Arrivé en 2021 à Phnom Penh, Emmanuel Dollfus s’apprête à quitter cet été ses fonctions de directeur adjoint de l’Agence Française de Développement (AFD) au Cambodge. Pendant quatre années marquées par une forte relance post-Covid, il a vu l’activité de l’AFD croître de façon spectaculaire dans le Royaume. Il revient ici sur le rôle central de l’agence dans la coopération franco-cambodgienne, les secteurs clés de son intervention, et les perspectives à venir.


Une banque au service de la diplomatie
« L’AFD est le principal outil de coopération de la France à l’international », rappelle Emmanuel Dollfus d’entrée. Banque de développement publique, elle intervient dans 120 territoires, y compris les Outre-mer, pour un montant d’engagements global de 13,7 milliards d’euros en 2024. Elle regroupe trois entités : l’AFD elle-même, Expertise France (chargée de mobiliser l’expertise publique française) et Proparco (dédiée au secteur privé).
Sa mission va bien au-delà du financement. « Nous proposons quatre grands types d’interventions : les subventions, les prêts, les garanties, et l’expertise. » Cette dernière s’appuie notamment sur Expertise France, bien présent et actif au Cambodge, et sur des partenariats avec des chercheurs et doctorants, comme ceux actuellement engagés dans le projet ESTEEM : la modélisation économique de la transition énergétique au Cambodge.
L’AFD au Cambodge : un acteur de premier plan
« L’AFD est aujourd’hui de loin le premier bailleur européen au Cambodge, et le quatrième tous pays confondus », explique Emmanuel Dollfus. Depuis 2023, elle octroie chaque année environ 200 millions d’euros de financements, principalement sous forme de prêts concessionnels.
Son portefeuille atteint plus d’un milliard d’euros en cours. Ces prêts sont systématiquement liés à des projets concrets – le plus souvent dans le domaine des infrastructures. « Ce ne sont pas des prêts budgétaires : chaque prêt est attaché à une réalisation. »
L’agence à Phnom Penh emploie une quinzaine de personnes : deux expatriés, trois volontaires internationaux et neuf cadres cambodgiens.
Eau, irrigation, énergie : les piliers historiques
Parmi les priorités de l’AFD, l’eau et l’assainissement occupent une place centrale. « Le projet-phare, c’est l’usine de Bakkeng, à Phnom Penh, qui double la capacité de production en eau potable de la capitale. Elle alimente jusqu’à deux millions de personnes. »
Depuis 25 ans, l’AFD travaille dans ce domaine avec la régie des eaux de Phnom Penh (PPWSA), mais aussi à Siem Reap, Battambang ou Kampong Cham.
Deuxième axe majeur : l’irrigation. L’agence est à l’origine des schémas de gouvernance des périmètres irrigués cambodgiens, permettant d’assurer l’eau toute l’année et d’augmenter les rendements agricoles. Ce secteur représente 30 % du portefeuille.
Vient ensuite l’énergie, notamment renouvelable. L’AFD collabore avec l’entreprise publique EDC pour moderniser le réseau électrique et intégrer davantage de solaire. « Cela implique aussi des investissements dans des systèmes de stockage, notamment des batteries, et la numérisation du réseau. »
Enfin, un effort conséquent est consacré à la formation professionnelle, avec des projets dans le tourisme, le textile, la construction, l’agriculture ou encore le numérique. Deux nouvelles écoles de tourisme publiques devraient d’ailleurs bientôt voir le jour.
Des partenaires multiples : État, entreprises, ONG
Les principaux interlocuteurs de l’AFD sont les ministères cambodgiens. « C’est l’État qui s’endette, parfois pour rétrocéder à ses entreprises publiques », précise Emmanuel Dollfus.
Proparco, filiale de l’AFD, permet aussi de financer des entreprises privées (notamment dans l’énergie ou la transformation agricole), ainsi que des banques locales. L’objectif : favoriser la redistribution de crédits vers des projets privés d’utilité publique, comme des réseaux d’eau potable ou d’électricité en zones rurales.
Les ONG ne sont pas en reste. Le portefeuille ONG de l’AFD atteint actuellement 15 millions d’euros, avec des projets à l’échelle nationale ou régionale dans les domaines de l’éducation, de l’agriculture, de la santé ou bien de la petite enfance.
Une montée en puissance liée à la qualité des projets
Depuis la pandémie, l’activité de l’AFD au Cambodge a été multipliée par dix. « Nous sommes passés de 20 à 200 millions d’euros par an. Et ce n’est pas parce qu’il fallait dépenser de l’argent, alors que d’importants efforts sont réalisés au niveau budgétaire et qu’il faut justifier chaque euro. C’est surtout parce que le Cambodge nous propose plus de projets de qualité car les besoins vont croissants avec le développement du pays. »
Emmanuel Dollfus salue l’évolution de la gouvernance : « On a une nouvelle génération, généralement formée dans des écoles de rang international, avec qui nous parlons le même langage en matière de développement économique. » Il souligne également l’importance du travail accompli avec les générations précédentes de dirigeants, notamment à la régie des eaux de Phnom Penh, devenue un modèle mondial.
Diplomatie du développement et francophonie
L’AFD agit comme une plateforme de coopération. « Notre travail, c’est de jeter des ponts », affirme Emmanuel Dollfus. Prêts, expertise, soutien aux ONG sont autant d’outils au service de la diplomatie française.
Il se dit frappé par la vitalité de l’influence française au Cambodge. « La francophonie veut encore dire quelque chose ici. Dans chaque ministère, j’ai trouvé des francophones fiers de parler français. » Il ajoute que la relation entre les deux pays, marquée par une histoire longue et complexe, est étroite, apaisée et constructive.
Perspectives : investir dans un pays ami
Avant de partir, Emmanuel Dollfus partage ses espoirs pour l’avenir. Il appelle à renforcer les liens entre l’écosystème économique français et le Cambodge. « C’est une page blanche. Il y a tellement à faire, et c’est maintenant qu’il faut être là. Car le pays a soif de relations avec la France et l’Europe et reste très accueillant sur beaucoup d’aspects. »
Il insiste aussi sur l’importance du numérique et de la souveraineté technologique. « Le Cambodge peut encore développer un écosystème numérique souverain et indépendant, en tirant parti de l’expérience de l’Union européenne qui, depuis plusieurs années, développe son propre modèle afin d’être en pointe sur l’innovation et la régulation ».
Alors que le pays accueillera le sommet de la Francophonie en 2026, et peut-être une visite présidentielle, M Dollfus espère que l’AFD contribuera à capitaliser sur ces opportunités pour renforcer encore davantage le partenariat franco-cambodgien.
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