Aux Etats-Unis depuis près de 30 ans, Gérard Zytnicki (diplôme de Skema en 1987) a vécu de l’intérieur la révolution technologique. Après 27 ans au sein de Microsoft, ce passionné fourmille de projets, participant à l’éclosion de jeunes pousses ou proposant du conseil en IT aux entreprises. En parallèle, il crée sa propre startup qui, peut-être, révolutionnera demain le monde de l‘électronique !
EN PARTENARIAT AVEC SKEMA ALUMNI
lepetitjournal.com : Pour quelle raison êtes-vous parti, jeune diplômé, aux Etats-Unis ?
Gérard Zytnicki : A la fin de mes études, la France offrait principalement des débouchés en vente, et je n’en avais pas envie. Je devais partir en Australie mais un certain M. Jean-Philippe Courtois est venu sur le campus du Ceram (ancien nom de Skema) à Nice. A l’époque, il était directeur marketing de la filiale vente de Microsoft France. Il est maintenant Executive Vice Président chez Microsoft. C’était un ancien. Il proposait un stage d’un an à Seattle dans une société, Microsoft. Personne ne connaissait ni Seattle, ni Microsoft ! On a été trois à postuler pour trois places, il n’y avait pas beaucoup de compétition (rires).
Ils avaient recruté tout un groupe de jeunes étudiants du monde entier, pour faire de la traduction de software (word par exemple). On s’est retrouvé comme sur un campus international. C’était festif, cela a créé des liens incroyables. On est rentré par la petite porte. La plupart d’entre nous a continué car c’est une boite qui offre des tonnes d’opportunités dans tous les domaines. J’y suis resté 27 ans.
J’ai notamment travaillé 3 ans sur Windows 95, avec une équipe de 200-250 personnes. Ce système d’exploitation a révolutionné la manière dont on interagit avec les ordinateurs. On a cherché pendant presqu’un an pour savoir ce qui manquait dans les systèmes opératoires précédents comme Windows 3.0, ce dont les gens avaient besoin. C’était de l’incubation. On voulait faire quelque chose qui avait du sens. La force de Microsoft a été de comprendre que tout était dans le software, que le hardware c’était de la commodity, une marchandise. Le grand apport de Windows 95, ça a été l’intégration. On a simplifié, mis l’accent sur les graphiques et éliminé les systèmes d'exploitation de type DOS qui dataient des années 1980.
Cette aventure m’a appris énormément au niveau business, au niveau technique.
Et pourtant vous n’avez pas une formation d’ingénieur. Comment avez-vous fait ?
Je suis devenu ingénieur à l’école de Microsoft. Il fallait se débrouiller par soi-même pour comprendre comment ça marche. Lors des entretiens d’embauche que nous faisions passer, le critère principal du profil était la curiosité intellectuelle, la curiosité technique. C’est toujours le cas aujourd’hui. Tous ceux qu’on engageait étaient curieux intellectuellement, au-delà des diplômes. C’était mon cas. Une des raisons pour lesquelles je suis resté si longtemps dans cette société, c’est qu’elle change le monde, la manière dont les gens travaillent, l’échange d’informations…
Ensuite, j’ai fait de l’international (chef des équipes internationales pour Windows 95). J’ai créé des laboratoires de développement à l’étranger, en Asie (Chine) et Irlande principalement. Puis je suis devenu chef d’état-major pour un Senior Vice-Président qui s’occupait de MSN. Cela a été 2 - 3 ans de business planning. C’était les débuts du web, il fallait comprendre comment gagner de l’argent dans cette nouvelle industrie avec les publicités.
Avec le recul, quel est votre regard sur la révolution informatique ?
Il faut que beaucoup de choses convergent pour sortir un produit révolutionnaire. Je me rappelle avoir été dans un meeting – fascinant- probablement en 2000, où un type nous a décrit… le smart phone ! La vision, on l’avait mais on n’avait pas le hardware et la connectivité internet sans fil n’existait pas. Pour faire un iPhone, il fallait mettre au point les écrans tactiles, réduire la taille des processeurs, une bonne connectivité. Chaque chose est indépendante. Donc le projet n’a jamais pris chez Microsoft et longtemps après, c’est Apple qui l’a sorti.
Les erreurs stratégiques aussi sont intéressantes. Microsoft avait de la vision pour les PC mais pour les services, on avait tendance à regarder dans le rétroviseur et essayer de rattraper nos concurrents. Si vous gagnez beaucoup d’argent avec un produit, vous vous reposez sur vos lauriers, ce qu’on appelle the innovator’s dilemma. Pour un produit qui marche très bien, tout ce qui est nouveau est potentiellement une menace que vous repoussez. C’était le cas pour Microsoft avec Windows 95. J’ai vu Microsoft se planter sur Search par exemple. Ils ont ignoré une petite boite qui s’appelait Google qui a mis au point un moteur de recherche. Microsoft pensait que le futur n’était pas dans la recherche mais les directories (rires).
