Le 28 septembre, la Journée mondiale contre la rage rappelle que cette maladie tue encore chaque année. Au Cambodge, le sujet reste brûlant : malgré des avancées majeures, la rage fait toujours près de 800 victimes humaines par an. Pour comprendre les enjeux, nous avons rencontré deux spécialistes de l’Institut Pasteur du Cambodge (IPC), figures centrales de la lutte contre ce fléau : le Dr Ly Sowath, directeur adjoint de l’Institut, et le Dr Yiksing Peng, responsable du service vaccination.


Deux experts au cœur du combat
Le Dr Ly Sowath, médecin épidémiologiste, a intégré l’IPC en 2005. Directeur adjoint depuis 2017, il contribue à la coordination des activités scientifiques et de santé publique.
À ses côtés, le Dr Yiksing Peng mène une bataille quotidienne contre la rage. Médecin de formation, il a rejoint l’IPC en 2009 et, depuis 2019, il dirige le service vaccination. Trois centres de traitement de la rage sont placés sous sa responsabilité : un à Phnom Penh, un à Battambang et un à Kampong Cham. « Mon objectif est clair : contribuer à l’élimination de la rage transmise par les chiens au Cambodge d’ici 2030, en travaillant main dans la main avec les autorités et nos partenaires », souligne-t-il.
Une maladie vieille comme le monde, mais toujours meurtrière
La rage est une zoonose virale qui se transmet à l’être humain par la salive d’animaux infectés. « C’est une maladie extrêmement dangereuse. Une fois les symptômes apparus, il n’y a aucun retour possible. La mort survient en dix jours », insiste le Dr Ly Sowath.
Au Cambodge, la maladie est connue sous le nom de « maladie du chien fou ». Une appellation populaire qui en dit long sur la réalité : le chien reste le principal vecteur du virus, même si les chats et d’autres mammifères peuvent aussi transmettre la rage.
Comment se transmet le virus ?
La morsure est la cause la plus fréquente, mais une griffure ou même un léchage sur une plaie ouverte ou une muqueuse (bouche, œil) suffit à contaminer. En revanche, un simple contact avec une peau saine ne présente pas de risque.
L’incubation peut durer de quelques semaines à plusieurs mois. « Ce silence est trompeur : c’est une période critique où nous pouvons encore sauver des vies si les victimes se présentent à temps dans un centre de traitement », rappelle le Dr Yiksing Peng.
Chez l’humain, la maladie attaque le cerveau, provoquant encéphalite, hallucinations, confusion, puis les signes caractéristiques : hydrophobie (peur de l’eau), aérophobie (peur des courants d’air), hypersensibilité et difficultés respiratoires. Une fois les symptômes déclarés, la mort est inévitable.
Une avancée majeure signée Phnom Penh
L’Institut Pasteur du Cambodge est à la pointe de la recherche dans le monde. Longtemps, en effet, le protocole imposait cinq injections réparties sur plusieurs semaines. Mais grâce aux recherches menées à l’IPC, ce traitement a été considérablement allégé : depuis 2018, un schéma vaccinal de trois visites en une semaine suffit.
« Nous avons prouvé que trois sessions permettaient une protection complète. L’OMS a reconnu ce protocole en 2018, et il est aujourd’hui recommandé dans le monde entier », se félicite le Dr Yiksing Peng. Ce protocole est désormais officiellement appelé « protocole de l’Institut Pasteur du Cambodge », un succès dont les deux médecins sont fiers.

Ce progrès change tout pour les patients, qui peuvent terminer leur traitement en sept jours, au lieu de plusieurs semaines auparavant. C’est un gain bien sûr pour le patient, mais aussi un avantage considérable sur le plan financier. En diminuant le nombre d’injections et les doses, le coût du traitement a été réduit à 15 dollars. Une somme dérisoire au regard d’une vie sauvée, mais encore trop élevée pour une partie de la population rurale.
Une couverture encore insuffisante
Chaque année, les centres de l’IPC traitent plus de 60 000 personnes. Mais ce chiffre reste faible face aux 600 000 morsures de chiens estimées annuellement au Cambodge. « Le décalage est immense. Beaucoup de victimes ne consultent pas, faute de moyens ou de sensibilisation, et meurent à domicile sans être comptabilisées », regrette le Dr Ly Sowath.
La clé : vacciner les chiens
Au-delà des soins curatifs, l’élimination de la rage ne pourra passer que par la vaccination canine. « Si l’on vaccine 70 % des chiens chaque année pendant cinq à sept ans, la rage peut disparaître d’une région », assure le Dr Yik Sing Peng.
Pourtant, le Cambodge ne dispose toujours pas d’un programme national obligatoire de vaccination canine. Les initiatives locales existent, mais restent insuffisantes pour freiner la propagation du virus.
Un appel à la vigilance et à la prévention
Les deux médecins sont formels : la rage reste une urgence sanitaire. « C’est une maladie 100 % mortelle, mais 100 % évitable si l’on agit à temps. Toute personne mordue, griffée ou léchée par un animal doit consulter rapidement un centre de traitement et recevoir la prophylaxie post-exposition », martèle le Dr Ly Sowath.
Alors que la communauté internationale s’est fixé pour objectif l’élimination de la rage transmise par les chiens d’ici 2030, le Cambodge se trouve face à un défi crucial : élargir l’accès aux soins, renforcer la sensibilisation des populations et engager une véritable politique de vaccination canine.
La bataille est encore loin d’être gagnée, mais une chose est sûre : à Phnom Penh, l’Institut Pasteur du Cambodge est à l’avant-garde de ce combat vital.
Sur le même sujet















































