Est-il possible de déchiffrer une écriture antique découverte il y a plus d’un siècle ? Cette question, l’archéologue français François Desset n’a plus besoin de se la poser. Il revient avec nous sur son déchiffrement de l’élamite linéaire et son officialisation en novembre 2020, ainsi que sur ses 7 années passées en Iran, d’où est originaire cette écriture vieille de plus de 4000 ans.
L’archéologue François Desset est parvenu en 2017 à déchiffrer l’élamite linéaire, un système d’écriture apparu vers 2300 av. JC dans le pays du Hatamti (généralement désigné par le concept mésopotamien d’Elam), la zone géographique correspondant aujourd’hui à l’Iran. Ce n’est qu’en novembre 2020, après 7 ans en Iran, que le Français officialise sa découverte aux côtés de ses collègues Kambiz Tabibzadeh, Matthieu Kervran, Gian-Pietro Basello et Gianni Marchesi. Le Toulousain d’origine a ainsi réussi à déchiffrer un système d’écriture vieux de près de 4400 ans, plus d’un siècle après sa découverte. Ce faisant, François Desset est également devenu le premier à réaliser un déchiffrement de cette ampleur depuis le Britannique Michael Ventris en 1952.
Comparé au célèbre archéologue Jean-François Champollion, à qui l’on doit le déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens à partir de 1822, cet enseignant-chercheur rattaché à l’université de Téhéran et l’équipe CNRS Archéorient ne compte pas s’arrêter en si bon chemin malgré la concrétisation d’une quête entamée en 2006. Entre déchiffrement du proto-élamite - plus ancien encore que l’élamite linéaire -, documentaire avec Arte et retombées médiatiques de sa découverte, François Desset, de retour en France depuis, nous raconte tout de ce travail de longue haleine qui aura duré 11 ans.
« L’élamite linéaire est un système d’écriture phonétique qui fonctionne avec 5 valeurs pour les voyelles, 12 valeurs pour les consonnes, et 60 valeurs pour les syllabes correspondant au croisement des 12 consonnes aux 5 voyelles. C’est donc un système construit autour de 77 valeurs phonétiques. Quand on compare cela avec les systèmes contemporains mésopotamien et égyptien, on a là un système très précis et très économe en signes, d’une redoutable efficacité. » |
Qu’est-ce qui vous a amené à Téhéran en premier lieu ?
C’est l’archéologie qui m’a amené en Iran. Je suis historien-archéologue et j’ai commencé à m’intéresser à ce pays et au Proche-Orient antique de manière générale en 2003 car c’est une zone exceptionnelle pour l’histoire de l’humanité. Je suis venu en Iran pour la première fois en 2006 pour participer à des fouilles et j’y ai résidé de manière continue de 2014 à fin 2020. J’enseignais à l’université de Téhéran tout en continuant à réaliser des fouilles, j’ai donc un rapport très particulier avec ce pays. Ma découverte a d’ailleurs une grande importance pour le peuple iranien, c’est comme si on venait de déchiffrer les hiéroglyphes pour les Egyptiens. Ce qui vient de se passer est très important pour l’histoire et l’identité iranienne, car il s’agit du déchiffrement du seul système d’écriture originaire de cette région du monde. Tous les autres systèmes utilisés par la suite (cunéiforme, alphabets araméen ou arabe) ne seront que des écritures importées depuis l’ouest.
Comment avez-vous déchiffré l’élamite linéaire alors qu’aucun archéologue n’y était parvenu depuis sa découverte il y a plus d’un siècle ?
Les premiers textes ont été découverts en 1903 sur un site en Iran, à Suse. Quelques progrès avaient été faits immédiatement par des chercheurs allemands dans les années 1900-1910. Depuis, le déchiffrement était à l’arrêt en raison du nombre très restreint de textes à la disposition des spécialistes. Cependant, leur nombre a doublé au cours des 20 dernières années et nous en connaissons à présent 43. J’ai donc pu déchiffrer cette écriture car j’ai eu accès à de nouveaux textes, une collection de vases en argent appartenant à une collection privée à Londres. J’ai pu les dater d’après leur forme du début du deuxième millénaire av. JC. J’ai pu y identifier des séquences de signes qui notaient des noms de rois, ce qui m’a donné la valeur d’autres signes. Après cela, il y a eu un effet domino.
J’ai commencé à travailler sur le déchiffrement de l’élamite linéaire en 2006 et, jusqu’en 2017, je n’ai quasiment pas progressé. Le déclic a réellement eu lieu au printemps 2017 alors que je me trouvais à Téhéran. C’est là que j’ai pu lire le nom d’un roi, Shilhaha, qui a régné vers 1950 av. JC.
A aucun moment, je n’ai cru que j’allais arriver à quelque chose jusqu’au moment du déclic. D’autres grands chercheurs s’étaient penchés dessus depuis 1903, et tous s’étaient cassé les dents. Cela m’aura tout de même pris 11 années, qui n’auront finalement pas été vaines, même si tout n’a pas été rose moralement. C’est peut-être l’énergie du désespoir qui m’a permis de ne pas lâcher, ou bien je n’avais rien d’autre à faire (rires).
On vous a évidemment comparé à Jean-François Champollion, qu’est-ce que cela vous inspire en tant qu’archéologue français maintenant reconnu à l’international ?
