En dehors de l’anglais, le français est la première langue étrangère enseignée en Inde. Pourtant, cela n’en fait pas une langue parlée par beaucoup d’Indiens. Un rapport de l’Ambassade de France à Delhi de 2004 parlait de moins de 1% de la population capable de s’exprimer en français. Même à Pondichéry où vivent plus de cinq mille Français d’origine indienne, on estime que moins de deux cents d’entre eux utilisent le français dans leurs échanges quotidiens.
Pour faire le point sur l’enseignement de notre langue en Inde, nous avons rencontré des professeurs de français de deux universités de Chennai et M. Eric Perrotel, attaché de coopération pour le français auprès de l’Institut français en Inde et qui est basé à Chennai.
A Chennai, le français est enseigné dans les universités privées JBAS et Loyola
Les universités privées JBAS (Justice Basheer Ahmed Sayeed) et Loyola de Chennai offrent chacune la possibilité d’apprendre le français. Nous y avons été reçus chaleureusement par l’équipe d’enseignants francophones qui nous a présenté les parcours proposés et le profil des étudiants inscrits dans les cours de français.
Le français en seconde place des langues étudiées à JBAS
L’université JBAS accueille uniquement des jeunes filles, majoritairement musulmanes mais pas exclusivement. Elles sont inscrites à des formations scientifiques, de commerce ou de langue anglaise. Parmi près de trois cent cinquante professeurs, deux seulement y enseignent le français. C’est une des options de seconde langue (l’anglais étant la première langue obligatoire), avec au choix l’ourdou, l’arabe, le tamoul, le sanskrit et le français. La majorité des étudiants suivent les cours d’arabe et en seconde place le français.
Cette année, quatre-vingt étudiants sont inscrits aux cours de français pour un cursus de deux ans, à raison de cinq heures la première année et moins la seconde année, en fonction de la section choisie.
Malar, l’enseignante qui nous accueille, multiplie les supports pédagogiques pour intéresser les étudiants, mais avoue que les moyens pédagogiques dont elle dispose et la taille trop importante des groupes ne permettent pas une pratique orale suffisante et individualisée.
Une licence de langue et littérature française à l'université Loyola
L’université Loyola est une grande université renommée. Pendant longtemps réservée aux garçons, elle s’ouvre aujourd’hui aux filles. Dirigée par des Jésuites, l’établissement est fréquenté majoritairement par des chrétiens. En complément des cursus traditionnels de sciences, économie, commerce et langue anglaise, l’université Loyola propose également des formations d’ingénieurs, de médecine et d’administration des entreprises et des affaires.
C’est le seul établissement de Chennai où l’on peut trouver une licence en trois ans de langue et littérature françaises. Cette formation est également disponible à Pondichéry et Madurai. Pour compléter la formation, la Madras University de Chennai et l’Université de Pondichéry proposent à la suite un master de langue française.
La section de langue et littérature françaises de l’université Loyola regroupe 115 étudiants, qui se destinent majoritairement à l’enseignement du français ou à la traduction.
Les neufs professeurs de français de l’université Loyola prennent également en charge les cours de seconde langue des autres cursus, pendant les deux premières années. Comme dans l’université JBAS, les étudiants ont plusieurs choix possibles entre l’hindi, le sanskrit, le tamoul et le français. Ils sont cinq cents environ à opter pour le français.
Durga, la professeure de français qui nous reçoit, parle avec enthousiasme des projets pédagogiques qu’elle conduit : Molière, Corneille, Camus, Simone de Beauvoir sont à l’honneur et tous les ans, elle crée avec ses élèves une pièce de théâtre à partir d’un texte indien qu’elle a traduit (les publications youtu.be des étudiants de l’université de Loyola : Nagamandala la terre des serpents et Demain dès l’aube).
Clichés et arguments pratiques font partie des motivations des Indiens pour étudier le français
Les étudiants des deux universités visitées nous ont parlé de leurs motivations pour apprendre le français.
On y retrouve les habituels clichés de la langue de l’amour, de la culture et des artistes.
On y trouve également des arguments plus pratiques comme le lien sémantique avec l’anglais qu’ils maitrisent et qui devrait simplifier l’apprentissage du français. Certains étudiants rappellent que le monde francophone est grand, en développement avec l’Afrique et que c’est un point positif supplémentaire dans leur dossier de demande de visa pour le Canada. Beaucoup d’entre eux envisagent d’y poursuivre leurs études et les autorités canadiennes « apprécient » la maitrise du français en plus de l’anglais.
Enfin, le choix du français comme seconde langue est parfois motivé par le rejet des langues indiennes proposées en option et le souci de conforter leur future recherche d’emploi par une compétence « plus internationale ».
