Invités par l’Institut français du Cambodge, Anne de Amézaga et Éric Soyer, figures de la Compagnie Louis Brouillard fondée par Joël Pommerat, ont passé une dizaine de jours à Phnom Penh. Une venue pensée comme un temps de rencontre, de transmission et de coopération artistique.


Fondée au début des années 1990, la Compagnie Louis Brouillard s’est construite sur un fonctionnement durable, à rebours des logiques de production rapides. Elle porte l’ensemble de l’œuvre de Joël Pommerat, aujourd’hui traduite dans près de quarante langues et montée par de nombreux metteurs en scène à travers le monde.
Anne de Amézaga explique : « Ce ne sont pas la plupart des pièces de Joël Pommerat que nous avons faites ensemble, mais toutes. Louis Brouillard, c’est un groupe d’artistes, de technicien·ne·s, de collaborateurs et collaboratrices artistiques, un bureau de production au service d’un artiste. Une compagnie de théâtre de création et de répertoire. »
Éric Soyer, créateur lumière et scénographe
Scénographe et créateur lumière, Éric Soyer est l’un des artisans majeurs de l’esthétique des spectacles de Joël Pommerat. Mais son activité ne se limite plus à la compagnie : « J’ai aussi ouvert mon activité à l’opéra contemporain, à la danse, au cirque, à la musique électro. Depuis une quinzaine d’années, je travaille avec de nombreux chorégraphes, en France, en Europe et jusqu’en Chine. »
Anne de Amézaga, « missions spéciales »
Le parcours d’Anne de Amézaga s’est construit entre production, lieux et festivals, avant d’évoluer vers un rôle spécifique auprès de Joël Pommerat :
« J’accompagne le travail de Joël Pommerat depuis 25 ans, j’ai occupé beaucoup de postes. Aujourd’hui, j’ai laissé mon titre de co-directrice à mon ancienne assistante. Je suis responsable de missions spéciales, ainsi que du développement et des tournées à l’international. Je remplis également le rôle d’agent depuis 2005. »
Parmi ces « missions spéciales », un chantier majeur : la création du premier théâtre en dur en prison en France, au centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille.
Lancé en 2018, le projet associe artistes, techniciens, architectes et administration pénitentiaire. Anne de Amézaga insiste : « Les détenus pourront y travailler, y venir en public, tout comme le public extérieur et des compagnies. Ce n’est pas un théâtre au rabais, c’est un vrai lieu de création, de formation, de fabrication de spectacles, de diffusion et de recherche. »
Que sont-ils venus faire au Cambodge ?
La venue au Cambodge trouve son origine dans une proposition de Fanny Pagès, directrice adjointe et attachée culturelle de l’Institut français du Cambodge.
Anne de Amézaga raconte : « Avant de prendre son poste à Phnom Penh, Fanny Pagès m’a dit : “J’adore le travail de Joël Pommerat, mais je ne sais pas s’il est connu ici.” À son arrivée, Karim Belkacem est venu voir Fanny et lui a dit : “J’ai traduit une pièce de Joël Pommerat.” Et c’est parti. »
Plutôt que d’arriver immédiatement avec un spectacle, Anne de Amézaga a proposé une autre méthode : venir d’abord écouter, rencontrer et comprendre. L’objectif n’était pas de « diffuser » sèchement une œuvre, mais d’évaluer la possibilité de coopérations artistiques durables, adaptées aux réalités locales.
« Le plus cohérent, selon moi, était de venir d’abord visiter des lieux, rencontrer des artistes, voir des spectacles et réfléchir à une tournée régionale, à l’échelle du Cambodge mais aussi de l’Asie du Sud-Est », explique-t-elle.
Cette première venue s’inscrit aussi dans une mission plus large confiée à Anne de Amézaga depuis près de vingt ans : le développement international de l’œuvre de Joël Pommerat, que ce soit par la circulation des spectacles, la traduction des textes ou l’accompagnement de projets portés localement.
