L’usage croissant de l’anglais chez les jeunes Cambodgiens suscite des débats. Préserver la langue khmère tout en profitant des opportunités internationales reste un défi majeur.
Une jeunesse bilingue, mais à quel prix ?
Dans les allées animées des supermarchés de Phnom Penh, des enfants s’expriment volontiers en anglais, mêlant parfois un argot inspiré de la « génération Z ». Cela reflète l’influence croissante des langues étrangères sur la jeunesse cambodgienne. Mais à quel prix ? « Je ne suis pas sûr que ce soit inquiétant pour l’instant, mais il faut rester vigilant », confie Vong Serey Vatanak, père de deux enfants.
Depuis l’introduction de l’anglais dans les écoles en 1989, cette langue s’est imposée comme un outil indispensable, dans le paysage éducatif cambodgien. Avec la multiplication des écoles internationales, les jeunes sont plus que jamais exposés à des cultures et des langues étrangères, souvent perçues par leurs parents comme des clés de réussite.
Une éducation multilingue, des défis pour le khmer
Vong Serey Vatanak, également éducateur depuis plus de dix ans, souligne une réalité qu’il observe au quotidien : « Les enfants sont immergés dans un environnement où l’anglais prédomine, que ce soit à l’école ou sur les réseaux sociaux. C’est une langue qu’ils maîtrisent parfois mieux que le khmer. » Malgré ses efforts pour maintenir une pratique équilibrée à la maison, il remarque que ses enfants préfèrent souvent s’exprimer en anglais.
Korm Marksey, tante d’une fille de sept ans, partage un constat similaire :
Ma nièce est tellement exposée à des contenus en anglais que parfois, nous devons lui expliquer certains mots khmers dans cette langue.
Les préoccupations du gouvernement et des experts
Face à cette situation, le Premier ministre Hun Manet a récemment alerté sur les risques pour la langue khmère. « Étudier la littérature khmère et les mathématiques est crucial pour bâtir une base solide », a-t-il déclaré le 23 décembre. Selon lui, il est impératif de privilégier un apprentissage formel du khmer dès le plus jeune âge.
Pa Chanroeun, président de l’Institut cambodgien pour la démocratie, abonde dans ce sens : « Apprendre des langues étrangères est indispensable dans un monde globalisé, mais jamais au détriment de la langue nationale. Le khmer est le fondement de notre identité. » Il appelle également les parents à instaurer des habitudes linguistiques fortes à la maison : « Parler khmer avec ses enfants, c’est les ancrer dans leur culture tout en leur ouvrant des portes. »
Un fossé entre villes et campagnes
L’accès aux langues étrangères, notamment à l’anglais, varie considérablement entre les zones urbaines et rurales. Une étude de 2022 révèle que si 93,8 % des enfants de 7 à 14 ans maîtrisent le khmer, seuls 3,4 % d’entre eux sont également à l’aise en anglais. « Dans les zones rurales, le manque de ressources, comme les livres ou les dispositifs numériques, crée un véritable fossé éducatif », souligne Pa Chanroeun.
Les zones touristiques comme Siem Reap et Sihanoukville constituent une exception. « Ces régions offrent davantage d’opportunités grâce à l’industrie touristique », explique Vong Serey Vatanak.
« Mais pour beaucoup d’enfants ruraux, l’accès à l’anglais reste un luxe. »
Préserver l’équilibre linguistique
Pour les experts, le défi est de taille : promouvoir l’apprentissage des langues étrangères sans compromettre le khmer. « Il s’agit de trouver un équilibre », résume Pa Chanroeun. « Encourager les jeunes à lire et écrire en khmer doit être une priorité. »
Vong Serey Vatanak se montre toutefois optimiste : « Comme à Singapour ou Hong Kong, nous pouvons développer notre économie tout en préservant notre langue. Mais cela nécessite des politiques claires et des incitations pour valoriser la maîtrise du khmer. »
Le Cambodge, à l’aube d’une transformation économique, doit relever ce défi culturel pour s’assurer que sa jeunesse reste enracinée dans son identité nationale tout en s’ouvrant au monde.
Avec l'aimable autorisation de Cambodianess qui a permis la traduction de cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.