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“SAOY” : les saveurs oubliées de la cuisine royale cambodgienne

Saoy Livre ouvertSaoy Livre ouvert
Thoeun Veasna
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 12 mai 2023, mis à jour le 12 mai 2023

Comme la dernière trace d’une époque révolue, la cuisine subsiste parfois au temps et survit à l’Histoire, en regardant passer devant elle les hommes et les femmes qui la perpétue. Dans son nouveau livre de recettes, “SAOY : The Forgotten Flavors of Royal Cambodian Home Cuisine”, la cheffe Rotanak Ros, aussi connue sous le nom de “Cheffe Nak”, se fait l'archéologue d’une tradition culinaire vieille de plusieurs années.

 

La cuisine comme mémoire d’une identité culturelle

Si sa mère, occupée au marché, ne cuisinait pas tous les jours, Rotanak Ros se souvient avec émotion des repas qu'elle préparait.

 

"A chaque repas qu'elle cuisinait, peu importe la simplicité, les saveurs me restaient en bouche", se remémore-t-elle. 

 

Élevée par ces parfums et ces goûts si particuliers, la cheffe en devenir a commencé à cuisiner tôt, à l'âge de 5 ans, avec sa sœur aînée pour le reste de la famille, pendant que leurs parents travaillaient.

 

En 2005, maintenant adulte et pleine d’ambition, Rotanak Ros s’implique auprès de Cambodian Living Arts (CLA) en tant que coordinatrice des programmes, avant de devenir responsable des finances à l'âge de 22 ans. Cette expérience va notamment lui faire prendre conscience de la nécessité de préserver les arts traditionnels cambodgiens : 

 

En travaillant à supporter les différents cours d’art traditionnels pour le CLA, j’ai compris l’importance du transfert de savoir entre les générations. La plupart des arts cambodgiens ne sont pas répertoriés à l’écrit, et la seule façon de les perpétuer c’est d’en faire survivre la mémoire. Pour la cuisine c’est la même chose, les recettes, les ingrédients et les façons de faire se perdent au fil du temps si rien n’est fait pour les préserver ”. 

Cheffe Nak - Livre SAOY
Photo: Bunchan

 

C’est pourquoi elle décide, par curiosité et passion, de se lancer dans une drôle de quête : parcourir le Royaume à la recherche des différentes traces qui subsistent de la gastronomie cambodgienne. Après le régime des Khmers Rouges, la cuisine n’était plus devenue qu’une question de survivance, perdant au passage un nombre important de saveurs. Aussi, à la manière du conservateur dans son musée, la Cheffe Nak tente de faire revivre ces goûts, afin de les aider à traverser le temps dans les meilleures conditions. 

 

La cuisine a toujours été pour moi comme une présence du quotidien et c’est en me penchant réellement sur son histoire et ses déclinaisons que j’ai enfin appris à la considérer comme une réelle forme d’art à part entière. A ce titre, il était important pour moi de valoriser cet art culinaire khmer, en en préservant toute la mémoire ”, explique-t-elle avec émotion. 

 

Dans le cadre de ce projet, la jeune cuisinière s’est rendue dans tous les coins du Royaume pour tenter d'archiver et de documenter les spécificités et variétés des cuisines du passé. Menant un réel travail d'ethnologue, elle s’est entretenue avec les anciens des villages qu’elle a visité, pour retranscrire le précieux savoir, avant qu’il ne disparaisse.  

 

En 2019, ce projet mémoriel se concrétise par la parution d’un premier livre de recette, intitulé  "Nhum : Recipes from a Cambodian Kitchen", qui recensent 80 recettes traditionnelles cambodgiennes provenant de différentes régions du Cambodge, en anglais et en khmer.  

Le magazine américain Taste of Home lui attribuera également une place de choix dans sa liste des “10 chefs et innovateurs asiatiques qui ont changé notre façon de manger".

 

Une plongée dans la cuisine royale cambodgienne

Après la parution d’un article dans le New York Times en 2021, Rotanak est contactée par la fille d’un ancien ambassadeur qui a côtoyé la famille royale au Cambodge, du temps de son expatriation. Elle obtient de cette rencontre un précieux exemplaire d’un livre de recettes très particulier, puisqu’il aurait été écrit par la Princesse Norodom Rasmi Sobhana, la grand-tante du roi Norodom Sihamoni, en personne. La Princesse a, entre autres, adapté des plats du quotidien pour la famille royale, publié ses recettes dans des livres de cuisine, enseigné dans les écoles publiques et soutenu la promotion de l’émancipation des femmes.