L’invitation s’est faite en collaboration avec l’Acting Art Academy, installée sur les quais, au centre de Phnom Penh. Une école et un lieu de présentation créés il y a trois ans par Karim Belkacem, auteur, metteur en scène et comédien, et Armelle Despeyroux, organisatrice et cofondatrice.
Ce qu’ils ont trouvé sur place
Durant ces dix jours, Anne de Amézaga et Éric Soyer ont rencontré de nombreux acteurs de la scène culturelle cambodgienne : artistes, pédagogues, traducteurs, responsables de lieux et jeunes créateurs en formation. Ils ont assisté à plusieurs spectacles contemporains et découvert des espaces de création émergents.
« Nous ne prétendons évidemment pas connaître le Cambodge en dix jours, mais il s’est passé quelque chose de très fort humainement », souligne Éric Soyer, évoquant l’accueil, l’énergie et l’engagement des personnes rencontrées.
Tous deux insistent sur la vitalité d’une jeunesse artistique en devenir, porteuse d’une grande curiosité et d’un fort désir de création. Cette dimension intergénérationnelle, loin d’un rapport vertical ou professoral, a nourri les échanges.
Ateliers, transmission et travail concret
Anne de Amézaga a présenté le film de Blandine Armand sur le travail de Joël Pommerat, Joël Pommerat, le théâtre comme absolu, surtitré en anglais et suivi d’un échange avec le public. Elle a également présenté son parcours et son travail durant cinq heures, et reçu les personnes qui le souhaitaient en rendez-vous individuels sur deux après-midis.
Au cœur du séjour : un atelier conduit par Éric Soyer, mêlant théorie et pratique autour de la lumière et de l’espace scénique, dans différents lieux, dont The Last Stage.
Sans recourir à des dispositifs sophistiqués, le scénographe a travaillé à partir des moyens disponibles localement. « J’ai volontairement fait avec ce qui était là. Mon but, c’était qu’ils repartent en se disant : “On peut faire quelque chose nous-mêmes.” »
Le groupe rassemblait des profils variés : comédiens, metteurs en scène, réalisateurs, traducteurs, architectes, techniciens du son. Une hétérogénéité pleinement assumée par Anne de Amézaga : « Le théâtre est un métier de groupe. Il faut comprendre ce qui se passe sur le plateau, mais aussi derrière. »
Les conséquences et les pistes ouvertes
Cette visite n’avait pas vocation à produire des résultats immédiats, mais à ouvrir des perspectives. Plusieurs pistes concrètes ont émergé : poursuite des traductions en khmer de textes de Joël Pommerat, accompagnement d’artistes cambodgiens en résidence en France, nouveaux ateliers et, à plus long terme, une éventuelle tournée régionale.
Anne de Amézaga insiste sur un point essentiel : « Aujourd’hui, parler uniquement de diffusion n’aurait plus de sens. Prendre l’avion, mobiliser de l’argent public, cela engage une responsabilité. Il faut construire des coopérations, de vrais échanges et collaborations, pas seulement jouer et repartir. »

Coraline Kerléo et Marie Malaquias dans Les Petites Filles modernes (titre provisoire) de Joël Pommerat (© Agathe Pommerat)
Si la présentation d’un spectacle de Joël Pommerat au Cambodge reste un horizon possible, elle n’est qu’un élément parmi d’autres. « Si ce n’est pas un spectacle, ce sera autre chose. Mais ce sera dans les deux sens », résume-t-elle.
À l’issue de ce premier séjour, aucune porte n’est refermée. Au contraire, cette venue a permis de poser les bases d’un dialogue durable entre la Compagnie Louis Brouillard et la scène artistique cambodgienne, dans une logique d’échange, de transmission et de création partagée.
Dates et lieux de tournée de la Compagnie Louis Brouillard de Joël Pommerat :
www.louis-brouillard.fr
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