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Frédéric de La Mure, photographe du Quai d’Orsay pendant 40 ans 

frederic de la mure photographe du Quai d’Orsay pendant 40 ans frederic de la mure photographe du Quai d’Orsay pendant 40 ans 
Écrit par Natacha Marbot
Publié le 13 décembre 2022, mis à jour le 14 décembre 2022

140 pays et 40 ans de carrière dans les coulisses de la diplomatie française. Ancien photographe officiel du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Frédéric de La Mure a capturé les grands moments de l’histoire internationale « en prenant toujours un pas de côté, parfois avec humour ». À l’occasion de la sortie d’un ouvrage rétrospectif sur sa carrière, Frédéric de la Mure a accordé à lepetitjournal.com une interview exclusive. 

 

Comment avez-vous commencé la photographie ?

J’ai commencé la photographie tardivement. Juste après mon baccalauréat, j’ai fait les vendanges l’été, et avec cet argent j’ai pu m’offrir mon premier appareil photo. J’ai beaucoup appris sur la photo en allant à des expositions, en lisant des livres sur le sujet. Pendant deux ans ensuite, j’ai mené de front mes études de droit et ma passion de la photo, notamment pendant les longues vacances que l’on a lorsqu’on est étudiant. Sur les quatre mois que j’avais de libre l’été, je suis parti faire des petits reportages à droite à gauche. J’ai travaillé sur le Nord de l’Europe, la Laponie, la photographie de l’enfant. 

Ce qui a tout changé, c’est le prix « Découverte du Japon » décerné par l’Association de presse France-Japon que j’ai remporté en 1978. J’avais fait un sujet sur l’enfance au Japon. Cela a bien plu car souvent à ce moment-là, on abordait le Japon par le biais des questions économiques et jamais de sa population. 

 

C’est par le hasard de la vie et des rencontres que je suis rentré au Quai d’Orsay en 1981

 

Comment êtes-vous devenu le photographe du quai d’Orsay ? 

Avant mon arrivée, il n’y avait pas de photographe du Quai d’Orsay. Le ministère achetait ses photos aux agences de presse. À l’époque, à la fin des années 70, il y avait tous les jours un point presse au ministère entre le porte-parole et les journalistes pour leur expliquer quelle était la politique étrangère. Une journaliste de Radio France assistait à ces réunions quotidiennes et un jour le porte-parole annonce que le ministère se mettait à la recherche d’un photographe. Cette journaliste en question était dans le jury du Prix de 1978 et elle m’a contacté juste après cela. Nous étions 15 en lice et j’ai eu le poste. C’est donc arrivé par le hasard de la vie et des rencontres que je suis rentré au Quai d’Orsay en 1981. 

 

Le centre-ville de Beyrouth dévasté, décembre 1991. Copyright Frédéric de La Mure
Le centre-ville de Beyrouth dévasté, décembre 1991. Frédéric de La Mure

 

Pourquoi le Quai d’Orsay a-t-il choisi d’avoir son propre photographe ? 

Avant même l’aube d’internet, le but du ministère était de faire rayonner la France au travers des photographies. La règle a toujours été de ne pas publier mes photos dans la presse française, pour ne pas faire concurrence aux agences de photographie françaises. Mes photos ont donc été publiées surtout dans la presse étrangère.

Les deux tiers des pays dans le monde n’ont pas les moyens de se payer les photos de l’AFP ou de Reuters. Lorsque je faisais une photo dans un pays en particulier, l’attaché de presse de l’ambassade de France du pays se chargeait de faire le lien avec les journaux locaux et mes photos étaient publiées dans leurs pages. L’idée était que si une de mes photos apparaissait dans un journal étranger, c’était quelque part la France qui rayonnait. 

 

Je me suis plus souvent retrouvé avec les photo-journalistes que les diplomates

 

Avez-vous déjà été censuré par votre employeur sur des photos que vous vouliez prendre ? 

