Le coronavirus pèse lourd sur le marché des changes entraînant une guerre des devises. Les monnaies locales, présentes dans le quotidien de deux tiers de la population mondiale, sont prises dans une spirale infernale d’impuissance face aux devises dites refuges telles que l’euro, le dollar américain et le yuan.
Pour les Français installés à l’étranger, la dépréciation de certaines monnaies locales et parfois les hausses des prix de certains biens et services chamboulent d’ores et déjà leur quotidien.
Moins de pouvoir d'achat pour les expats
Les expatriés français sont confrontés à une baisse de leur pouvoir d’achat dû à la dépression des devises locales par rapport aux monnaies étrangères. Leur salaire peut diminuer fortement s’il est versé en monnaie locale et leur épargne est aussi impactée. Par ricochet, les produits importés deviennent plus chers comme les véhicules et les nouvelles technologies. Au Mexique, par exemple, même si le pays fabrique des voitures, la majeure partie y est importée. Pour les familles françaises qui scolarisent leurs enfants dans l’un des établissements français de l’étranger, les frais de scolarité demandés en euros vont augmenter. Ces Français devront être vigilants s’ils souhaitent partir prochainement en vacances notamment s’il est obligatoire de payer en euros ou en dollars dans ces pays.
Les devises asiatiques frappées par le coronavirus
Le Covid-19, apparu pour la première fois dans un marché de la ville de Wuhan, en Chine n’impacte pourtant pas la devise chinoise qui reste, contre toute attente, relativement stable. En comparaison avec les autres devises des pays émergents, le yuan fait partie des actifs ayant signé les meilleures performances cette année. En revanche, face au dollar, la monnaie s’est tout de même dépréciée. La réduction de l’activité économique du pays et la politique monétaire assouplie du gouvernement chinois auraient pu entraîner un affaiblissement du yuan. Et pourtant, pour des mesures sanitaires, l’interdiction pour les ressortissants chinois de voyager à l’étranger a permis de réduire en partie le déficit commercial chinois dans le domaine des services. La baisse des flux sortants notamment des flux de capitaux liés au tourisme ont soutenu la devise, tout en portant préjudice aux devises thaïlandaise, sud-coréenne et singapourienne dont les économies dépendent du tourisme chinois.
Le baht thaïlandais est aujourd’hui en nette baisse face à la crise sanitaire de Covid-19. Selon UBS, une société de services financiers, cette monnaie est la devise asiatique la plus vulnérable puisqu’elle survit principalement grâce au tourisme du pays. Pour la Thaïlande, les dépenses des touristes représentent 8% du produit brut du pays. Or, les Européens, les Américains ou encore les Asiatiques habitués à visiter les eaux turquoises du pays ont dû reporter ou tout simplement annuler leurs voyages du fait des mesures sanitaires prises par leur pays. Les économistes s’interrogent sur les répercussions de cette crise, mais pour le moment personne ne sait, quel sera le total des recettes liées au secteur du tourisme ces derniers mois. La Banque de Thaïlande est prête à tolérer une certaine baisse de sa monnaie et elle pourrait baisser ses taux d’intérêt.
Le yen japonais a chuté de 3% au cours des premières semaines de février. Ce phénomène s’explique en partie à cause des inquiétudes concernant la pandémie mondiale puisque le Japon, juste après la Chine, a recensé le plus grand nombre de cas de contamination au Covid-19. L’économie japonaise a directement été affectée par l’interruption des flux avec son premier partenaire commercial, la Chine. Le pays est également la destination phare pour la plupart des touristes chinois, or selon l’office du tourisme japonais, plus de 400 000 Chinois ont annulé leurs vacances au Japon jusqu'à la fin mars. Le yen a également été pénalisé à cause de la détérioration de l’économie japonaise incitant le monde des devises à anticiper l’éventuel effondrement de cette monnaie.
Pays émergents : l’effondrement des monnaies locales
Au-delà des conséquences sanitaires, l’Amérique latine doit faire front à la baisse des prix des matières premières, à la fuite des capitaux, à la chute du tourisme et surtout à la dévaluation de ses monnaies locales.
Les devises des pays exportateurs, du Brésil, du Chili, du Mexique, de l’Argentine, du Pérou et de la Colombie sont en chute libre et ce depuis l’apparition de la crise sanitaire. Conséquence alarmante, le peso chilien connaît une chute de 30% et comme par ricochet, le dollar a atteint son plus haut niveau. Le réal brésilien affiche des replis de 10% face à l’euro depuis le 1er janvier. Le réal a tellement chuté que le ministre de l’Économie, Paulo Guedes, a déclaré que dans son pays “l’ère du dollar bon marché est révolue”. Quant au peso mexicain, il est arrivé, à son niveau le plus bas : 20,54 pour un dollar. La devise mexicaine est jusqu’ici celle qui affiche la plus forte baisse parmi les économies émergentes. Les devises latino-américaines, peu diversifiées sur le marché économique mondial, perdent de la valeur au fur et à mesure que les perspectives économiques se dégradent.
