Professeur de français et théâtre au lycée Descartes de Phnom Penh, metteur en scène, acteur et danseur, Eric Ellul signe l’adaptation khmère de Littoral de Wajdi Mouawad avec les étudiants de l’Acting Art Academy. Une aventure humaine et artistique, marquée par une exploration profonde de la mémoire, de la transmission et des cicatrices de l’histoire.


Une résonance inattendue avec la jeunesse cambodgienne
« Tout est parti de Incendies, que j’avais monté avec les lycéens de l’option théâtre du Lycée Descartes. La réaction des élèves face à ce texte m’a bouleversé. Ils y retrouvaient, par le biais de la fable, des échos de leur propre histoire : les guerres civiles, les silences familiaux, l’exil, les identités multiples. » nous confie Eric Ellul.
Karim Belkacem Saadi, qui a fondé l’Acting Art Academy en 2022, lui a mis dans les mains cette autre pièce de l’auteur Wajdi Mouawad, dont l’œuvre explore le traumatisme des guerres au Liban. « Au départ, je n’étais pas sûr. Mais après avoir vu la portée de Incendies, j’ai lu Littoral et j’ai compris ce qu’on pouvait en faire ici. Les histoires intimes et collectives du Liban et du Cambodge se font écho. »
Une odyssée universelle adaptée au Cambodge
« Littoral, c’est l’histoire d’un jeune homme qui cherche une sépulture digne pour son père défunt. Ça commence dans un pays occidental, puis ils se rendent dans le pays d’origine du père, et ce « retour » se transforme en une quête initiatique où le jeune homme rencontre d’autres rescapés de la guerre, d’autres mémoires blessées. Le texte ne cite aucun pays, mais l’allusion est claire. »
« Nous avons tous été extrêmement touchés par la réception de la pièce, elle a un formidable écho dans le cœur du public. Je crois qu’on a fait un pas. C’est une création qui questionne. Elle convoque l’intime, le collectif, le mémoriel. Elle crée du lien. »

Un espace plurilingue et pluriel
La pièce a été traduite en khmer par Niyalic Khun, un ancien élève d’Eric Ellul, puis elle a été affinée sur scène. « La traduction a été un défi. Il a fallu trouver un équilibre entre l’accessibilité du texte et sa poésie. Parfois, les acteurs ne comprenaient pas pleinement ce qu’ils disaient, on a cherché ensemble les mots justes, adaptés à l’oralité, tout en conservant l’exigence du texte. »
La pièce est jouée en khmer, avec des surtitres français et anglais pour toucher un public plus large. « La majorité des spectateurs sont des jeunes cambodgiens et ça c’est une belle réussite de l’Académie. Le théâtre contemporain en est encore à ses balbutiements au Cambodge, et c’est émouvant de prendre part à cette dynamique ».
Des acteurs en formation, une énergie nouvelle
« Ce qui m’a surpris, c’est l’engagement des membres de l’Académie. Ils ne sont pas rémunérés, mais ils se donnent entièrement. Ces jeunes entre 20 et 35 ans portent une histoire douloureuse, mais veulent la comprendre, la dire, la transcender. »
Le metteur en scène insiste sur la mutation qu’il a perçue : « J’habite ici depuis longtemps, mais là, j’ai senti un basculement. Cette jeunesse a soif de sens, de parole, de création. »
L’approche d’Eric Ellul est nourrie par son expérience en théâtre physique : « J’ai emmené les comédiens vers une conscience corporelle où le souffle, l’intention, la musicalité soutiennent une expression singulière ».

Entre obstacle et élan : un projet résolument vivant
Les difficultés n’ont pas manqué. « Chaque personne a un emploi ou étudie à côté, et pourtant nous sommes là presque tous les soirs pour répéter depuis des mois », retrace Eric Ellul. La pièce a été jouée une première fois dans le jardin de l’Institut Français dans le cadre du festival Golden (R)Age, soutenu par l’IFC et Factory, puis adaptée au théâtre de The last Stage.
« Dans cette nouvelle version, plus longue, nous avons été rejoints par deux jeunes professionnelles : la compositrice Liza Kith, et plus récemment, la scénographe Janitta Pel ». La scénographe Lola Rozé avec qui le metteur en scène avait déjà collaboré pour Incendies, a quant à elle conçu la marionnette qui tient un rôle clé dans la pièce.
La prochaine étape ? « Nous aimerions partir en tournée à Siem Reap, et dans d’autres régions du Cambodge, et pourquoi pas ailleurs. Nous avons envie d’aller à la rencontre du public, notamment des jeunes Cambodgiens. Voir comment ça résonne ».
En somme, Littoral devient bien plus qu’une adaptation : elle offre une traversée. Celle d’une jeunesse qui ose interroger son passé, se réapproprier le présent, et faire du théâtre un véritable outil de transformation collective.
Tous les samedis et dimanche de juin, à 18h, à The Last Stage (Quai Sisowath, à l’angle de la rue 110) juste à coté de Oskar
- Ticket : 7,5$
- Réservation : sur Wonderpass ou TheLastStageAAA
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