C’est un matin presque comme tous les autres dans le village de Chaing Naing dans la province de Prey Veng, dans la plaine cambodgienne à deux pas de la frontière vietnamienne. Voilà 10 mn que notre minibus a quitté la route goudronnée, nous longeons un canal d’irrigation qui s’enfonce dans la plaine. En cette saison des pluies qui n’en finit pas, les précipitations ont créé quelques flaques de boue sur notre chemin de terre. Le riz est haut et vert. Les rizières s'étendent à perte de vue.
En cette fin novembre, il ne fait pas encore très chaud et chacun vaque tranquillement à ses occupations. Il règne pourtant une certaine fébrilité dans l'école du village. Les 250 enfants, rangés par classe, attendent aujourd'hui l'arrivée d’un Barang* qui va leur distribuer des cartables, des uniformes neufs. C’est lui que nous accompagnons.
Mais avant de continuer, permettez moi de vous raconter une bien jolie histoire qui tire ses racines loin dans le passé. Il y a presque un siècle, en 1925. Louis Paumard est un jeune capitaine Français. Il est géographe et l'administration coloniale l’emploie pour délimiter la frontière entre le Cambodge et le Vietnam. Un jour, il conduit sa petite troupe de supplétifs vers le village de Chaing Naing pour y trouver de l'eau. Le jeune homme sur son cheval, fait forte impression sur la jeune Pone, une fille du pays. Il cherche un interprète qui parle le vietnamien. La jeune femme, bravant sa timidité se présente. Ils ne se quitteront plus.
Pone quitte définitivement le Cambodge en 1970. Elle meurt en France à l'âge de 95 ans. Sa fille, Rose-Marie, lui a promis de la ramener au Cambodge. Elle tient promesse en 1993. Les cendres reposent désormais dans un chedey dans la pagode du village à côté de celle de son époux.
Quand je suis revenue au pays, il n' y avait plus rien. Tout était dévasté.
nous confie-telle.
Rose a fait sa vie en France, elle y a fondé une famille et y mène ses affaires d' agent immobilier. Elle sent pourtant le besoin de revenir au village qu’elle a connu enfant. Elle y achète une maison et y installe une partie de sa famille qu’elle retrouve par chance à Phnom Penh. Sa vie s'écoule entre le Sud-Ouest et les rives du Mékong. Maintenant qu’elle est à la retraite, elle peut y consacrer plus de temps. Il y a tant à faire.
Elle voudrait aider. C’est elle qui a mis l'électricité à la pagode. Sa maison est sur le chemin de l'école. Elle y a déjà organisé des distributions d'uniformes pour les enfants avant le covid. D’ailleurs quand ils passent devant chez elle, ils la saluent en l'appelant affectueusement Grand-mère (ម៉ាយាយ). Elle aimerait pouvoir faire plus.
Chaing Naing est un de ces villages comme il en existe tant : charmant mais à l'écart de zones touristiques et des centres bouillonnants des affaires de la capitale. Elle en est persuadée : l'avenir de ces enfants passe par l'éducation. Et surtout par l 'anglais. La seule maîtrise du khmer ne suffit pas pour décrocher un emploi et évoluer.
Il se trouve que son fils, Snorri, est ami avec Alexandre Pallas, un philanthrope bordelais, un promoteur immobilier habité par certaines valeurs humaines.
L'argent ne sert à rien s’il n’est pas partagé
me confia-t- il sur la route qui mène à Chaing Naing.
Cet originaire du sud-ouest, à la carrure de rugbyman, dont le polo à manches courtes laisse entrevoir quelques tatouages, était encore il y a peu à la tête d’un grand groupe immobilier. Enfant, il a vu son père, Ophtalmologue, partir dans les anciens pays du blocs de l’est ou aux Antilles pour y soigner gratuitement ceux qui en avaient besoin. Alexandre se nourrit de cet exemple qu’il veut lui-même transmettre à son fils de 6 ans. Il a créé une fondation qui a déjà œuvré en Indonésie, à St Martin, en France pour assurer l'égalité des chances à des enfants défavorisés. Quand Snorry lui parle du village de sa mère, il n’y a pas de tergiversation. Ils décident de partir ensemble en mission d'exploration dans ce pays qu’il ne connaît pas.
‘Ce voyage est une mission d’étude, Il s'agit d'identifier les besoins’ nous déclare-t-il mais il ne s'agit pas de venir les mains vides. C’est là l'origine de la fébrilité des enfants dans l’école du village. Chacun en effet recevra un uniforme complet, un cartable, des fournitures scolaires et des produits d’hygiène adaptés à son âge. Ainsi, à la prochaine rentrée en janvier chaque élève aura des affaires neuves, pas question aient honte de leurs habits usés.
Alexandre est bouleversé par les sourires des enfants lorsqu’ils découvrent leurs paquets.
Le directeur de l’école M. Pey Mao nous fait visiter son établissement. Sa première préoccupation concerne les toilettes. Il n’y a qu’un WC pour les 250 élèves et les enseignants. Il nous confie :
C'est un gros problème, surtout pour les filles.
Le dialogue s’engage vite entre Alexandre et lui. D'autres problèmes apparaissent. La cour de l’école se transforme en bourbier pendant les saisons des pluies, il faut drainer le terrain et le ceindre d’un mur. Les enseignants manquent de matériel pédagogique, de manuels.
“Les problèmes matériels sont les plus faciles à régler”, nous confie Alexandre. Nous allons nous y atteler de suite”. “Il faudra établir un plan d’action. Celui-ci devra obligatoirement contenir une amélioration des salles de classes, mais aussi des cours d’anglais et pourquoi pas des bourses pour que les élèves les plus doués puissent continuer leurs études ailleurs.”
Alexandre , Snorri vont rester ici quelques jours, rencontrer le chef de village, les autorités, découvrir les équipements de santé : voir ce qu’ils peuvent déjà faire. Ils ont déjà consolider le poste de la professeure d’anglais et celui d’une assistante maternelle pour les deux années à venir.
Une chose est sûre c’est que la magie du Cambodge a encore opéré une fois de plus. Ce petit village niché dans les rizières, la joie des enfants, le sourire des habitants l’ont conquis.
Ce qui me frappe le plus c’est la simplicité des habitants, malgré leur pauvreté, ils dégagent une joie de vivre qui nous renvoie à nos propres valeurs.
Son intention est de revenir régulièrement dans le village pour voir ce qui a été accompli et ce qu’il reste à faire. Nous serons au rendez-vous pour suivre ce bel exemple de partage et d’humanité.
A voir le reportage de Yann Defond : L'école de Chaing Naing
* Barang est le nom que les Cambodgiens donnent aux Occidentaux