 

Si Rotanak était bien renseignée sur les façons de faire et sur la cuisine traditionnelle cambodgienne, une nouvelle question lui trottait alors en tête: comment cuisinait-on dans l’enceinte du Palais Royal ?

 

A partir de ses recherches et du livre de recette de la Princesse Sobhana, Rotanak Ros a ainsi produit “une Histoire de la cuisine royale cambodgienne”, dans son nouveau livre “SAOY : The Forgotten Flavors of Royal Cambodian Home Cuisine” ("SAOY" signifiant "manger" dans le contexte de la royauté). 

Livre de recette SAOY
Photo: Thoeun Veasna

 

A travers ce livre, traduit en anglais et en khmer, la cheffe présente plus d’une soixantaine de recettes de cuisine issues de la tradition culinaire royale khmère.

En plus d’y ajouter une intéressante description des ingrédients et des illustrations qui méritent d’être saluées, “SAOY” peut être comparé à une forme de revue d’histoire de la cuisine tant les éléments de contextes et les références historiques y sont nombreux. L’ouvrage est particulièrement bien soigné, protégé par un coffret orné de dorures et de dessins qui en font un objet d’art à part entière, ou tout du moins un très beau cadeau à offrir. Les recettes sont illustrées et photographiées par les très talentueux Soben et Lamo.

 

En se concentrant sur les recettes élaborées par les membres de la famille de la Princesse Sobhana, Cheffe Nak restitue les habitudes de ces membres de la famille royale, où la cuisine, les goûts et les odeurs rendaient compte d’une époque toute particulière, dans un contexte culturel encore très différent de celui d’aujourd’hui.

SAOY cooking book
Photo: Thoeun Veasna

 

La cuisine royale khmère est généralement très complexe, riche et agrémentée d'épices aromatiques telles que les graines de fenouil, la cardamome, le clou de girofle, la coriandre et l'anis étoilé. Si les différences entre la cuisine traditionnelle cambodgienne et la cuisine royale, qui apparaît plus raffinée, sont assez évidentes, les influences à la fois chinoises, thaïlandaises, indiennes et même françaises qui façonnent, en arrière plan, certaines de ces spécialités, sont à découvrir au fur et à mesure des pages, des recettes et des plats qui y sont présentés. 

Plat traditionnel cambodgien - SAOY
Photo: Lamo

 

Ainsi, avec ce nouveau livre de recettes, Cheffe Nak nous offre une réelle peinture naturaliste des plats appréciés par la famille royale cambodgienne dans les années 1950 et 1960. 

 

Révéler tout le potentiel de l’art de cuisiner

Rotanak Ros a longtemps cherché la réponse à la question de l’Identité cambodgienne dans la nourriture. En se fixant comme mission de préserver mais surtout de valoriser la richesse culinaire du Cambodge, en présentant ses saveurs uniques et variées sur la scène internationale, la cheffe espère “faire comprendre au monde, et surtout à la population cambodgienne, tout le raffinement de cette cuisine”. 

 

Convaincue que la gastronomie khmère est une forme d'art qui s'inscrit fièrement dans le riche patrimoine culturel et artistique du Cambodge, elle espère ainsi pouvoir faire connaître son pays, sa culture et son histoire, autrement qu’à travers les horreurs de la guerre et les mystiques temples d’Angkor : 

 

La culture cambodgienne, et encore plus sa cuisine, mérite que le monde en sache plus à son propos. Elle mérite une place dans ce monde

, ne manque-t-elle pas d’ajouter à la fin de l’entretien. 

 

Cheffe Nak - Rotanak Ros
Photo: Thoeun Veasna

 

A l’occasion de la sortie du livre, une exposition également intitulée « SAOY » sera présentée du 13 mai au 6 juin 2023 à l’hôtel Rosewood Phnom Penh. L’exposition réunit le travail de trois créateurs cambodgiens: la cheffe Rotanak Ros bien sûre, mais également l’artiste numérique Serey Sot, surnommé « Soben », et le photographe cambodgien Lamo. 

La galerie est gratuite pour le public et ouverte tous les jours. Vous pourrez y découvrir des illustrations originales et des photographies d’art tout droit tirées du livre de recettes “SAOY - The Forgotten Flavors of Royal Cambodian Home Cuisine”. Rendez-vous aujourd’hui à 16h00 au Rosewood pour le lancement officiel de l’exposition !

 

U. Lacaze

 

 

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