Dans les villages de Kampong Cham, chaque mariage ravive autant la joie collective que l’inquiétude des foyers les plus modestes. Entre traditions, dettes et pression sociale, la saison nuptiale met à l’épreuve les solidarités rurales.


À Kampong Cham, bien avant que les invités ne prennent place sous le chapiteau, les haut-parleurs résonnent déjà dans tout le village. Mais derrière cette ambiance festive se cache une réalité plus sombre : pour de nombreuses familles vivant au jour le jour, chaque note de musique rappelle autant la célébration que le poids financier qui l’accompagne.
Dans le froid de la matinée, les mélodies annoncent une nouvelle cérémonie, suscitent l’enthousiasme chez certains… et une profonde anxiété chez d’autres.
Les odeurs de plats de fête envahissent les ruelles, tandis que les mères préparent leurs filles en âge de se marier, espérant qu’une coiffure soignée attire l’attention d’un jeune célibataire.
Pour des villageois comme Nhel Chamroeun, éleveur de chèvres de 53 ans dans le district de Kang Meas, la saison des mariages se transforme en épreuve de résistance.
« Je peine déjà à m’en sortir chaque jour », confie-t-il, tandis que la musique couvre presque sa voix. « Trouver de l’argent pour les cadeaux de mariage est presque impossible. »
Une économie villageoise fondée sur la réciprocité
Dans les campagnes cambodgiennes, la vie sociale repose sur la réciprocité. Chamroeun le sait : lorsqu’il le faut, il vend quelques poulets, voire une chèvre, pour offrir l’enveloppe attendue — non par confort, mais par nécessité, afin de préserver les liens communautaires.
« Quand ma fille s’est mariée il y a cinq ans, j’ai invité presque tout le village », se souvient-il. « Maintenant, je dois rendre le geste lorsque leurs enfants se marient. »
Chaque année, une quinzaine d’invitations arrivent chez lui, bien au-delà de ce que son revenu peut supporter.
« Il m’arrive d’en manquer quelques-unes quand je n’ai vraiment pas d’argent », dit-il. Dans les campagnes, les invités donnent généralement entre 15 et 20 dollars par mariage, un montant important pour les familles modestes.
Les tensions familiales s’invitent alors au quotidien. Quand il est impossible de faire des cadeaux à chacun, le couple se dispute pour savoir qui ira à quelle cérémonie. La solution est devenue une habitude : lui participe aux festivités du soir, souvent interminables, tandis qu’elle assiste à la procession matinale, où les plats sont plus modestes.
« Elle n’est jamais vraiment contente », admet-il.
Entre espoir et pression sociale
Pour d'autres, les mariages représentent une fenêtre d’opportunités. Yim Chenda, 47 ans, mère de quatre enfants, voit dans chaque cérémonie une chance pour ses filles encore célibataires.
« L’aînée est mariée, mais les trois autres sont à un âge où les gens commencent à regarder », explique-t-elle. « Ici, les hommes ne veulent plus proposer quand une femme a passé 30 ans. »
Déjà dix invitations ont atterri chez elle au début du mois de novembre. Elle sourit en réfléchissant aux dépenses. « Peut-être que j’en manquerai une ou deux », dit-elle. Mais elle sait aussi que son absence pourrait se solder par un manque de soutien le jour venu pour ses propres filles.
La solitude de ceux que l’on n’invite plus
Pour certains villageois, la vraie douleur est ailleurs : être oublié. Bun Yon, veuf de 70 ans, ne reçoit presque plus d’invitations.
« Cette année, je n’en ai eu que deux », raconte-t-il. « Les gens savent que je suis pauvre et que je ne peux pas me permettre d’apporter des cadeaux. »
Pour rester lié à sa communauté, il se rend aux cérémonies où la présence prime sur la contribution.
« Je ne manque jamais un enterrement », dit-il. « C’est la dernière occasion d’honorer amis et voisins, et personne n’attend beaucoup d’argent. »
L’achar, figure centrale et gagnant de la saison
Au cœur de cette effervescence, une personne attend la saison des mariages avec plus d’impatience que tous les autres : l’achar Yong Yim, spécialiste des rituels de mariage.
Pendant la saison des pluies, période durant laquelle la tradition bouddhique déconseille les unions, il plante et récolte comme tout agriculteur. Mais une fois la saison des mariages ouverte, son activité atteint son apogée.
« J’aide aux champs quand il pleut parce qu’on ne se marie pas à ce moment-là », explique-t-il. « Quand la saison commence, je libère mon temps pour gagner plus grâce aux cérémonies. »
Les parents sollicitent fréquemment son aide pour choisir des dates fastes, un choix qui doit concilier croyances et contraintes professionnelles des jeunes couples.
« La plupart de ceux qui travaillent préfèrent les week-ends », dit-il. « Ils peuvent réunir plus de proches et d’amis. Alors on les aide à trouver des dates qui leur conviennent. »
Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui a permis la traduction de cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.
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