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“Archéologie du fantôme” et création contemporaine au centre Bophana

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Installation "Mémoire des lieux" de Luanne Delgado-Blacodon. Crédits : Marylou Cler / Lepetitjournal.com Cambodge
Écrit par Marylou Cler
Publié le 8 mai 2019, mis à jour le 14 mai 2019

Jusqu’au 25 mai, le centre Bophana accueille l’exposition Landscapes Afterwar(d)s qui explore les paysages urbains et ruraux dans l’après-coup de plusieurs décennies de violences.

Le centre Bophana accueille jusqu’au 25 mai l’exposition collective Landscapes Afterwar(d)s, qui réunit une série d’œuvres d’étudiants de l’université royale des beaux arts de Phnom Penh et de l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, dans la continuité d’un travail de recherche sur « la mémoire des lieux à l’épreuve des guerres et des conflits ».

Après une première exposition à Metz dans la galerie d’art Faux Mouvement en novembre 2018 – qui avait réuni les travaux de toute une génération d’artistes qui s’est construite aux lendemains du régime des Khmers rouges - c’est au tour de jeunes étudiants en art cambodgiens et français d’exposer au public des oeuvres personnelles qui explorent les paysages ruraux et urbains du Cambodge aujourd’hui, dans « l’après-coup » des décennies de violence extrême qu’a subies le pays. Celles-ci ne se laissent pas appréhender au premier regard, enfouies sous les couches successives du silence, de l’oubli d’un « passé qui ne passe pas », jusqu’aux recouvrements du développement urbain aujourd’hui.

Croisant des supports variés comme la photographie, la vidéo et des installations plastiques et sonores, la démarche documentaire se mêle à des propositions plus expérimentales et poétiques, qui interrogent les cicatrices et les non-dits de paysages familiers et familiaux du Cambodge contemporain. La maison des esprits de Cristobal Bouey, après des pérégrinations dans la ville de Phnom Penh, s’est posée dans les locaux de Bophana aux côtés des radios et magnétophones de Beatriz Sterling qui diffusent des témoignages en khmer et en français sur des « lieux aimés et perdus » au son du clavecin de Bach. Les fonds colorés de Carole Fékété cohabitent avec les photomontages de Muchramy Real conçus à partir des portraits de victimes de S21, les fleurs de lotus et notes de terrain poétiques de Florencia Hisi.

 

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L'installation de la maison des esprits, de Cristobal Bouey. Crédits Marylou Cler / Lepetitjournal.com Cambodge

 

Selon Soko Phay, ces œuvres participent ainsi d’une véritable « archéologie du fantôme », et « consistent à rechercher des traces de l’effacement même de ces traces, quand le projet d’extermination mis en place pendant le génocide, désigné par le terme khmer "kamtech", a été poussé à son comble ». Utilisé par les Khmers rouges, ce mot a été traduit au sein des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) par « écraser », mais Soko Phay lui préfère la traduction « exterminer » afin d’évoquer le double effacement, à la fois des vies des victimes, mais aussi des traces du génocide. Ces dernières affleurent à partir du moment où des acteurs de la mémoire font la démarche de s’en saisir.

Pour Soko Phay, « c’est le pouvoir de l’art qui a un rôle à jouer dans l’élaboration du trauma collectif, et une mémoire plus respectueuse des victimes du génocide ». C’est aussi lui qui opère la jonction entre le nécessaire travail de mémoire, et le renouvellement d’une scène artistique contemporaine tournée vers les sujets et les défis contemporains, comme ceux du développement, de l’urbanisme et de l’environnement. C’est par exemple ce que suggère l’artiste Rida Srun qui nous fait traverser le quartier de Boeung Kak à l’arrière de sa moto, dans un long plan séquence où les murs des constructions dissimulent les spoliations dont sont victimes les habitants. Dans une autre vidéo intitulée Double Fantôme, Rafael Medeiros, nous invite à contempler les « ruines du futur » de Koh Pich, où les tours vides sont déjà dégradées avant d’être habitées.

L’exposition s’inscrit dans le programme des « Ateliers de la mémoire » menés depuis plus de 10 ans entre la France et le Cambodge par l’historienne et théoricienne de l’art franco-cambodgienne Soko Phay ainsi que Patrick Nardin, tous deux membres du laboratoire Art des images et art contemporain (AIAC) de l’Université Paris 8 et du CIREMM (Centre International de Recherche et d’Enseignement sur les Meurtres de Masse).

Un colloque international sur la mémoire des lieux à l’épreuve des conflits

En cette année qui marque le 40e anniversaire de la chute du régime des khmers rouges, deux journées de colloque international sont venues inaugurer l’exposition, le 26 et 27 avril derniers à l’institut français puis à l’université royale des beaux arts. C’est une majorité de femmes, intellectuelles et artistes, qui ont superposé les cheminements de la réflexion universitaire et ceux de l’imaginaire, au Cambodge mais aussi au-delà de ses frontières. Khatharya Um, professeure en études ethniques à l’université californienne de Berkeley a notamment montré comment la résilience commande le pouvoir de l’imagination au sein de la diaspora, qui se retranche ou se réinvente jusque dans les objets de la culture populaire, la danse, la musique ou encore la cuisine, « ces mémoires qui permettent aux vies disloquées d’être de nouveau caractérisées ».

L’historienne Annette Becker et Assumpta Mugiraneza, directrice du Centre de ressources audiovisuelles Iriba à Kigali, capitale du Rwanda, ont également évoqué les destins croisés des deux pays, puisque l’on commémore cette année également les 25 ans du début du génocide des Tutsis. Une invitation à prendre la parole, « dans une histoire encore rarement racontée par nous-mêmes », et à mener une réflexion profonde sur les politiques et les modes de la commémoration, entre justice et justesse.

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Publié le 8 mai 2019, mis à jour le 14 mai 2019

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