Parmi les besoins historiques des civilisations, celui de se soigner fait partie des premières nécessités. Les recherches archéologiques ont démontré que très tôt, les hommes ont cherché à comprendre l’origine des mystérieuses maladies qui les touchaient.
Qu’ils soient prêtres, médiums ou praticiens empiriques, ces analystes donnèrent naissance aux médecins qui, au gré de l’histoire et des cultures, allaient chercher leurs conclusions dans des explications tantôt divines, tantôt scientifiques. En parallèle de cette science du diagnostic, naît un autre métier de la médecine, aux frontières de l’ésotérisme et du pragmatisme, de l’empirisme et de la pure théorie. Un métier dont les praticiens ont en commun la maîtrise des plantes, des minéraux et de leurs effets sur nos aliénations : les apothicaires et les guérisseurs.
Apothicaires : boutiquiers spécialisés.
Si après 4000 ans d’histoire, la profession a profondément évolué en Europe avec l’avènement de la médecine moderne, elle subsiste toujours en Asie et notamment au Cambodge, dont le système de santé traditionnel s’est développé en parallèle de la biomédecine.
A l’origine, le terme « Apothecarius » signifie littéralement « boutique » en latin. À l’époque où les apothicaires fixent les règles strictes de leurs corporations au 14ème siècle, la boutique est alors un synonyme de sérieux et professionnalisme, par opposition au charlatan nomade. Les apothicaires y accueillent leur clientèle, répondant de leurs traitements sur le long terme, et y forment leurs successeurs parmi des étudiants lettrés, capables de déchiffrer le contenu des recueils rédigés en latin qui circulent au sein de la profession. Une sédentarité qui s’impose d’autant plus par la grande variété de plantes et ingrédients nécessaires à la confection des remèdes prescrits par les médecins, qui partagent souvent les mêmes locaux. La boutique de l’apothicaire devient donc un centre névralgique de la pratique médicale.
Originellement fondée sur les connaissances empiriques héritées de l’antiquité, les apothicaires perfectionnent leur pratique au cours des âges. Ils maîtrisent la distillation, les macérations et les extractions d’actifs, qu’ils proposent également comme traitement d’affections plus bénignes liées à l’esthétique ou au confort. Ils s’allient ainsi au développement de la cosmétique. Les parfums et autres poudres, destinées à masquer les imperfections de la peau côtoient ainsi, sur leurs étagères, les remèdes médicaux.
La pratique des apothicaires est empreinte de spiritualité, de par sa vocation à soigner autant les âmes que les corps. À travers son histoire, elle sera sans cesse tiraillée entre la médecine de terrain et les croyances et rituels ésotériques. Les contours de la profession se confondront avec les épiciers aux approvisionnements concurrents et feront preuve de complaisance envers les médiums et leurs pouvoirs de persuasion. Elle fera même naître des transfuges tels que les pharmaco-poètes dont la doctrine consistait à combiner des prescriptions littéraires en parallèle de prescriptions médicamenteuses. Mais le réel bras de fer fut celui qui la confronta à l’Eglise catholique entre le moyen âge et la renaissance. Une époque pendant laquelle les moines tentèrent de centraliser les connaissances empiriques et d’imposer une spiritualité unique tel que le culte des reliques de Saints, des miracles, et en identifiant la maladie comme l’expression d’une pénitence divine à laquelle ils étaient les seuls à pouvoir remédier.
Il faudra plusieurs siècles pour que chaque profession trouve sa place dans une société changeante sur tous les plans : politiques, religieux et culturels.
Au XIXème siècle, les scientifiques identifient les virus, les microbes et le monde du microscopique. C’est l’avènement de la médecine biologique (la biomédecine) et le développement accru de la chimie de la santé. Les apothicaires se détachent de la part spirituelle, voire parfois superstitieuse qui persiste dans la profession et laissent petit à petit la place aux pharmaciens, semblables dans leur pratique puisqu’eux aussi distribuent remèdes et médicaments en officine.
« Kru Khmer » des guérisseurs plus modernes que jamais
Si en occident la profession se tourne résolument vers le pragmatisme de la médecine moderne, au Cambodge, le savoir-faire millénaire de la médecine traditionnelle se perpétue encore aujourd’hui en cohabitation avec la médecine moderne.
Héritée d’une histoire religieuse complexe et d’échanges culturels avec ses voisins, la médecine cambodgienne est conçue autour du maintien d’un équilibre fondamental entre les éléments antagonistes qui constituent le monde : le corps et l’esprit, le chaud et le froid, le solide et le liquide. Depuis le 9ème siècle déjà, elle répond à une structure bien définie, qui se retrouve dans l’organisation des soignants qui œuvrent très tôt au sein d’un système d’état structuré. Dès le 13ème siècle, le roi Jarayarman VII ordonne la construction de 102 hôpitaux royaux à travers le pays afin de pouvoir accueillir et traiter ses sujets malades.
