tenu des réalités que l'on découvre, on n'est pas vraiment dans le bon sentiment. Après il y avait plusieurs choix. Il s'agissait de faire comprendre au spectateur la puissance de l'engagement de Christian et Marie-France des Palières. Je n'ai pas cherché un point de vue critique au sens de rechercher systématiquement un contrepoint de vue critique. Ce n'est pas le cinéma que j'aime.
Votre cinéma peut-il à ce titre être qualifié de militant ?
- Pas vraiment justement. Le cinéma militant est précisément plutôt construit sur la critique et la dénonciation. Il n'intervient pas en accompagnement. Les PEPITES est le 3ème film que je réalise après « D'une seule voix » sur le conflit Israélo palestinien et « Enfants valise », qui parle de l'immigration. J'essaye de montrer pourquoi j'y crois. Il faut trouver un équilibre très ténu entre ce qu'on peut montrer et ne pas montrer. Je me suis efforcé de me rapprocher au plus près de la limite d'acceptabilité.
Vous intégrez dans le film un certain nombre d'images d'archives, d'où viennent ces images?
- Entre les films réalisés par Christian des Palières, qui a toujours communiqué par l'image, et les images de la décharge que j'avais tournées en 2000, je disposais d'un stock de 400 heures d'images.
Un certain nombre des opérateurs qui vous ont assisté sur ce film venaient de l'école de cinéma créée par Christian des Palières.
- En effet, Christian des Palières tenait beaucoup à créer une école de cinéma pour renouer avec une tradition cinématographique qui avait connu des heures de gloire au Cambodge et qui, comme beaucoup d'autres choses, avait été anéantie par les Khmers rouges. L'école qu'il a créée fait partie des meilleures écoles du pays. Dans la dernière partie du tournage je me suis exclusivement reposer sur les jeunes localement.
Quel regard portez-vous sur ces jeunes cinéastes en devenir ?
- La jeune génération des Cambodgiens s'intéresse beaucoup au cinéma. Ils deviennent très compétents sur le plan technique. Il leur reste encore à travailler tout ce qui touche au narratif et à la dramaturgie. La difficulté est qu'ils Ils manquent de références et n'ont pas suffisamment la culture du cinéma pour raconter des histoires.
Au moment de présenter votre film un peu partout dans le monde, y-a-t-il des choses qui vous comblent et à l'inverse des choses qui vous frustrent ?
- Ce qui me comble et me touche, c'est la façon dont les gens reçoivent, perçoivent le film, et en témoignent. Il y a beaucoup de messages spontanés, venant de gens de tous horizons, qui disent qu'ils ont été bouleversés et à quel point le film a conduit à une remise en question profonde concernant le sens qu'ils veulent donner à leur propre vie. C'est une histoire qui a d'énormes répercussions intimes chez les gens. A l'inverse, ce qui me frustre, c'est l'écart qu'il y a entre la manière dont le film est accueilli par le grand public et l'écho très assourdi qui en est fait dans les médias. Si le film, avec 200.000 entrées, a été un grand succès public, il l'a été essentiellement grâce au bouche à oreille.
Propos recueilli par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) lundi 13 mars 2016