L'Afrique est le plus gros consommateur de riz au monde, mais n'atteint pas l'autosuffisance. Le Cambodge, lui, est excédentaire mais exporte peu, la faute à une absence de visibilité sur le marché international. Moustapha Tall est un homme d'affaire sénégalais. Lepetitjournal.com Cambodge l'a suivi.
Aujourd'hui, l'Afrique de l'Ouest regarde vers le riz cambodgien. (Crédit photo : Laure Delacloche)
Dans les années 1950, les relations entre la future République du Sénégal et le Royaume étaient étroites : le riz cambodgien était présent sur le marché sénégalais. Deux décennies de guerre ont affaibli ces relations mais au Sénégal, on se souvient de la qualité cambodgienne. Mustapha Tall, importateur sénégalais, opère depuis longtemps dans le domaine du riz : c'est un importateur incontournable en Afrique de l'Ouest. La semaine dernière, il s'est rendu au Royaume, où il a visité des rizeries. "C'est ma troisième visite au Cambodge, annonce t-il. J'étais venu en 2008 et en 2009, mais la situation de crise n'était pas propice à des accords. " Aujourd'hui, l'homme d'affaire à des besoins colossaux s'élevant à 600 000 tonnes de riz par an. Il entend bien profiter des surplus de production du Royaume, même si celui-ci ne prévoit d'exporter que 100 000 tonnes de riz en 2011.
Visite de rizeries et rencontre avec les producteurs, ici dans la région de Battambang, l'usine de Baitang. (Crédit photo : Laure Delacloche)Construire des partenariats
Moustapha Tall entend cependant instaurer des relations commerciales d'un genre particulier : "Nous voulons développer des rapports gagnant-gagnant. C'est tout le but d'un partenariat. ". Son objectif est triple : il veut répondre à la demande du marché sénégalais en important sur celui-ci les standards de qualité du riz cambodgien, tout en développant la présence de celui-ci sur les marchés étrangers. Le riz cambodgien se fait en effet discret, coincé entre ses deux géants de voisins. Ceux-ci n'hésitent d'ailleurs pas à traverser la frontière afin d'importer illégalement le paddy ( soit la matière brute récoltée, qui devra être usinée afin d'être propre à la consommation). Le riz est ensuite mis en vente sans que la provenance cambodgienne ne soit mentionnée.
Supprimer des intermédiaires
Autre problème affectant le marché cambodgien : les traders. " Il y a des traders très bien, mais la plupart d'entre eux créent des problèmes. Je ne suis pas venu au Cambodge pour les combattre, mais je veux montrer qu'une autre solution est envisageable." Ces pratiques souvent désastreuses consistent à acheter "bord champ" à des paysans qui calculent rarement leur prix de revient à l'avance. Ces opérateurs financiers n'hésitent pas à leur proposer des sommes bien en-deçà des cours internationaux, en cash. Les cultivateurs, peu informés, acceptent car ce procédé leur permet de résorber leurs dettes auprès des banques. Le danger principal de cette pratique, c'est qu'une fois tous les frais réglés, ils réalisent qu'ils n'ont aucune marge bénéficiaire. Moustapha Tall semble donc vouloir changer ces manières de faire. Lors d'une visite dans une rizerie dans les environs de Battambang, il pose clairement la question : "est ce que cette proposition va résoudre votre problème ?". L'homme d'affaire sénégalais a encore en mémoire la crise alimentaire de 2008 : la situation était délicate mais les traders avaient renforcé ce moment difficile en spéculant sur le riz. Certains pays avaient également interdit les exportations. Aujourd'hui, Moustapha Tall veut donc privilégier des accords directs pour ce protéger de ces aléas et pour que son pays ne connaisse plus d'émeutes de la faim.
Un double manque d'organisation et d'information
A l'origine de cette fuite et de l'inexistence du riz cambodgien sur le marché international, Moustapha Tall cite la désorganisation du secteur : "Ce marché a besoin d'une organisation, on a besoin de savoir qui sont les producteurs de riz, qui sont les riziers... Il y a également besoin d'une organisation privée qui récolterait la production locale afin de la mettre à disposition des riziers ". L'importateur sénégalais réclame donc une organisation, une centralisation des informations qui ne nuirait pas au libéralisme du secteur. Après une association des exportateurs qui pointe timidement son nez, une « banque de paddy » pourrait voir le jour.
L'organisation du marché pourrait faire fructifier le potentiel incroyable du Royaume dont peu ont conscience. (Crédit photo : Laure Delacloche)
Le manque d'information : voilà ce qui coûte aujourd'hui au Cambodge. Impossible de savoir avec exactitude combien de tonnes de paddy sont produites par an, combien "fuient" le pays de manière illégale ni qui sont les acteurs du secteur. Pour les hommes d'affaires étrangers, ce manque d'information est cruel et peut les détourner du Royaume. Ce manque de précision a vite fait de passer pour un certain amateurisme, alors que le Cambodge a déjà une réputation fragilisée. Face à ses voisins qui exportent en grande quantité depuis de nombreuses années, les préjugés sont nombreux... Moustapha Tall a pu constater le décalage qu'il existe entre ce qu'on entend dans le milieu et la réalité cambodgienne : "Ce sont de superbes installations, déclare t-il devant une des usines visitées. On n'a pas ça au Sénégal. " Sur la route entre Battambang et Siem Reap, les rizières s'étendent à perte de vue : l'homme d'affaire admire le potentiel du Royaume.
Un rapport de confiance est désormais à construire pour que des accords puissent être conclus. (Crédit photo : Laure Delacloche)
Les relations entre le Sénégal et le Cambodge semblent donc bien amorcées, même si des obstacles perdurent. Si le problème d'infrastructures, qui inquiète un peu Moustapha Tall sera, on l'espère, résolu ces prochaines années, ce sont les incompréhensions et les appréhensions dues à une méconnaissance culturelle qui seront les plus difficiles à vaincre. Si le riz cambodgien veut exister sur le marché international, ce sont tous les acteurs du milieu qui devront s'adapter aux pratiques et aux standards d'une économie mondialisée.
Laure Delacloche (www.lepetitjournal.com/cambodge) Jeudi 3 novembre 2011
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