Avec C’est arrivé à Phnom Penh, récemment, un recueil de nouvelles de Santel Phin, et Trois autres Cambodge, un ouvrage collectif sous la direction de Teri Shaffer Yamada rassemblant des nouvelles d’auteurs-trices cambodgiens, Gope-Editions ouvre aux lecteurs francophones une porte sur la littérature cambodgienne moderne.


Si vous vous attendez à un joli et tranquille voyage au pays du sourire, des vertes rizières, des temples angkoriens millénaires et des romances à l’eau de rose au son de la caressante musique de Sin Sisamuth, passez votre chemin.
Pour ces jeunes auteurs-là, le Cambodge contemporain ne porte pas à la légèreté. Arrogance des puissants et pauvreté extrême, amours impossibles et mariages forcés, corruption, émiettement des valeurs traditionnelles et modernisme clinquant, leur royaume porte le poids d’une histoire tragique qui obscurcit le présent et l’avenir de leurs héros et héroïnes. Heureusement pour ceux-ci, leur incroyable capacité de résilience, nourrie pour les uns par un indestructible instinct de survie, pour les autres, par la sagesse – le fatalisme ? - de leur foi karmique - ou bien d’une désespérance tranquille – laisse passer la lumière sous la porte.
Prenons par exemple les héros un peu à la ramasse côté cœur de Santel Phin qu’il fait évoluer, d’une écriture propre comme un couteau de cuisine avant la saignée, dans un Phnom Penh passablement glauque. Le premier, dans la nouvelle « Révolver », est un Cambodgien qui revient de France et veut écrire une histoire d’amour. Mais il ne sait pas comment s’y prendre, n’ayant manifestement pas le mode d’emploi de l’amour. Par bonheur, la maitresse d’un truand lui en offrira le chemin. Enfin presque. Mais par ricochet et par procuration. Avec trois balles dans le barillet. Son deuxième héros est un homme d’affaires de 25 ans qui n’a pas choisi de le devenir et qui se réveille un matin aux côtés d’une fille de bar qu’il a déflorée dans les brumes de l’alcool. Mais, curieusement et à la plus grande surprise du héros, l’histoire finit bien. Dans la troisième nouvelle écrite sous la forme d’un échange épistolaire, le héros qui signe Le Solitaire permet à la femme qu’il aime – L’Élue – d’accepter sa vie avec un autre. Bref, rien ne file droit dans l’univers de Santel Phin où, malgré tout, une maille à l’envers, une maille à l’endroit, la vie, et l’amour un peu, font leur chemin. Car, comme l’écrit L’Élue, « nous ne sommes pas un peuple mort. Et nous n’allons pas mourir. »
Collant au plus près des réalités sociales, les nouvelles rassemblées par Teri Shaffer Yamada dans Trois autres Cambodge offrent un panorama de créations d’auteurs « qui écrivent et publient à la périphérie de la culture de grand public, que ce soit par de petits tirages ou par des stratégies narratives qui cachent la critique directe de la corruption au sein des institutions aux manettes du pays. ».
Teri Sheffer Yamada est la fondatrice de la Nou Hach Literary Association en 2002. Cette Professeure émérite en études asiatiques à la California State University de Long Beach, spécialiste de l’Asie du Sud-Est et particulièrement de la littérature cambodgienne moderne, incarne le lien entre la scène littéraire cambodgienne et les réseaux mondiaux, participant activement à la reconnaissance, la sauvegarde et la promotion de la littérature du Cambodge. Cette structure a créé Le prix littéraire Nou Hach qui vise à valoriser la littérature contemporaine du Cambodge et à encourager la créativité chez les écrivains locaux. La plupart des auteurs publiés dans ce recueil de nouvelles ont été lauréats de ce prix.
Structuré en trois volets – Un avenir à construire, Cet héritage du passé, La voie du juste milieu – « Trois autres Cambodge » regroupe 18 nouvelles - certaines prenant la forme de contes animaliers - dans lesquelles leurs auteurs, très jeunes pour la plupart, passent à la moulinette les dérèglements de la société khmère d’aujourd’hui, Un voyage littéraire indispensable pour comprendre les aspirations, voire les obsessions, de ces « écrivains cambodgiens de la périphérie ».
Pierre Gillette
Livres en vente chez Carnets d’Asie

Trois autres Cambodge
- Collectif sous la direction de Teri Shaffer Yamada
- Nouvelles
- 220 pages
- Auteurs : Chieb Kimheang, Heng Oudom, Kao Seiha, Kao Sokchea, Mey Son Sotheary, Nhem Sophath, Noch Sakona, Pen Chhornn, Phou Chakriya, Phy Runn, Ry Sarong, Seng Chanmonirath, Sun Try, Svay Leemeng, Than Chan Tepi et Yur Karavuth.
C’est arrivé à Phnom Penh, récemment
- Santel PHIN
- Nouvelles
- 82 pages
- L'auteur : Né en 1977, Santel PHIN fait partie d’une nouvelle génération d’auteurs khmers. Il a aiguisé sa plume en tenant un blog avant de se lancer dans l’écriture de nouvelles, dont Le revolver, qui a été primée. Rompant avec l’esthétique traditionnelle de la prose khmère, il aime utiliser des mots courants, des phrases courtes et simples pour aborder des sujets relatifs au Cambodge contemporain.
- Traduction : David Magliocco.
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