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Conte judiciaire cambodgien : comment repartir le mérite

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Thomas Ferry
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 21 mai 2023, mis à jour le 21 mai 2023

Après vous avoir présenté tour à tour deux contes khmers, LePetitJournal.com a décidé de s’atteler à un autre pan de la culture cambodgienne, les contes judiciaires. Ces récits ont pour but d'édifier le peuple ( mais aussi les magistrats) sur ce qui est juste. Une manière peut être un peu moins rébarbatives que de lire le code civil.

Les questions abordées sont souvent difficiles à résoudre, à tel point que les juges laissent au Roi prendre la décision finale.

Ce Jugement royal est dit Sotès tang manang, c'est-à-dire rendu conformément à la « marche dans la voie droite », qui consiste à essayer d’accorder à chacun sa part de récompense.

 

Il était une fois quatre jeunes hommes qui étaient venus du Malm-Nokor, un pays situé au nord-ouest du Cambodge, pour se perfectionner dans leur art. L’un étudiait l’astrologie, l’autre apprenait à tirer à l’arc, le troisième étudiait les formules à l'aide desquelles on prépare l’eau lustrale et le dernier cherchait les moyens de ressusciter les morts.

Quand ils eurent terminé leurs études, ils saluèrent leurs professeurs et se mirent en route pour regagner ensemble leur pays.

Or, un soir qu'ils étaient las d'avoir marché toute la journée, ils s'arrêtèrent au bord de la mer pour y passer la nuit. Le lendemain, l'astrologue, ayant eu un songe pendant qu'il dormait, s'adressa à ses trois compagnons et leur dit qu'un Krout* qui avait enlevé la fille de Préa-Noscy, le roi du Moha-Nokor, allait dans un instant venir se reposer à l'endroit même de la côte où ils se trouvaient.

 

Les quatre jeunes hommes résolurent alors de sauver la princesse. Ils se cachèrent le mieux qu'ils purent dans une touffe de broussailles, afin de guetter le Krout qui devait bientôt paraître portant la princesse dans ses puissantes serres d'oiseau de proie.

Ils venaient à peine de disparaître derrière les branches et les feuilles des buissons que le Krout apparut portant la princesse qu'il avait enlevée, ainsi que l’avait annoncé l'astrologue. Comme il cherchait avec ses grands yeux verts un point du rivage où se poser, celui des jeunes gens qui avait appris à tirer de l'arc mit une flèche bien aiguisée sur son arme tendue et l'envoya au terrible oiseau. Le Krout se sentant gravement blessé laissa tomber la princesse dans la mer et s’enfuit à tire d'aile.

L'étudiant qui avait appris à consacrer l’eau lustrale prononça les paroles mystérieuses qu'il avait apprises, se jeta immédiatement à la mer, et se dirigea en nageant vers l'endroit où la princesse venait de disparaître; il plongea et la ramena sur terre près de ses trois compagnons. Comme elle avait perdu la vie, l'étudiant qui avait appris à ressusciter les morts se pencha sur la jeune fille, prononça les paroles magiques qu'il fallait dire et la ressuscita.

 

Chacun des quatre jeunes hommes avait ainsi fait son devoir et tiré avantage des choses qu'il avait apprises. Ils avaient agi de concert chacun dans son art pour sauver la princesse, mais maintenant qu'elle était là, devant eux, les remerciant, ils se mirent à se disputer à son sujet. Chacun d’eux voulait la prendre pour épouse, et prétendait que le service qu’il avait rendu à la princesse était beaucoup plus grand que les services rendus par les trois autres. Ne parvenant point à s'entendre et nul d'entre eux ne voulant céder ce qu'il appelait ses droits et abandonner ses prétentions à la main de la princesse, ils s'en furent simultanément soumettre leur différend aux juges, et déposèrent chacun une plainte.

Les juges ayant examiné l'affaire avec soin étaient très embarrassés pour rendre leur verdict, car ils ne pouvaient découvrir celui d'entre les quatre jeunes gens qui avait rendu à la princesse le plus grand service. Ils pensaient dans leur cœur que tous les quatre l'avaient sauvée. Ne sachant comment juger, ils portèrent l'affaire au roi et le prièrent de décider à leur place, parce que, disaient-ils, ils n'osaient se prononcer. Le roi, ayant entendu les quatre jeunes hommes raconter les choses qu'ils avaient faites au grand avantage de la princesse, réfléchit un instant et rendit le verdict suivant :

L'astrologue sera professeur de la princesse, parce qu'il a enseigné à ses trois compagnons qu'elle avait été enlevée; l'archer sera considéré comme son père, parce qu’il l'a défendue; celui qui l'a ressuscitée sera considéré comme sa mère, parce qu'il lui a rendu la vie, et celui qui s'est jeté à la mer pour l'arracher aux flots qui l'engloutissaient, qui l'a par conséquent prise dans ses bras comme un époux prend son épouse, sera son mari.

En outre, quand ce dernier, ayant épousé la fille du roi, montera sur le trône, il se souviendra dans son cœur des secours donnés à la princesse par ses anciens compagnons, et il les entretiendra parce que tous les trois ont droit à sa reconnaissance. Le nom de cet heureux étudiant est Tissab-Moc.

Ce Jugement est dit Sotès tang manang, c'est-à-dire rendu conformément à la « marche dans la voie droite ».

 

*Krout = oiseau monstre de la mythologie indienne

 

La mythologie cambodgienne possède un autre conte très semblable à celui-ci, La Statue Vivifiée, qui met un scène un charpentier, un sculpteur, un magicien, et un homme capable de ressusciter les morts. La morale y est sensiblement la même, et c'est le Roi qui rend le jugement conformément à la « marche dans la voie droite ».

 

 

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