Au premier mars, le Fonds mondial pour les monuments (World Monuments Found -WMF) dévoile une liste de 25 sites à préserver pour la richesse du patrimoine culturel qu’ils renferment. Parmi ses 25 sites, un se trouve au Cambodge dans le Mondolkiri : il s’agit d’une forêt sacrée du peuple Bunongs.
Le Fonds mondial pour les monuments, est une ONG internationale et indépendante, créée en 1965 pour sauver les monuments les plus précieux du monde.
Le WMF a notamment mis en place en 1996 un observatoire des monuments mondiaux (World Monuments Watch ) et publie tous les deux ans une liste de 25 bâtiments et chefs-d’œuvre de l’architecture parmi les plus menacés. Cette liste est produite par un panel d’experts internationaux en architecture, archéologie, histoire de l’art et préservation ou restauration de sites patrimoniaux.
Les lecteurs du petit journal, sont déjà au courant des péripéties judiciaires des Bunongs, cette ethnie minoritaire avec le groupe Boloré et le combat qu’elle livre pour la préservation de certaines forêts qu’elle juge sacrées.
Le style de vie des Bunongs
Les Bunongs sont une ethnie de la province du Mondulkiri, dans le nord-est du Cambodge, dont le style de vie est indissociable de leurs terres ancestrales. L’environnement culturel Bunong comprend des champs agricoles, des forêts vierges, des cimetières et des villages ancestraux qui sont autant de lieux de vie sociale, spirituelle et historique liés aux pratiques religieuses et aux savoirs ancestraux.
Cet environnement vivant et le style de vie des Bunongs sont menacés par un développement économique galopant, une marchandisation des terres et l’extraction des ressources naturelles dans les régions montagneuses du Cambodge. Les concessions foncières accordées pour les plantations de caoutchouc, l’abattage illégal, l’empiètement des colons et la construction de routes ont dépossédé les villageois de leurs terres et traditions ancestrales. Sans reconnaissance légale de leurs territoires, les communautés bunongs ont du mal à protéger les lieux et les pratiques qui font partie intégrante de leur vie quotidienne et de leur identité
Pour mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière l’inscription des forêts sacrées des Bunong sur l’observatoire des monuments mondiaux du WMF, Lepetitjournal est allé à la rencontre de Mme Ginevra Boatto, représentante de l’ONG au Cambodge.
Merci Madame de nous recevoir, pourquoi avoir inscrit les paysages culturels des Bunong du Mondolkiri sur l’observatoire des monuments mondiaux ?
Étant donné que les Bunongs sont un groupe de population sous-représenté au Cambodge, il se peut que de nombreux lecteurs ne soient pas trop familiers avec ce paysage culturel. En fait, il comprend leurs maisons traditionnelles (qui, par exemple, à la différence des maisons khmères traditionnelles, sont construites directement sur le sol), les lieux de sépulture et les forêts spirituelles - il s'agit d'extensions au sein des forêts investies d'une signification particulière et, également, soumises à des interdictions spéciales.
Le peuple Bunong fait partie des gardiens traditionnels des forêts cambodgiennes. Le respect de leur paysage, investi de valeurs historiques et spirituelles, a signifié pendant des siècles le respect de son environnement.
Cependant, aujourd'hui, ce paysage, ainsi que le mode de vie traditionnel des Bunongs, sont confrontés à d'importants défis liés au développement rapide du pays, défis qui sont communs à de nombreuses autres minorités en Asie du Sud-Est.
En inscrivant le paysage culturel des Bunongs sur la liste de surveillance 2022, le WMF entend aider les Bunongs à documenter, étudier et protéger leur patrimoine en voie de disparition et, de cette façon, mettre en lumière la diversité du patrimoine culturel cambodgien.
Quels sont les moyens que vous allez engager ? Quelle surface allez-vous couvrir ?
Avec l'association du peuple autochtone Bunong (BIPA), notre partenaire au Mondulkiri, nous avons l'intention de répertorier les lieux et les histoires associés à ce paysage culturel. Ces sites seront photographiés, filmés et cartographiés virtuellement pour la première fois. Nous prévoyons d'intervenir sur une zone d'environ 100-200 kilomètres carrés, entre les communes de Bu Sra et Dak Dam (districts de Pechr Chenda et O'Reang). Cette zone a été choisie en raison de la présence importante de sites historiquement et spirituellement significatifs qu'elle comprend et de l'importante pression que le développement économique exerce sur cette zone. Il y aura une phase initiale importante de formation à l'utilisation d'outils numériques, y compris des équipements GPS simples, des caméras d'enregistrement vidéo et des tablettes.
il s'agit d'un point clé de notre projet, car les Bunongs finiront par réaliser eux-mêmes cette enquête, avec la supervision des responsables et des consultants du WMF.
Quels sont les bénéfices que vous escomptez pour les Bunongs ? À partir de quand estimerez-vous que votre travail aura été un succès ?
Nous pensons que la création d'une carte virtuelle, librement accessible comprenant toutes les données collectées sur le terrain serait déjà un succès important, car ce serait une première absolue. N'oublions pas non plus que cet effort nécessitera la collaboration de différentes personnes, dont notamment les personnes âgées Bunong (qui détiennent la "carte mentale" de ces lieux) mais aussi les étudiants universitaires, etc. Nous espérons également pouvoir présenter les résultats de ce projet par le biais d'une exposition : ce serait un véritable succès si, à l'avenir, ce paysage vivant, qui peut être considéré comme un patrimoine culturel en voie de disparition, pouvait bénéficier de politiques de protection spécifiques, notamment en liaison avec les plans touristiques existants pour la province.
Et bien Mme Boatto, lepetitjournal vous remercie pour ces explications et prends d’ores et déjà rendez vous dans un an pour faire le point de vos actions.