Il y a forcément des parallèles à faire. Champollion est un peu la star des déchiffreurs après son travail sur les hiéroglyphes, même s’il y en a eu d’autres avant lui comme l’abbé Barthélémy au XVIIIème siècle. Le dernier grand déchiffrement remontait à 1952 et le déchiffrement du linéaire B (notant une forme archaïque de la langue grecque, ndlr) par le Britannique Michael Ventris. Ce sont donc des comparaisons très flatteuses que mes co-auteurs et moi-même recevons bien sûr avec grand plaisir, même si ces déchiffrements sont différents et distincts. Quand Champollion déchiffre les hiéroglyphes en 1822, il n’a encore jamais mis les pieds en Egypte.
Quel lien avez-vous développé avec l’Iran ?
C’est mon terrain d’étude. Être en Iran m’a énormément apporté, même si le déclic en lui-même aurait pu survenir n’importe où. J’étais constamment en contact avec des Iraniens, notamment au cours des fouilles ou à l’Université, et j’ai très rarement côtoyé la communauté française sur place. C’est une période exceptionnelle de ma vie, que je regrette, mais j’ai dû passer à autre chose. Je travaille maintenant à la diffusion du déchiffrement auprès des Iraniens, car cette découverte est très importante pour l’identité iranienne. Je vais d’ailleurs bientôt sortir un article de vulgarisation à destination des Iraniens, et bien évidemment en persan.
Je suis très content pour l’Iran qui, comme vous le savez, traverse une période très compliquée de son histoire en ce moment. Ce déchiffrement, je le vois surtout comme un cadeau fait au peuple iranien. Tout ce qui peut servir et contribuer à développer la culture iranienne peut être utilisé comme une ressource intellectuelle par les Iraniens.
Il y aura un impact sur l’histoire iranienne et sur les considérations que l’on se faisait à propos du développement de l’écriture dans le monde
Quelle est la portée de ce que vous avez accompli pour l’archéologie et l’histoire de l’humanité ?
C’est une découverte majeure de l’archéologie et de l’histoire. Il y aura un impact sur l’histoire iranienne et sur les considérations que l’on se faisait à propos du développement de l’écriture dans le monde. Les déchiffrements n’arrivent pas tous les quatre matins. Depuis les années 1950, les glyphes mayas ou hiéroglyphes anatoliens ont été déchiffrés progressivement mais la dernière fois qu’un déchiffrement s’est produit d’un coup, comme si une porte s’ouvrait sur un territoire encore inconnu, c’était en 1952. Ce que nous avons fait n’avait pas été fait depuis 70 ans.
Le caractère exceptionnel de ce déchiffrement découle du fait que, jusqu’à présent, l’écriture apparaît dans le monde vers 3300 av. JC dans trois zones à peu près au même moment : l’Egypte, la Mésopotamie (actuelle Irak) et l’Iran. Jusqu’au déchiffrement de l’élamite linéaire, nous ne connaissions que deux systèmes d’écriture pour les périodes les plus anciennes : les hiéroglyphes égyptiens et le cunéiforme mésopotamien. Il faut savoir qu’il y a deux grands types de systèmes d’écriture dans le monde respectivement appelés phonétique (ex : mille euros) et logogrammatique (ex : 1000 €). Les plus anciens systèmes d’écriture, comme le cunéiforme et les hiéroglyphes, sont mixtes, alliant des notations phonétiques à des notations logogrammatiques.
La grande surprise de l’élamite linéaire a été de découvrir à la fin du déchiffrement qu’il s’agissait d’une écriture purement phonétique (sans aucun logogramme), qui ne notait que des sons. Jusque là, on pensait que le plus ancien système purement phonétique n’apparaissait que vers 1600-1500 av. JC. Nous avons maintenant une vision différente de l’évolution de l’écriture avec une phonétisation totale attestée beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait.
Quelle est la suite pour un archéologue après avoir déchiffré une écriture aussi ancienne ?
En plus de la diffusion de ma découverte en persan, je complète en ce moment la publication scientifique du déchiffrement paru en juin 2022. L’article de l’an dernier présente le déchiffrement, puis décrit et analyse le système phonogrammatique évoqué précédemment. Il faut maintenant conclure en publiant l’édition des 43 textes, que nous pouvons désormais lire. Un documentaire est également en cours de réalisation avec Arte. J’espère que nous pourrons le terminer cette année.
Pour ce qui est de la suite, je me penche maintenant sur le proto-élamite, une écriture utilisée en Iran de - 3300 à - 3000 et que je pense être la forme ancienne de l’élamite linéaire. Ce que je propose est d’utiliser l’élamite linéaire pour s’attaquer au proto-élamite, car les deux présentent à mes yeux d’énormes similitudes qui ne sont pas dues au hasard. Si cela se vérifie, cela nous permettra de remonter littéralement aux débuts de l’écriture dans le monde.
Malgré tout, je pense que d’un point de vue scientifique je ne pourrai pas faire mieux, j’ai atteint l’apogée de ma carrière scientifique. L’archéologie me paraît fade à présent, et j’envisage de faire autre chose après mes travaux sur le proto-élamite. Une fois que le travail est fait, il ne sert à rien de ressasser sans cesse quelque chose qui a été réalisé, publié, et qui est maintenant connu de tous.