Arrivé récemment à la présidence de l’Association des parents d’élèves (APE) du Lycée français René Descartes de Phnom Penh, Emmanuel Dollfus prend ses fonctions à un moment charnière pour l’établissement. Entre une gouvernance partagée avec l’AEFE, un environnement éducatif cambodgien en rapide évolution et des enjeux budgétaires inédits du côté français, il détaille les défis qui attendent le lycée, ainsi que les grandes orientations du futur plan stratégique à horizon 2030.


L’équilibre entre l’AEFE et l’APE, clef de la gouvernance
Le Lycée Descartes est un établissement conventionné avec l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Cette convention détermine un fonctionnement particulier, fondé sur une gouvernance partagée entre les parents d’élèves et l’équipe de direction.
« Nous sommes les deux faces d’une même pièce », résume Emmanuel Dollfus. L’AEFE met à disposition du lycée des personnels détachés de l’Éducation nationale — professeurs résidents, cadres administratifs, direction — tandis que l’APE assume la gestion administrative et financière de l’établissement.
« En tant que président, je signe tous les contrats de travail et engage la responsabilité financière et pénale de l’association. Tout cela est entièrement bénévole, il faut le rappeler », précise-t-il.
Le proviseur, quant à lui, est nommé par l’AEFE : « Nous n’avons pas de lien hiérarchique avec lui. L’enjeu est de travailler ensemble, en bonne intelligence, car l’un ne peut rien sans l’autre. Ça tombe bien, avec M. Junca comme avec son prédécesseur, la communication est excellente. »
Un bureau renouvelé, mêlant expérience et nouvelles compétences
L’Assemblée générale des parents a récemment conduit à la constitution d’un nouveau bureau. Un équilibre a été recherché entre continuité et renouvellement.
Parmi les membres, Magali Morel occupe désormais la vice-présidence, apportant son expertise en communication et du lien avec les familles. Le poste de trésorier revient à Damien Stevens, chef d’entreprise nouvellement arrivé au Cambodge. L’ancienne présidente, Marie Cormier, devient secrétaire, assurant la continuité administrative. Nathalie Lesellier, trésorière adjointe, apporte son expérience de longue date à ce poste. Enfin, Laurent Casteret, directeur d’une école d’hôtellerie, rejoint l’équipe pour renforcer les compétences de gestion.

Nouveau bureau de l’Association des parents d’élèves du Lycée français René Descartes. Photo Alexis Micoud
« Nous avons un bureau solide, avec un mélange d’expérience et de nouveauté », souligne Emmanuel Dollfus, rappelant que les départs fréquents liés à la vie d’expatrié imposent une gestion anticipée des transitions.
Un environnement éducatif cambodgien en pleine effervescence
Pour Emmanuel Dollfus, le premier défi se situe dans le contexte local : « Le secteur de l’éducation évolue très vite. De nombreuses écoles internationales émergent, avec des offres de plus en plus solides. Avoir le français et le bac français ne suffit plus à attirer les familles. »
Pour la première fois depuis la pandémie, les effectifs du lycée n’augmentent pas cette année, avec 1 280 élèves. « Une situation qui n’est pas alarmante, mais qui appelle une réflexion stratégique. »
Les nouveaux établissements francophones agréés — EFI, Acacia — modifient également le paysage, sans parler des écoles anglophones toujours plus nombreuses qui ajoutent du français à leurs cursus. À cela s’ajoutent les fragilités économiques de certaines familles, notamment celles qui dépendent du tourisme ou de l’immobilier.
« Nous devons tenir compte de ces réalités. Les budgets des familles sont sous tension, et l’équilibre financier du lycée doit rester sûr. »
De nouvelles infrastructures et des opportunités à saisir
La rentrée a marqué la mise en service de nouveaux espaces pour la maternelle et le primaire, salués pour leur qualité. Une dernière tranche sera livrée en avril, incluant une salle polyvalente de 200 places, équipée pour accueillir des spectacles.

