Installée à Siem Reap depuis plusieurs années, Cécile Hinas compose une œuvre singulière entre improvisation, mémoire sonore et enracinement local. Portrait d’une artiste en quête de résonances.
Publié le 26 juillet 2025, mis à jour le 23 novembre 2025
Cécile Hinas porte plusieurs casquettes mais avec élégance : DJ, compositrice, chanteuse, sound-designeuse. Formée à Marseille au chant lyrique et à la composition électro-acoustique, elle revendique une approche hybride, profondément ancrée dans le sensible. « Je tiens à la mixité parce que je suis moi-même métisse. Ma musique doit refléter qui je suis, ce que je vis au quotidien. »
Du Conservatoire à Siem Reap : un parcours d'immersion
Si elle commence son apprentissage musical auprès d’une professeure de chant lyrique, Patricia Schnell, qui enseignait aussi au conservatoire, c’est en dehors des cadres traditionnels que son art s’affine. Après un premier séjour au Cambodge en 2010, elle s’y installe en décembre 2011, d’abord à Siem Reap, puis à Battambang, avant un retour en France et une installation définitive à Siem Reap en 2017.
Elle y trouve un rythme et une énergie qui lui conviennent : « Il y a la lenteur, la nature, la spiritualité… Ce sont des choses que je n’ai jamais retrouvées ailleurs. Je ne cherche ni le succès, ni la reconnaissance. Je veux faire de la musique, et ici, ça a du sens. »
Une musique en transformation
Grâce à son bagage technique et artistique, Cécile travaille aussi dans le domaine du sound design. « Le sound design, explique-t-elle, consiste à modeler une atmosphère en fonction d’un certain nombre de sons. » Que ce soit pour des spectacles, des installations ou des espaces publics, elle redessine l’environnement sonore comme d’autres modèlent la lumière ou les odeurs.
Elle a composé ainsi l’ambiance de l’Abacus à Siem Reap, mêlant vieille chanson française et musique khmère : « D'ailleurs, je cherche des chansons instrumentales khmères anciennes, sans voix. Si quelqu’un en connaît, je suis preneuse. » (Contactez le journal qui transmettra.)
Sur le plan artistique, sa composition est souvent spontanée, issue d’une démarche d’improvisation. « Longtemps, je n’ai fait que de l’impro, maintenant je compose davantage, mais je continue à improviser avec des musiciens. Je crée une base électronique que je joue en live, et eux improvisent avec moi. » Ce rapport direct et vivant au son, elle le cultive aussi dans des open-mics ou lors d’événements comme la French Week ou des soirées.
Capter l’invisible, rendre hommage au quotidien
Cécile Hinas enregistre des sons captés lors de mariages, sur les marchés, dans les temples. « Je suis allée voir un moine, avec offrande, pour enregistrer une prière. J’ai ensuite intégré cet enregistrement dans une composition. Mais avant de la diffuser, je tiens à obtenir l’approbation culturelle. »
Pour elle, l’essentiel est là : « S’immerger dans un environnement sonore, le capturer et en faire autre chose. » Sa démarche puise dans la matière vivante du Cambodge, mais ne se limite pas à un folklore figé. Elle refuse les clichés et cherche une mémoire musicale plus large, plus subtile.
Les freins invisibles
Travailler avec des musiciens khmers ? Elle l’a tenté, mais le contexte est complexe. « C’est difficile d’improviser quand on a eu dix ans de blackout créatif. Il faut réapprendre à imaginer, à se libérer. » Elle évoque aussi la barrière culturelle : « Être étrangère, c’est porter une étiquette. On me voit comme une prof, une experte, alors que je cherche un rapport d’égalité. »
Elle déplore aussi l’absence de ressources tangibles pour travailler sur la musique populaire cambodgienne d’après les années 60. « Il y a un trou béant. Les archives sont rares, souvent de mauvaise qualité sonore. Il faut attendre que les jeunes qui apprennent sur YouTube redécouvrent les instruments traditionnels. »
Elle déplore le manque d’ingénieurs du son au Cambodge, qui pourraient développer une écoute plus fine et encourager la mixité musicale. « Les femmes ici ont des voix incroyables, mais souvent mal captées, mal traitées. Il y a un vrai travail à faire. »
Des projets en chantier
Actuellement, elle travaille sur Chillgate, un projet sonore inspiré de la porte des morts d’Angkor Thom. « Je me suis demandé ce que provoquerait une fréquentation régulière de ce lieu. Comme une mue intérieure. » Le projet comprend une version numérique, une performance scénique et une édition vinyle à venir.
Une chorale pour demain
Elle est élève dans d’une chorale gratuite, ouverte aux plus de 16 ans, qui est mis en œuvre au sein de la SoundSkool. L’objectif ? Y faire entrer des voix khmères, créer un véritable lieu de rencontre musicale.
Et puis, il y a cette fierté discrète : une collaboration avec l’équipe de l’Embassy, un restaurant tenu par la cheffe Kimsan, une occasion de créer un événement mêlant gastronomie et création sonore.
Ce sont des projets comme celui-là qui me font rester à Siem Reap.
Photo : Steve Porte
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