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La philosophe Cynthia Fleury à Pondichéry : "prendre soin pour une vie meilleure"

Cynthia Fleury à l'Alliance française de PondichéryCynthia Fleury à l'Alliance française de Pondichéry
Écrit par Anaïs Pourtau
Publié le 20 octobre 2022, mis à jour le 19 décembre 2023

Psychanalyste, philosophe et écrivain, Cynthia Fleury est professeure titulaire d’une chaire ayant pour thème Humanités et Santé au Conservatoire des Arts et Métiers. Elle est également titulaire d’une chaire de philosophie à l’hôpital Sainte Anne du GHU Paris psychiatrie et neurosciences. 

 

Le jeudi 29 septembre 2022, Cynthia Fleury en visite à Pondichéry a rencontré les élèves de terminale et première du Lycée Français International de Pondichéry et animé une discussion sur le thème : philosophie, soins, éducation. Dans la soirée, la philosophe a présenté un ouvrage co-écrit avec Antoine Fenoglio, spécialisé dans les liens entre design et éthiques du care : la charte du Verstohlen ou ce qui ne peut être volé.

 

 

Cynthia Fleury devant les lycéens du lycée français de Pondichéry

 

 

Cynthia Fleury au Lycée Français International de Pondichéry

La philosophe a présenté aux élèves les concepts de Care et cure, couramment utilisés de nos jours dans tous les milieux professionnels qui ont été grandement mis à mal durant les deux années pendant lesquelles nous avons subi le Covid.

Citant les travaux de Donald Winnicott, pédopsychiatre britannique qui a travaillé sur le lien mère-enfant, de Carol Gilligan, philosophe et psychologue américaine, qui fait des recherches sur la théorie du genre et de Joan Tronto, philosophe américaine qui politise la question du care, Cynthia Fleury a expliqué aux élèves ce que sont les éthiques du care (prendre soin de façon sensible) et du cure (le soin par la médecine).

En deuxième partie d’exposé, Cynthia Fleury a fait référence à la dialectique de Platon, philosophe de la Grèce antique et sa conception de l’éducation et de l’enseignant comme « accoucheur » de l’âme.

 

Ces concepts nouveaux pour les élèves, illustrés à la lumières de faits contemporains, ont provoqué des questions très pertinentes de leur part.

 

 

Affiche de la conférence de Cynthia Fleury à l'Alliance française de Pondichéry

 

 

Cynthia Fleury à l’Alliance française de Pondichéry

La philosophe a présenté un ouvrage co-écrit avec Antoine Fenoglio, spécialisé dans les liens entre design et éthiques du care : la charte du Verstohlen ou ce qui ne peut être volé.

Cette charte, appelée par la presse française « le manifeste du bonheur », représente le fruit de cinq années de travail sur le thème : « design with care, autour d’un prendre soin du monde ». Elle a vocation à inspirer le monde du soin, les administrateurs publics, les élus, voire les États, les artistes et à les soutenir, sans hiérarchiser les besoins.

Cynthia Fleury a expliqué que, lors du travail de recherche sur la charte du Verstohlen, dix points sont apparus, non négociables, pour habiter le monde. Ce sont des choses évidentes mais qui sont de plus en plus oubliées, confisquées et spoliées : 

  • le silence, 
  • l’accès à l’horizon, 
  • la santé, 
  • le temps long, 
  • le soin aux morts…

La rédaction a été particulièrement réactive à cette notion de silence qui est si rare en Inde.

 

Cynthia Fleury au lycée français international de Pondichéry

 

 

Le silence, une denrée collective en très grande raréfaction en Inde et dans le monde

Le 5 octobre 2021, la presse indienne relatait que Nitin Gadkari, ministre indien des transports,  étudiait la question et envisageait d’élaborer une loi pour que les klaxons de tous les véhicules prennent le son d’un instrument de musique indien afin que ce soit plus agréable à entendre. Une déclaration fantaisiste ?

Pas forcément, tous les habitants de ce grand pays savent à quel point le bruit constant, épuisant, est inhérent à la culture et sonorise la vie quotidienne en Inde. Les individus ne peuvent pas s’isoler du bruit. Dedans, dehors, la nuit, le jour, les décibels vont bon train : cacophonie de klaxons sur la route et dans les rues, moteurs, travaux, musique dans les hôtels, télévision dans les habitations, cris, véhicules équipés de haut parleur, temples, mosquées, cérémonies funéraires et religieuses, croassements des corbeaux, pétards…

 

Raj, étudiant à l’Alliance française, explique comment dans le petit deux pièces qu’il occupe avec sa famille, le bruit l’empêche d’étudier et de réfléchir. La télévision fonctionne en continu, les visiteurs se succèdent, ses parents parlent fort, des oiseaux en cage pépient à qui mieux mieux, les fenêtres sont toujours ouvertes. Gouvernée par l’habitude, sa famille ne comprend pas sa gêne. Que faire ? Son salaire ne lui permet pas de vivre ailleurs et ses parents ne le comprendraient pas.

Cynthia Fleury a rappelé les trois fonctions essentielles du silence :

  • spirituelle, sacrée, qui permet de se recueillir,
  • cognitive, qui permet de se concentrer, de réfléchir, d’élaborer une pensée,
  • thérapeutique qui donne la possibilité d’être dans un environnement où les décibels sont contrôlés, afin de se restaurer psychiquement et physiquement.

Le silence a en outre une fonction politique : il démocratise. Sans silence, le débat n’est pas possible, la parole n’est pas entendue.

 

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la pollution sonore peut entraîner une perte auditive, des problèmes cardiovasculaires, du stress et de la dépression.

Une  résolution de l’ONU de 2017 est dédiée à la notion de silence. On parle maintenant “d’un  fardeau sonore qui va sur les plus vulnérables”. Le silence est devenu une denrée collective rare. Elle devient privative et réservée aux espaces du luxe, comme les lounges par exemple, conclut Cynthia Fleury. En français le lounge est un espace, un bar à « l’ambiance feutrée » qui invite à la détente. 

 

En fin de conférence, la philosophe pose la question, éminemment politique selon elle :

 

Comment préserver des espaces de silence, des habitats où chacun puisse vivre de manière apaisée ?

Cette question concerne toutes les sociétés modernes, le silence comme nécessité vitale est une prise de conscience collective et politique, qui demanderait probablement une éducation à faire silence et à écouter. La préoccupation du ministre indien des transports était donc sensée, bien que pour le moment restée sans suite.

 

Finalement ces deux conférences distinctes menées par Cynthia Fleury, se rejoignaient dans les notions humanistes et nécessaires de prendre soin les uns des autres, de nos environnements et de ne pas stigmatiser les plus vulnérables, afin que tous, nous ayons « une vie bonne », dans un cadre où s’exerce une politique démocratique et responsable. 

 

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