Nouvel espace maternelles photo Alexis Micoud
Ces investissements ouvrent de nouvelles perspectives : « Nous devons nous interroger sur la meilleure manière d’occuper ces locaux, de développer de nouvelles activités et d’ouvrir davantage le lycée vers l’extérieur. »
Après l’achèvement des constructions viendra le temps de la rénovation progressive des bâtiments plus anciens : mobilier, salles de classe, conditions d’accueil… « Cela ne s’arrête jamais. »
Un plan stratégique à horizon 2030 : participation, innovation et exigence
Les transformations technologiques, en particulier l’intelligence artificielle, imposent une réflexion commune entre l’APE, le Conseil d’établissement et la direction : « Il faut que les parents et le proviseur soient complètement alignés sur la façon d’aborder ces sujets. »
Même si la dimension pédagogique relève entièrement de l’administration du lycée, l’APE joue un rôle essentiel dans la compréhension des besoins et l’accompagnement des évolutions.
À l’initiative du proviseur, un vaste plan stratégique est lancé. La phase de diagnostic s’étendra jusqu’en février, avec une consultation « très large et très inclusive » : parents, élèves, professeurs, ambassade, entreprises, autres établissements de Phnom Penh et de province.
« Avec le proviseur, nous voulons une démarche ouverte, sans parti pris. Le but est que d’ici 2030, tout le monde avance dans la même direction : APE, administration, Ambassade, enseignants et familles. »
Les thématiques envisagées couvrent la gouvernance et les finances, l’excellence pédagogique, le bien-être, l’inclusion et le vivre-ensemble, la francophonie et l’interculturalité, les partenariats ainsi que les activités extrascolaires, culturelles et sportives.
Chaque sujet sera examiné sans préjuger de ses conclusions, y compris les projets emblématiques comme les voyages scolaires ou l’internat : « Il faut regarder ce qui fonctionne, ce qui doit évoluer, et s’assurer que tout reste inclusif et cohérent avec nos moyens. »

Photo Alexis Micoud
Une contrainte budgétaire
Pour la première fois depuis des années, le projet de budget de l’État français prévoit une baisse des crédits alloués à l’AEFE : de 410 à 390 millions d’euros.
Cela intervient alors même que cette Agence doit atteindre un objectif ambitieux fixé par le président de la République : doubler le nombre d’élèves du réseau d’ici 2030, pour passer de 350 000 à 700 000.
Le principal changement envisagé concernerait la prise en charge des pensions civiles (cotisations retraite) des fonctionnaires détachés. « Jusqu’ici payées par Paris, elles pourraient être supportées en partie par les familles. C’est inédit et scandaleux. Aucun autre service public ne demande à ses usagers de payer directement la retraite des fonctionnaires. »
L’APE se prépare donc à une double réponse : locale, en renforçant l’exigence de gestion pour limiter l’impact sur les frais de scolarité, et collective, en rejoignant les autres lycées français du monde pour porter la question auprès des autorités françaises.
« Les parents bénévoles assument des responsabilités lourdes. Les familles sont sous tension. Si la France veut développer son réseau, elle doit en donner les moyens. L’influence et l’attractivité du pays ont un coût. »
Et les bourses ?
Bonne nouvelle pour les familles : les bourses scolaires, gérées par l’AEFE mais issues d’un autre budget, ne devraient pas être directement affectées. Mais une nuance demeure : si les frais augmentent, rien ne garantit que les bourses couvrent la différence.
Ouvrir l’avenir sans précipitation
En prenant la tête de l’APE, Emmanuel Dollfus se donne une ligne : participation, innovation et exigence. Trois piliers pour traverser une période où se croisent bouleversements locaux, contraintes budgétaires et nouvelles opportunités.
« Nous devons être responsables, prudents, mais aussi ambitieux. Le lycée Descartes entre dans une nouvelle phase : à nous de faire en sorte que ce changement soit une chance. »
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