Steve Jobs lui, était un visionnaire. Apple a des produits phare qui vont continuer à les porter, mais ils n’ont pas le savoir-faire au niveau Cloud. En revanche, ils sont bons en design, en hardware et au niveau marketing, ils sont fantastiques. Vont-ils trouver une nouvelle technologie qui les portera dans le 22e siècle, je ne sais pas trop.
Aujourd’hui, vous restez passionné par l’innovation technologique, mais comment se maintenir au niveau ?
L’erreur que beaucoup de personnes font, c’est de penser qu’on est toujours aussi bon techniquement à 50 ans. Les jeunes qui sortent de l’université parlent un langage informatique vieux de 6 mois, ils ont des capacités à apprendre et à créer bien supérieures. Quelle est ma valeur ajoutée maintenant ? Je me suis posé la question. On prend l’expérience, la vision, la stratégie et la technologie d’aujourd’hui, ceux qui savent s’en servir, et on bosse avec eux pour créer de nouveaux business. C’est une partie de mon activité depuis 3 ans : je fais partie d’un des premiers fonds d’investissement de Seattle recherchant des startups qui démarrent. Tous les mois, une dizaine d’entrepreneurs viennent nous présenter leurs projets. Il y a plusieurs étapes mais si nous sommes convaincus alors on commence à travailler ensemble. Entre le moment où ils se présentent et celui où on décide d’investir (ou non), il se passe à peu près un mois.
En parallèle, je crée moi même une startup avec des amis. Je ne peux pas vous en dire trop, mais si notre projet marche, on parle de quelque chose qui révolutionnerait le monde de l‘électronique tel qu’on le connaît aujourd’hui ! Si on regarde ce qui a fait évoluer la technologie ces 50 dernières années, ça a beaucoup été lié à la R&D du département de la défense américain. Maintenant ça évolue, le privé s’y met. Le partenariat gouvernement/ universités/ privé peut être très fort. C’est ce qui m’intéresse.
Vous avez également une activité de conseil…
Oui, c’est complémentaire. De nombreuses sociétés ont besoin d’évoluer ou de se restructurer au niveau technique. Il faut les aider à comprendre le paysage technologique dans lequel elles évoluent et voir là où elles devraient se placer et les conséquences du changement au niveau humain. L’évolution technologique a un impact fort sur le personnel et aussi la culture d’entreprise. Beaucoup de managers n’ont pas compris les enjeux de sécurité, le Cloud, le service… Mais s’ils n’évoluent pas, ils sont morts ! Le problème ce n’est pas la technologie, mais les gens qui s’accrochent à leur boulot et qui freinent.
Faut-il apprendre à coder pour mieux comprendre ce qu’il se passe ?
Il y a des gens pour ça, des spécialistes. Comme vous indiquez à votre électricien où mettre les prises, en informatique, c’est vous qui faites le plan, la stratégie. Il faut plutôt apprendre la technologie, l’architecture des systèmes informatiques, ses impacts sur l’entreprise, comment utiliser les données, l’intelligence artificielle...
Sur un plan personnel, avez-vous jamais eu envie de quitter les Etats-Unis ?
En quittant Microsoft, je me suis posé la question. Je suis allé voir des chasseurs de tête à Paris. Je me suis rendu compte qu’il y avait un décalage énorme, dans le domaine technique et du business, cela m’échappait. On me reparlait encore de mon diplôme, plus important que l’expérience acquise. Je me suis dit : ils n’ont rien compris.
Depuis toutes ces années, vous sentez-vous toujours expatrié en Amérique ?
On est expatrié à vie ! J’ai toujours un accent quand je parle, je reste français. Je parle systématiquement français à ma fille. Mon épouse américaine parle un français parfait. On est une famille bilingue alors que la plupart des autres familles franco-américaines communiquent en anglais seulement.
Vous voyez arriver beaucoup de jeunes Français en Amérique, qu’avez-vous envie de leur dire ?
La plupart des Français viennent ici travailler chez Amazon, ce qui me déçoit un peu car bon, soyons clair, ça reste un retail store ! Je dirais aux jeunes intéressés par l’IT, si vous avez l’esprit d’entreprise, il y a des opportunités énormes en ce moment : la technologie est devenue une commodité, les investissements sont très bon marché, vous n’avez pas besoin de tout créer, les autres l’ont déjà fait pour vous. C’est à votre disposition. Alors vous voulez changer le monde dans le domaine des technologies, allez voir Google ou Microsoft, parce que c’est ce que ces entreprises vont continuer à faire.
Propos recueillis par Marie-Pierre Parlange