Regroupés sous le terme générique de « kru Khmer », les médecins traditionnels se divisent en plusieurs spécialités bien distinctes. Au cours de leur histoire multiséculaire on aura par exemple identifié les « Kru bakbek » capables de ressouder les os brisés. Ou encore les « Kru teay » qui s’apparentaient plus à des devins capables de lire des diagrammes astrologiques là où les « Kru Sneh » maîtrisaient la science des enchantements et des invocations attirant la bonne fortune. Certains encore entraient en communication avec les esprits et avaient le pouvoir de jeter le mauvais œil ou des charmes maléfiques : les « Kru thmob ». Enfin les homologues des apothicaires européens, « Kru Thnam » spécialisés dans la science médicamenteuse des plantes et de minéraux.
Toujours à la frontière entre les forces terrestres et les esprits, ils connaissent parfaitement la pharmacopée du Cambodge et préparent formules et rituels de guérison. Dans un climat tropical favorable à la biodiversité, la nature cambodgienne est particulièrement riche et offre une variété de plantes aux vertus médicinales bien plus vaste que celle disponible en Europe.
Bénéficiant de la voie de transit privilégiée que représente le Mékong, le Cambodge se place au carrefour des connaissances chinoises, vietnamiennes, laotiennes etc… qui se rencontrent et viennent favoriser une documentation accélérée des remèdes éprouvés.
Au XIXème et XXème siècle, la biomédecine arrive en Asie. Alexandre Yersin découvre le bacille de la peste à Hong Kong ; c’est l’émergence des vaccins. Le protectorat français tente d’imposer cette nouvelle vision de la médecine qu'il réserve à une élite sociale locale dont il exclut les praticiens d’origine Khmère.
En effet l’ensemble des praticiens de l’Indochine Française sont sélectionnés et formés au Vietnam par l’administration coloniale pour ensuite exercer au Cambodge, principalement dans la capitale. Délaissée par les efforts de modernisation, la population rurale n’a d’autre choix que de se référer aux médecins traditionnels.
Avec la période du Sangkum, au milieu du XXeme siècle, des médecins khmers sont enfin formés par le régime en place. Ils accèdent à un statut social prestigieux, mais peu rémunérateur et centralisé dans les établissements d'État. Pour contenter cette profession en quête de reconnaissance financière, l’état invente le statut de « fonctionnaire-entrepreneurs » qui autorise les professionnels de santé à ouvrir leurs cliniques privées en parallèle de leurs fonctions publiques. Ces médecins modernes installés en ville accèdent alors à une rémunération plus confortable qui ne fait qu’accentuer le clivage entre une population aisée et population majoritairement rurale, qui ne dispose pas des moyens financiers ou logistiques nécessaires pour accéder à cette médecine. Là encore, la nécessité de répondre aux besoins des habitants de la province favorise le maintien des « Kru Khmers » et la transmission de leurs savoirs.
Un état de fait qui sera bouleversé par les Khmers rouges, qui écartent les adeptes de la médecine moderne tout autant que les « Kru Khmers » au profit des médecins révolutionnaires. Ces derniers ont recours à une médecine hétéroclite, basée sur les supposées vertus thérapeutiques intrinsèques à l’idéologie révolutionnaire. La doctrine communiste complète ou se substitue à des traitements improvisés ou inspirés de l’exercice des médecines proscrites. Face à la nécessité du maintien d’une autosuffisance médicale et malgré la destruction des manuscrits, une connaissance primaire d’une médication locale à base de plantes se conserve en secret dans le quotidien de la population.
La médecine traditionnelle khmère, une médecine reconnue.
Lorsque le régime Khmer rouge est destitué, un long processus de reconstruction du système de santé s’entame ensuite sous la tutelle vietnamienne et de la communauté internationale. Une formation accélérée est dispensée par les autorités de Hanoï ou par des soutiens extérieurs tels que des ONG pour alimenter le besoin en médecins de l'État.
La fracture entre la capitale Phnom Penh et le reste des provinces, liée à des raisons politiques ou géographiques, permet une résurgence plus rapide de la médecine traditionnelle. Malgré la perte inestimable d’archives, la dissémination ou la perte du savoir ancestral, les guérisseurs renaissent et retrouvent rapidement leur position sociale notamment grâce à leurs liens étroits avec la population.
Au cours des dernières décennies, la cohabitation entre systèmes modernes et traditionnels est rendue obligatoire pour répondre à la diversité sociale et culturelle du pays. Les bio médecins comme les spécialistes traditionnels ont pignon sur rue. L’insuffisance des structures médicales et la reconnaissance des savoir-faire ancestraux font du Cambodge l’un des rares pays pour lequel l’OMS recommande le recours à la médecine traditionnelle ainsi que sa préservation. C’est dans ce contexte qu’est inaugurée en 2009, l’université royale de médecine traditionnelle qui répertorie dès lors officiellement les soins, les pratiques, les rituels dans le but de former les prochaines générations de guérisseurs reconnus par un diplôme d'État.
Aujourd’hui il suffira de vous promener dans les alentours du marché Orussey pour découvrir des boutiques aux étalages garnis de plantes et champignons mystérieux jouxtant les carcasses de crapauds desséchés et des sacs entiers de fleurs sèches. Quelques mots échangés avec les commerçants vous permettront de rentrer chez vous avec la recette de telle ou telle décoction.