Le pouvoir d’achat des Latino-américains diminue et des millions de personnes pourraient basculer dans la pauvreté. En plus de la dévaluation des monnaies locales, les systèmes fiscaux régressifs de ces pays obligent les plus aisés à payer moins d’impôts que les plus pauvres, accentuant les inégalités.
Rouble, dollar américain et livre sterling, comment se portent ces monnaies ?
Malgré la déclaration du président russe, Vladimir Poutine, assurant que l’économie de la Russie sortira "renforcée" de la crise sanitaire, le rouble s’effondre à cause de la chute des prix de l’or noir. Depuis le 1er janvier, le rouble affiche un repli de 8% face à l’euro. Ces dernières semaines, les restrictions de déplacements des pays et la paralysie des économies ont fait fondre la demande du pétrole. Le contre-choc pétrolier fait aussi des dégâts sur de grandes devises telles que la couronne norvégienne et les dollars australiens.
Les marchés pétroliers restent en mauvaise position après l’accord de réduction de 9,7 millions de barils par jour tandis que le dollar américain, lui, franchit de nouveaux records. Le dollar roi conserve son avantage sur les marchés financiers devant l’euro, le yuan chinois et le yen japonais. En temps de crise, la devise américaine fait office de refuge pour les entreprises étrangères qui investissent leur argent comme dernier recourt face aux éventuelles déflations des monnaies du monde. Toutefois, il y a certains nombres d’inconvénients face à un dollar élevé comme le coût des exportations américaines et celui des voyages aux États-Unis qui augmentent.
Alors que Boris Johnson, Premier ministre britannique annonçait qu’il se rendait en soins intensifs en raison de symptômes de Covid-19, la livre sterling a dégringolé de 2,15% face au dollar américain, son niveau le plus bas depuis octobre. Face à l’euro, elle a perdu 1,19% la plaçant à 92,28 pence pour un euro. La baisse de la livre s’explique par l’inquiétude de la propagation du coronavirus qui pèse sur l’ensemble des marchés financiers et par la volonté du Boris Johnson de se retirer des négociations avec l’UE sans accord "no deal". La livre a depuis repris du galon sur les marchés financiers, cependant, selon des analyses, la monnaie britannique n’est plus considérée comme une monnaie "refuge" mais comme un investissement risqué comparé à l’euro.
Des monnaies africaines en zone de turbulences
Malmenés par la chute des cours des matières premières et du pétrole, plusieurs pays africains voient leurs devises se déprécier. Les monnaies surévaluées comme le rand sud-africain ont aussi été sanctionnées par l’économie mondiale. Au mois de mars, le rand sud-africain a plongé sous la barre des 18 rands (17,87 rands) pour un dollar américain, son niveau le plus bas jamais atteint. L’analyste Wichard Cilliers de TreasuryONE, un cabinet sud-africain de conseil, explique "Le rand est la monnaie des marchés émergents qui a enregistré les plus mauvais résultats la semaine dernière."
Le prix des matières premières a fortement dégringolé dans les pays africains : le coton et le cuivre connaissent une baisse de 20%, quant au pétrole, il chute de presque 60%. Leurs monnaies chutent elles aussi. Le shilling kényan enregistre une dépression de 5 % et le naira, la monnaie des Nigériens enregistre une chute de 20%. La banque centrale nigériane ne pourra pas maintenir la valeur du naira sur le long terme du fait de la forte baisse des prix du pétrole épuisant les réserves de change. Près d’un tiers des réserves du pays a été utilisé par la Banque centrale du Nigeria qui tente de maintenir la stabilité de cette monnaie. Jusqu’ici, le gouverneur de la banque a restreint l’accès des importateurs aux devises fortes et intensifié la vente de la dette publique. Du côté du Franc CFA, la devise perd du terrain face au dollar mais reste relativement préservée.
Une grande partie de l’économie des pays d’Afrique repose sur les recettes touristiques qui ont été quasi inexistantes pendant deux mois. Le Congo, dont 60 % du budget dépend des exportations d’hydrocarbures devrait perdre un tiers de ses recettes. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a déclaré que les 263 milliards de dollars de dette africaine sont reportés afin de permettre aux pays africains de surmonter le choc sanitaire et économique. Dans ces pays émetteurs, la diminution des devises affecte le pouvoir d’achat des Africains, qui pour certains peinent déjà à trouver des emplois stables.
L’euro, une monnaie refuge ?
Face aux dévalorisations des monnaies, l’euro reste une monnaie refuge. Malgré les analyses qui prévoyaient une baisse de l’euro pour l’année 2020, l’euro a fortement remonté face au dollar début mars pour atteindre 1,14. Malgré ses faiblesses, la zone euro offre aux pays membres un minimum de mutualisation et de stabilité économique. Sur le marché, les taux d’intérêt ont légèrement augmenté tout en restant historiquement bas. Les annonces de la Banque centrale européenne (BCE) qui décide de ces taux d’intérêt ont permis une baisse de 0,5 point pour les taux français et italiens. L’opportunité pour les gouvernements européens de donner de l’argent aux entreprises afin d’atténuer les effets de la crise sanitaire. L’euro permet ainsi aux États membres d’économiser des dizaines de milliards d’euros au niveau du service de la dette.