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CZESŁAW MIŁOSZ - La poésie de l'exil [Best of estival]

(article publié le 7 juillet 2011)

La Pologne et la Lituanie viennent de célébrer les 100 ans de leur poète défunt. L'occasion de revenir sur ce monument de la littérature mondiale qui, encensé par les anglo-saxons, est encore trop peu connu dans le monde francophone...

 

A l'initiative des parlements polonais et lituanien, 2011 a été proclamée l'année de Czes?aw Mi?osz. Les célébrations prévoient de nouvelles éditions de ses ?uvres ainsi que des conférences, discussions et expositions.

Mais ceci suscite encore des polémiques tant cet écrivain ne fait pas l'unanimité. Il faut dire que ce poète, romancier, traducteur et essayiste n'a rien d'un personnage ordinaire. Polonais ou Lituanien ? Traître ou patriote ? Grand esprit ou railleur mordant?

Portrait d'un cosmopolite au regard lucide sur les grandeurs et bassesses du peuple polonais.

Le déracinement
Mi?osz est né le 30 juin 1911 en Lituanie, dans une famille de la noblesse polono-lituanienne. Il étudie le droit à Wilno (aujourd'hui Vilnius). Face à la montée de la xénophobie et de l'antisémitisme, Czes?aw se situe résolument à gauche. Il passe la guerre à Varsovie à traduire du Shakespeare et en publiant des poèmes antinazis. Le mémorial de Yad Vashem le reconnaîtra d'ailleurs Juste parmi les Nations. A la fin de la guerre, il se laisse séduire par le régime en place et devient diplomate. Déçu par la stalinisation du pays, il demande l'asile politique à la France en 1951.
A partir de 1961 il émigre aux Etats-Unis où il devient professeur de littérature à Berkeley, en Californie, et à Harvard. Il obtient la nationalité américaine en 1970.

A partir de 1995 il revient en Pologne pour y passer le reste de sa vie. Il s'installe à Cracovie dont, dit-il, le caractère est le plus proche de Vilnius. Marié à deux reprises, une fois avec une Polonaise et une fois avec une Américaine, il survit à ses deux épouses. Il a deux fils de son premier mariage. Il décède à Cracovie en 2004.

Refusant de son vivant de se déclarer polonais ou lituanien, Mi?osz a toujours assumé son origine mixte qui le rapproche d'ailleurs du poète national Mickiewicz. Son passé communiste pèsera lourd dans sa biographie, malgré toute la critique du régime qu'il a pu apporter par la suite. Il restera dans les mémoires comme un critique cinglant de la nation polonaise et des défauts nationaux.

Sur le mémorial des ouvriers des chantiers navals de Gda?sk :
"Toi qui as fait tant de mal à un homme simple
En éclatant de rire à la vue de sa souffrance
Ne te crois pas sauf
Car le poète se souvient."

Un poète anti-totalitaire
Après des premiers poèmes assez sombres, apocalyptiques, le souffle poétique de Mi?osz gagne un certain optimisme. Même dans ses poèmes de guerre où la condamnation de la violence laisse un espoir à l'humanité.

Son ?uvre prend un autre tournant après son passage à l'ouest en 1951 : il condamne les abus du système totalitaire. L'ironie et le sarcasme mais aussi l'humour sont ses moyens d'expression préférés pour dire des vérités parfois dures. Chose que certains de ses compatriotes ne lui pardonneront pas. Le fil conducteur de l'exil est également présent ? rappelons son périple entre Lituanie, Pologne, France et Etats-Unis. Les dernières années de sa vie sont aussi marquées par un retour aux paysages de l'enfance.

En dehors de la poésie, l'essai est la forme littéraire privilégiée par Mi?osz. C'est d'ailleurs son livre La pensée captive ? une réflexion sur le comportement des intellectuels dans les systèmes totalitaires ? qui le rendra célèbre dans le monde entier. A la fin de sa vie, il se consacrera aussi à la traduction des fragments de la Bible en polonais. Son ?uvre, par son universalité, son intensité et sa valeur de témoignage, a acquis une place d'honneur dans la Littérature mondiale, confirmée par l'obtention du prix Nobel de littérature en 1980.

Controverses de son vivant et après sa mort
Alors qu'il se présente en 1951 à Maisons-Laffitte à « Kultura », la publication-phare de l'émigration intellectuelle polonaise, Mi?osz est loin d'être accueilli à bras ouverts. Certaines personnalités comme Jozef Czapski menacent même de quitter la revue. L'arrivée de Mi?osz crée un véritable scandale dans tous les milieux en exil, pas seulement en France. La situation commence à changer à partir de 1953 avec la publication de la Pensée Captive. Il aura définitivement gagné sa place avec sa nomination pour le prix Nobel de littérature, proposée par le rédacteur de « Kultura », Jerzy Giedroyc.

D'autre part, sa demande d'asile en France lui vaut une réputation de traître et renégat parmi les collègues écrivains restés au pays. Officiellement condamné par le régime, il voit ses ?uvres interdites à la publication et son nom rayé de la littérature. Cette situation ne changera, progressivement, qu'après l'attribution du prix Nobel.

L'enterrement du poète en 2004 et surtout le projet de l'inhumer dans la prestigieuse crypte de l'église des Pauliniens à Cracovie, suscite de vives protestations surtout au sein de la droite. Le fait de condamner le nationalisme, « railler le catholicisme polonais » et d'« insulter ses compatriotes » rendrait à leurs yeux Mi?osz indigne d'hommages nationaux.

Nul n'est prophète en son pays
Le quotidien « Nasz Dziennik » publie plusieurs affirmations de Mi?osz telles que : « La Pologne est un pays obscurantiste », « Il n'y a pas de place sur terre pour la Pologne » ou enfin « Si j'en avais la possibilité, je ferais sauter ce pays ». D'après les défenseurs de Mi?osz, sorties de leurs contextes, ces citations prouvaient que certains n'ont rien compris à l'?uvre du grand compatriote. Finalement c'est l'intervention du pape Jean-Paul II lui-même qui calmera les esprits. Rien d'étonnant que la décision de célébrer le centenaire de Milosz ait suscité les mêmes polémiques.

"Seigneur Dieu, j'ai aimé la confiture de fraise
Et la sombre douceur du corps féminin.
Comme aussi la vodka glacée, les harengs à l'huile,?
Les parfums : la cannelle et les clous de girofle.
Quel prophète puis-je donc faire ?"

Anna Riondet (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) jeudi 7 juillet 2011

 

Pour en savoir plus : Le site de l'année Mi?osz www.milosz365.eu ; en français, une vidéo et une émission radio (Ina) ; et un lien vers 4 très beaux poèmes ici.