Au-delà des rues bouillonnantes et des marchés populaires, l'intérêt porté à la pharmacopée cambodgienne et sa grande diversité se reconnaît dans des projets ou entreprises développés localement en coopération avec des structures internationales.
Au niveau universitaire, le travail approfondi de la botaniste Cambodgienne Pauline Dy Phon se retrouve dans son ouvrage de référence : « Dictionnaire des plantes utilisées au Cambodge » paru en 2000. Écrit en Français et en Khmer, publié en 3000 exemplaires seulement, ces 915 pages constituent un des premiers ponts linguistiques et culturels en la matière.
À l’échelle des coopérations internationales, il faut reconnaître l’implication de la fondation Pierre Fabre issue du groupe pharmaceutique du même nom axé sur l’identification d’actifs pour le milieu de la recherche médicale ou cosmétique. Ce travail de recherche en étroite collaboration avec l’Institut royal de médecine traditionnelle a permis l’édition en 2013 de l’ouvrage intitulé « Flore photographique du Cambodge » aux éditions Privat. Cet herbier recense plus de 520 plantes avec leur descriptif précis, des photos et leurs usages en médecine traditionnelle Khmère.
Ces recueils proposent un inventaire d’une pharmacopée titanesque, source d’informations et d’inspiration exploitées par des entreprises telles que BODIA l’APOTHICAIRE CAMBODGIEN pour le développement de ses produits cosmétiques à partir d’actifs déjà identifiés et présentant des bénéfices variés.
Malgré les kilomètres et les années qui ont séparé les guérisseurs khmers et les Apothicaires occidentaux, l’histoire nous révèle à quel point la richesse de la nature a marqué et marquera encore nos civilisations. A l’origine de nos médicaments, de nos remèdes et de notre cosmétique ; au carrefour entre passé, présent et futur, la botanique a encore de belles surprises à livrer et le Cambodge présente en la matière un potentiel de recherche et de découvertes particulièrement riches et représentant un réel intérêt à l’échelle locale et internationale. C’est une petite fenêtre ouverte sur ce trésor que les équipes de Bodia l’Apothicaire Cambodgien ont pour ambition de partager.
En guise d’exemple découvrez ci-dessous quelques plantes du royaume utilisées par les Kru Thnam et apothicaires que Bodia a réinventé dans des soins du quotidien et à présent disponibles en France sur la boutique en ligne www.bodia.com/fr .
Nom français : GOTU KOLA
Khmer : ស្លឹកត្រចៀកក្រាញ់ ; nom scientifique: Centella Asiatica
Petite plante rampante appréciant particulièrement les recoins humides et semi-ombragés. Rependue également en Inde pour des usages en médecine ayurvédique, elle est utilisée au Cambodge pour faire chuter la fièvre. La feuille fraîche est broyée et diluée dans de l’eau avec un peu de sucre.
Plus récemment la plante a été reconnue par l’industrie cosmétique pour ses actifs aux vertus régénératrices et cicatrisantes pour la peau. L’extrait de Gotu Kola devient un ingrédient idéal dans la composition des crèmes et sérums dédiés au traitement des petites imperfections de la peau.
Soins du visage gotu kola et séricine
Nom Français : MORINGA
Khmer name : ម្រុំ ; nom scientifique: Moringa oleifera
Cet arbre également originaire d’Inde connaît un grand nombre d'usages. Il est extrêmement résistant et ses feuilles, graines, écorces ont toutes une utilisation propre parmi les remèdes des guérisseurs. La documentation Khmère recommande typiquement la décoction d’écorces pour traiter les menstruations douloureuses. Les recherches récentes reconnaissent une concentration impressionnante de vitamines et de nutriments naturellement présents dans l’huile extraite des graines et pouvant être utilisée en complément alimentaire.
Créme à l'huile de Moringa biologique
Nom Français : Noix de coco
Nom Khmer : ផ្លែដូង ; nom scientifique: Coco nucifera
Inutile de présenter cet arbre si typique des paysages tropicaux. Largement présente sur le territoire cambodgien la noix est très appréciée pour son eau rafraîchissante riche en oligoéléments et sa pulpe généreuse. Elle intéresse également les Kru Thnam pour ses propriétés diurétiques et sa capacité à traiter les dérèglements urinaires. L’huile transparente extraite de la pulpe est extrêmement hydratante et rentre encore aujourd’hui dans la composition d’un grand nombre de secrets de beauté pour la peau et les cheveux.
Baume pour les lèvres à la noix de coco et cire d'abeilles
Nom Français : Verveine des indes
Nom Khmer : ស្លឹកគ្រៃ ; nom scientifique: Cymbopogon Citratus
Cette grande herbe verte est très présente dans les compositions culinaires cambodgiennes. Son odeur citronnée puissante est utilisée pour écarter les insectes en étant simplement brûlée. Elle entre également dans la composition de traitements en inhalation pour dégager le système respiratoire. L’huile essentielle est encore grandement utilisée aujourd’hui dans les anti-moustiques naturels ou encore simplement pour parfumer des formules cosmétiques ou pour lutter contre des petites chutes de moral.
Gommage au riz et à la verveine des Indes