Eric Perrotel, attaché de coopération pour le français basé à Chennai
Pour compléter notre information sur l’enseignement du français en Inde et plus particulièrement dans le Tamil Nadu, nous avons rencontré Eric Perrotel, attaché de coopération pour le français auprès de l’Institut français en Inde et qui est basé à Chennai.
M. Perrotel nous fait remarquer que même s’il est impossible de déterminer précisément le nombre d’apprenants concernés, le français est la première langue étrangère enseignée en Inde.
L’explication est multiple : l’histoire, l’image du français (à l’instar des discours des étudiants des universités que nous avons visitées), les efforts engagés par les pouvoirs publics français pour soutenir l’enseignement de la langue et enfin, le relatif grand nombre de professeurs indiens susceptibles d’enseigner le français.
Un vivier important de professeurs potentiels de français en Inde
Les formations universitaires et les Alliances françaises forment depuis longtemps des jeunes indiens au français. Il existe de ce fait un vivier important de professeurs potentiels, ce qui n’est pas le cas des autres langues étrangères pour lesquelles les établissements doivent rechercher du personnel étranger, plus couteux et moins facile à trouver. L’offre en français est plus importante donc, logiquement, le nombre d’apprenants est plus grand.
Le français est enseigné dans la majorité des universités, mais aussi dans beaucoup d’écoles secondaires privées, comme option de seconde ou troisième langue.
Les services proposés par l'Institut Français en Inde pour les professeurs de français
Un des rôles prioritaires de l’attaché de coopération pour le Français est de soutenir les efforts de qualification des enseignants. Pour cela, l’Institut français en Inde propose un ensemble de services: formation continue en ligne ou en présentiel, diagnostic sur site pour identifier les besoins et bâtir un plan de qualification, développement de partenariats avec des établissements français pour des échanges entre professeurs ou étudiants, organisation d’évènements à l’échelle du pays comme, cette année, une université d’automne à Jaipur destinée à cent cinquante professeurs et qui proposera des modules de méthodologie et pédagogie adaptés à un enseignement visant la communication.
La qualification des professeurs de français est très variable. Beaucoup ont un simple bachelor of education, formation de deux ans, nécessaire pour enseigner (il est prévu de la passer à quatre ans). Il n'existe pas de formation spécifique de professeur de langue étrangère en Inde. Dans le meilleur des cas, l’enseignant a fait des études dans le département d'études françaises d’une université et passé en parallèle son diplôme d'enseignement. Nombreux sont les professeurs qui se sont formés sur le tas dans leurs écoles. Beaucoup, conscients de leurs faiblesses, sont demandeurs de formations, y compris sur leurs propres deniers et en dehors de leur temps de travail.
Des bourses sont possibles pour suivre les cours de l’Alliance française et s’inscrire à l’examen du DELF (Diplôme d'Etudes de Langue Française). En 2019, l’Inde enregistrait environ 15 000 examens du DELF, ce qui en faisait un pays important en termes de délivrance de diplômes de français.
Une volonté de l'Etat français de renforcer les liens avec l'Inde
M. Perrotel insiste sur la volonté de l’Etat français de renforcer les liens entre nos deux pays. Il rappelle :
En 2018 a été signé un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes, ce qui signifie entre autres qu’un étudiant indien (en dehors des études de médecine) peut poursuivre en France son cursus entamé en Inde, et réciproquement. Ce fut le premier accord de ce type signé par l’Inde.
En dehors de la période de pandémie, neuf à dix mille étudiants indiens venaient en France tous les ans, principalement dans les domaines du management, de l’architecture et des sciences « dures ». Beaucoup ne parlaient pas ou peu le français en arrivant, l’ont plus ou moins appris sur place mais dans tous les cas, ils sont devenus de grands ambassadeurs de notre pays à leur retour en Inde.
Par ailleurs, tous les ans, deux cents jeunes Indiens partent en France pour occuper des postes d’assistants d’anglais dans des collèges, lycées ou universités. Les candidats sont nombreux, ce qui n’est pas malheureusement le cas pour l’échange inverse. Peu de jeunes français sont attirés par une expérience en Inde. Aujourd’hui, ils sont quatorze dans toute l’Inde, dont un à Chennai, un à Vellore et trois à Pondichéry.
En lien avec les Alliances françaises, l’animation du réseau et les initiatives en faveur du français reposent donc, pour l’intervention publique, sur l’équipe des Attachés de coopération pour le français qui quadrille le territoire indien. M. Perrotel est responsable du secteur sud, Tamil Nadu, Pondichéry, Kerala, Andra Pradesh, Karnataka, Telangana. Les relations établies avec les autorités du Tamil Nadu sont bonnes et favorables au développement du français. Une des ambitions est d’introduire le français dans les écoles gouvernementales de Chennai.