Jean-François Spricigo, invité au festival Photo Phnom Penh, partage sa vision intuitive et poétique de la photographie argentique, son lien au Cambodge et son admiration pour ses artistes.
Le Petit Journal : Bonjour, Jean-François Spricigo .Nous réalisons cette interview dans le cadre de votre exposition lors du Phnom Penh Photo Festival, au Cambodge ! Vous faites partie des quatorze photographes Français invités, et vous êtes un des rares à avoir fait le déplacement à cette occasion. Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter succinctement, et nous dire quand et comment vous est venu cette passion pour la photographie ?
Jean-François Spricigo : “Vivant, apparenté à l’espèce humaine.” Est-ce la présentation la plus sincère tellement les références identitaires me pèsent. L’essentiel, selon moi, n’étant pas la forme que la Vie a choisi de prendre, mais plutôt la Vie dans la forme, ainsi s’épanouit-Elle par la joie d’Être.
La photo - comme l’ensemble des manifestations de mon existence - a surgi soudain de l’évidence, quand la capacité à l’accueillir me fut offerte.
LPJ : Pourquoi, en ces temps modernes et digitaux, vouloir perpétuer l’art photographique via l’usage de l’argentique ?
JFS : Il ne s’agit pas de volonté, mais de circonstances. À mon âge, lors de mes débuts adolescents, l’argentique présidait aux usages.
Quelques irréductibles me gratifient encore d’une supposée authenticité sous l’argument de ce procédé désormais archaïque. Drôle d’idée... et comme toute idéologie, elle se borne au mieux à la naïveté, au pire impose sa morgue. Revendiquer l’absolutisme d’un moyen incline à le déterminer en but.
À mes yeux, la photographie permet d’abord la singulière opportunité de mise en relation, tant avec la situation que les éléments qui y participent. Ergoter sur le support jusqu’à l’imposer en sujet est la stratégie d’une ambition plus prompte au profit marchand, qu’au service d’un élan poétique. Écrire avec un stylo, un crayon, ou sur du sable, n’enrichira pas la puissance verbale, n’en déplaisent aux vociférants fascinés par le faste fallacieux des ornements.
Pareille adoration éloigne du fondamental : laisser faire simplement ce qu’il y a à faire. Les circonstances fournissent la justesse des moyens, à nous d’en reconnaître la pertinence afin de mieux danser avec elle, au rythme de la coloration de l’instant.
LPJ : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette exposition, qui a lieu actuellement à la Phnom Penh Factory, et qui rassemble 33 photos ?
JFS : Le prétexte de cette exposition augura d’emblée un ravissement, le providentiel Christian Caujolle en est à l’initiative. Le titre “Retrouvailles“ s’envisage à la fois en métaphore et en gratitude.
* Gratitude, il y a maintenant 20 ans, j’ai eu le privilège de rencontrer Christian qui m’a inspiré le plus précieux : la confiance.
Puis le temps a filé, Christian m’appelle il y a quelques mois pour à nouveau me tendre la main, cette fois vers l’Asie et la majesté du Cambodge.
* Métaphore, rencontrer les retrouvailles sans cesse renouvelées entre la multiplicité du Vivant et l’universel en soi.
Les photographies présentées sont issues des deux dernières années, intuitivement assemblées par les vents vivifiants des vertigineux voyages en Outre-mer et ailleurs.
LPJ : Ce festival photo, le plus important d’Asie du Sud-Est, a rassemblé 110 artistes. Quel est votre regard sur la nouvelle génération des artistes Cambodgiens, dont vous avez pu observer plusieurs de leurs œuvres, au fil des expositions qui leur sont consacrées ?
JFS : J’ai eu l’honneur de réaliser une brève intervention auprès des élèves du Studio Images - House of photography. Formidable projet social, pédagogique et créatif, emporté par la diversité de leur engagement, tout entier mû en légèreté et intensité. J’ai le sentiment que l’intensité s’accorde mieux auprès de la légèreté, sinon elle nous ramène à la souffrance.
Les artistes cambodgiens du festival expriment leurs préoccupations légitimes, selon des codifications dont je me sens plus ou moins proches - et peu importe d’ailleurs, assister à si généreux mouvement est vivement revigorant !
LPJ : « La photo est votre mémoire », le « touk-touk tour », des projections de films et de vidéos, des ateliers d’échange, une diversité de supports, en intérieur comme en extérieur : pouvez-vous nous donner votre ressenti quant à ce festival et ce qui vous a marqué ?
JFS : Avant tout l’exigence et l’accueil reçu, chaleureux et stimulant. L’organisation, pour bonne part constituée de bénévoles, est un exemple réussi d’émulation positive et opérante. Le touk-touk tour fut pétillant, propice aux échanges bienvenus. En outre, grâce au festival, j’ai pu ménager du temps à explorer vos beaux horizons.
LPJ : Et le Cambodge alors ? Nous vous revoyons bientôt ?
JFS : Laisser à la Vie le soin des opportunités. Je me sens peu concerné par l’ordinaire adhésion à la nostalgie et autres spéculations prédicatives. Aussi prétendument idéales qu’elles apparaissent, elles bégaient le passé sans jamais sereinement nous parler du présent.
Vivre l’instant, pleinement - c’est à dire en amour - sans rien quémander, alors l’inattendu actualise un émerveillement toujours neuf.
Il n’y a plus de temps pour les regrets. Aimer par la joie d’aimer.
Merci beaucoup Jean-François !
Jean-François Spricigo est exposé à la Factory Phnom Penh
Entretien réalisé par Emmanuel Pezard dans le cadre de la 15ème édition du Photo Phnom Penh festival.
Photos @Jean-François Spricigo