Le Cambodge vient de perdre l’une de ses grandes figures culturelles. L’architecte et urbaniste Vann Molyvann s’est éteint vendredi 28 septembre 2017 à Siem Reap.
Vann Molyvann était le chef de file d’une architecture de grande valeur qui s’est développée entre 1957 et 1971 au Cambodge. Formé en France sous le protectorat, il devient au début des années 60 l’architecte du renouveau de son pays sous l’impulsion du roi Norodom Sihanouk. Il est en charge durant 14 années des principaux édifices d’état, tels que le conseil des ministres, le stade olympique, le théâtre national, ou l’école nationale supérieure. Son style unique est une synthèse entre l’architecture moderne européenne et l’architecture traditionnelle khmère. La renommée de son architecture moderne tropicale dépasse largement les frontières du Cambodge, puisque Vann Molyvann est reconnu comme un des architectes marquant du XXème siècle (cf dictionnaire de l’architecture du XXème siècle paru en 1996).
Parcourir la carrière de Vann Molyvann, c’est entrer de plein pied dans l’histoire contemporaine du Cambodge. Le Cambodge a eu recours à son expérience et ses connaissances pour bon nombre des événements qui ont jalonné son histoire. Depuis sa naissance le 23 novembre 1926 dans la province de Kampot, l’école sous le protectorat à Phnom Penh, les études à Paris qui le conduisent à fréquenter et présider le mouvement politique de l’AEK, d’y rencontrer les étudiants Cambodgiens dont certains sont devenus les leaders khmers rouges, la découverte de la conservation du patrimoine avec Henri Marshal, architecte en charge de la reconstruction des murs d’enceinte d’Angkor Wat, le retour au Cambodge, les responsabilités d’état, une décennie de bâtisseur extrêmement prolifique, l’exile en Suisse suite au coup d’état de Lon Nol qui interrompt brutalement sa production architecturale, son retour dans les années 90 pour établir les bases d’une règlementation urbaine et fonder une autorité de conservation du patrimoine et enfin cette retraite studieuse à Siem Reap, terre des ancêtres. Il n’a jamais manqué ses rendez-vous avec l’Histoire.
En 1957, l’administration du protectorat cambodgien est toujours aux mains des colons français et des techniciens vietnamiens. Norodom Sihanouk souhaite « khmeriser » l’administration et demande aux étudiants boursiers en France de revenir. Vann Molyvann devient l’architecte en chef des bâtiments civils sous la direction des travaux publics. Avec l’Indépendance, il y a tout à construire : le conseil des ministres, des ministères, un stade, des théâtres, des écoles, des aéroports. Phnom Penh doit devenir la cité administrative. Ce développement, initié par le mouvement politique appelé Sangkum Reastr Niyum, a fait émerger une architecture de grande valeur dont les chefs de file sont Lu Ban Hap, Mam Sophana, Ing Kieth. Vann Molyvann développe rapidement en plus de son activité d’architecte une réflexion urbaine qui ne l’a jamais quittée.
En 1966, il est en charge de la réalisation du pavillon de réception de l’aéroport pour la visite du général de Gaulle ainsi que la maison construite tout spécialement pour le loger. Le Stade olympique dont il est le concepteur a accueilli le discours de Phnom Penh prononcé le 1er septembre 1966. Il est de retour d’exil en 1993 par la volonté du roi Norodom Sihanouk, et entre au gouvernement comme ministre d’État en charge de l’urbanisme et de la culture. Il participe à l’inscription des temples d’Angkor au patrimoine mondiale de l’humanité. Afin de doter le Cambodge d’une règlementation urbaine il fonde le Bureau des Affaires Urbaines avec le soutien de la ville de Paris et propose un texte de loi en décembre 1997. Il s’est employé, dans ses dernières années, à transmettre ses réflexions et son expérience, notamment sur le plan de l’urbanisme à travers plusieurs ouvrages.
Vann Molyvann est l’architecte emblématique de l’architecture des années 60, la figure tutélaire de cette époque, à tel point que son architecture incarne cet âge d’or pour bon nombre de Cambodgiens. Mais avant tout sa vie traverse de part en part l’histoire contemporaine du Cambodge, les pires heures comme les moments de gloire. Il a accompagné comme architecte et urbaniste son pays dans son entrée dans la modernité en substituant à l’architecture coloniale décontextualisée du passé, une vision nouvelle, ancrée dans l’identité khmère. Il est précurseur dans sa réflexion patrimoniale et sa vision urbaine pour les villes de Phnom Penh, Siem Reap et Sihanoukville.
Vann Molyvann a légué à son pays un trésor de richesses architectural et théorique encore méconnu. Son œuvre bâtie et comme son œuvre théorique, méritent d’être étudiées et commentées par les nouvelles générations d’architectes et d’urbanistes afin de comprendre sa puissance physique, émotionnelle et intellectuelle. Son héritage est plus que jamais nécessaire pour construire l’avenir. Dans l’histoire de l’architecture khmère, il a marqué un profond engagement vers la modernité sans renier sa culture. Cette voie nouvelle mêlant modernité européenne, l’architecture tropicale vernaculaire, et l’héritage khmer ancien doit être maintenue. L’architecture produite au Cambodge peut entretenir un dialogue avec l’architecture européenne, américaine, japonaise ou coréenne, précisément si elle est capable de maintenir son identité. L’étude de son œuvre par notre génération permettra de trouver cette résonance.
Merci monsieur Vann Molyvann pour l’émotion architecturale que vous nous avez offert et pour votre humanité.