Non, tout s’est toujours très bien passé, même si je comprends qu’on puisse se poser la question, vu mon métier un peu particulier. Je travaillais avec le porte parole certes, mais nos métiers étaient très différents et finalement, je me suis plus souvent retrouvé avec les photo-journalistes que les diplomates. Comme j’étais seul à faire ce travail et qu’un rapport de confiance s’est vite installé, je n’ai jamais eu ce problème. 

 

Militaire français gardant le pont de Mitrovica au Kosovo en 2000. Frédéric de La Mure
Militaire français gardant le pont de Mitrovica au Kosovo en 2000. Frédéric de La Mure 

 

Quels sont les évènements que vous préfériez photographier ?

Ce qui me plaisait le plus étaient les reportages de fond à l’étranger. Je n’ai jamais aimé le côté sensationnel de la guerre, ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Ces dernières années, par exemple, j’ai fait toute une série de reportages auprès des réfugiés climatiques en amont de la COP21, ce qui était passionnant. Sinon, il y avait des parties moins amusantes, comme la couverture des sessions d’assemblée générale des Nations unies chaque année, qui étaient assez répétitives. J’ai beaucoup évolué au gré des événements. En commençant ma carrière, je n’aurais jamais cru que je ferai des reportages sur le climat par exemple. 

L’élément unique de mon métier était que je pratiquais le travail photographique en tant que tel, mais j’avais aussi accès à tout l’à-côté, à l’environnement des évènements. J’avais finalement beaucoup plus de contexte que les journalistes.

 

J’ai donc vu des expatriés faire de la culture, de la diplomatie, du commerce …

 

Vous avez eu l’occasion de croiser de nombreux Français de l’étranger au cours de votre carrière… 

Tout à fait ! Dans mon métier, je faisais ce que faisaient les Français. J’ai donc vu des expatriés faire de la culture, de la diplomatie, du commerce … J’ai, par exemple, réalisé  un reportage sur un jeune Volontaire international qui partait deux ans à Vladivostok pour tenter de monter une Alliance française, à 8h de décalage horaire de l’ambassadeur dont il dépendait. C’était tout à fait passionnant de le suivre. 

L'ambassadeur de France en Géorgie, Eric Fournier, offre une cigarette à un soldat géorgien pour établir le contact
L'ambassadeur de France en Géorgie, Eric Fournier, offre une cigarette à un soldat géorgien pour établir le contact. Frédéric de La Mure

Depuis que vous êtes à la retraite, avez-vous posé votre appareil photo pour autant ? 

Non, évidemment ! Après avoir sillonné la planète dans plus de 140 pays, j’ai décidé, quasiment au lendemain de ma retraite, de partir faire un grand tour d’Europe à bicyclette. J’ai fait des reportages qui ont un lien avec ce que je faisais avant. J’ai d’abord fait Lübeck (Allemagne) Trieste  (Italie) le long de l’ancien rideau de fer. J’ai aussi fait tous les Balkans - j’ai d’ailleurs été bloqué en Albanie par le Covid - car j’y avais effectué plusieurs reportages pendant les guerres balkaniques. Le but initial était de traverser la Turquie, puis prendre un bateau pour rejoindre Odessa et arriver à Kiev. Autant dire que mes plans ont changé. Depuis, je suis rentré en France et je repartirai au printemps prochain pour la Bretagne plus le Royaume-Uni. 

 

On a vraiment la géographie dans les jambes lorsqu’on voyage à vélo

 

Pourquoi choisir de voyager seul et à vélo pour vos reportages désormais ? 

Je pense que le vélo offre une bonne vitesse de voyage, après avoir dû longtemps travailler dans la rapidité, j’apprécie cette lenteur. On ne va pas si peu vite d’ailleurs car à raison de 100km de vélo (4h) par jour, on atteint 1000 km en 10 jours, ce n’est pas rien ! On a vraiment la géographie dans les jambes lorsqu’on voyage à vélo. Sans être un ours, j’aime être seul pour la photo car je m’arrête quand je veux et cela facilite aussi le contact avec les gens. 

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