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La quête identitaire s’expose au centre Bophana

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Une des photographies de l'exposition. Crédits : Serey Siv / Portfoliobox
Écrit par Victor Bernard
Publié le 14 août 2018, mis à jour le 15 août 2018

Ce mercredi 15 Août ouvrira au Centre Bophana de Phnom Penh une des expositions phares de la rentrée du centre culturel. « Language Barrier » est présentée par le photographe cambodgien Serey Siv, et traite de la relation que les cambodgiens issus de la diaspora entretiennent avec leur culture d’origine.

Après avoir vécu à Montréal durant son enfance, Serey Siv est désormais installé à Siem Reap et s’interroge dans son travail de photographe sur l’importance de l’apprentissage de la langue khmère par les enfants issus de cette culture mais ne vivant pas au Cambodge. Selon Serey Siv, beaucoup de Cambodgiens affirment qu’en ne parlant pas la langue officielle du pays, ces enfants de la diaspora ne peuvent comprendre réellement d’où ils viennent. C’est d’ailleurs un élément déclencheur pour nombre d’entre eux qui décident de venir vivre dans le royaume afin de se connecter avec cette tradition qu’ils ont parfois l’impression d’avoir perdue.

Serey Siv s’identifie lui-même à cette situation et considère que même ayant fait d’innombrables aller-retours entre le continent américain et l’Asie durant son enfance, il n’a en aucun cas éprouvé le besoin d’apprendre de plus près les codes, dont le langage, du pays d’origine de sa mère. Les parents, souffrant souvent du traumatisme du régime de Pol Pot et des années d’occupation qui l’ont suivies, éprouvent eux-mêmes un rejet de leur pays et transmettent cette défiance à leurs enfants : « Ma mère n’a jamais voulu que j’apprenne la langue khmère, elle n’a jamais considéré que le Cambodge avait un grand avenir devant lui et elle m’a encouragé à apprendre le chinois à la place », confie Serey.

Un sentiment de solitude

Le photographe s’est rendu compte au cours de son enfance qu’il était loin d’être le seul dans cette situation mais que très peu de gens osaient en parler. Chacun vit avec ce manque de racines à sa façon et c’est extrêmement difficile de traduire cela avec des mots qui pourraient toucher les gens. « Cela conduit souvent à un repli sur soi et une quête intérieure que peu de gens peuvent comprendre. C’est pour cela que j’ai voulu créer cette exposition, afin d’utiliser mon art pour faire transparaître cette quête identitaire au plus grand nombre ».

Serey Siv s’est donc rapproché de ces personnes en quête d’origines, exclusivement dans la province de Siem Reap, et nous raconte leurs histoires en photographies. Il est rentré dans leurs intimités, a visité leurs maisons et en a sorti un reportage photo pour chacun, avec à chaque fois ces objets du quotidien leur rappelant leur origine, le poids de la tradition mais aussi la spiritualité qu’elle représente.

10 portraits pour l’exposition

Après plusieurs mois de travail, l’artiste a finalement sélectionné dix de ses nombreuses rencontres et leur a consacré une dizaine de photos chacun, les représentant dans leurs habitations, durant leur vie quotidienne. « Chacun a sa propre histoire, ses propres raisons d’être revenu, mais je ne veux pas faire de ces photos un simple reportage journalistique en détaillant trop leurs vies, les photos doivent parler d’elles-mêmes et le spectateur peut aussi se laisser porter par leurs regards et tenter de les comprendre à travers le papier glacé », affirme Serey Siv.

Serey nous détaille l’histoire de Sabine Lor, cette jeune femme ayant grandi en France, élevée par des parents cambodgiens aux origines chinoises. Mis à part quelques particularités physiques, elle ne s’est jamais vraiment sentie différente des autres enfants et a toujours considéré que peu importe ses origines, sa vie se construirait en France, le pays d’accueil de ses parents. Mais il y a quelques années, comme beaucoup d’enfants dans sa situation, elle a commencé à se poser de nombreuses questions sur le Cambodge et les origines de ses parents. Elle décide alors de s’installer à Siem Reap seule, alors que ses parents restent en France. Sur place depuis maintenant deux ans, elle en apprend chaque jour un peu plus sur ses origines et découvre la culture khmère par elle-même.

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Diaspora et enfants de couples mixtes

Tous les portraits que Serey Siv a sélectionnés sont soit des enfants de couples mixtes dont au moins l’un des deux parents est cambodgien ou alors des enfants de ce que l’on appelle la seconde génération de la diaspora, dont les parents ont quitté le Cambodge, en grande partie autour de la période khmère rouge.

Serey Siv observe par ailleurs une différence entre ces deux catégories d’« enfants du Cambodge » : « Les enfants de couples mixtes installés à Siem Reap parlent pour la plupart couramment khmer et s’intègrent par conséquent très facilement dans la population. Ils éprouvent souvent moins le poids de la tradition cambodgienne puisque cette culture est souvent contrebalancée par l’autre nationalité présente dans la famille. Beaucoup de ces enfants ne se sentent pas complètement cambodgiens car ils ont été élevés différemment. Ces familles conçoivent l’éducation de cette façon : les enfants étant confrontés à la culture cambodgienne dans leur vie quotidienne et dès qu’ils sont à l’extérieur de la maison, l’autre culture prédomine dans le foyer, afin qu’ils puissent bénéficier des deux ».

Dans les deux cas, ces jeunes adultes sont confrontés à une quête identitaire et une recherche de leurs racines mais celle-ci peut prendre une forme différente. Pour certains, le retour au pays avec un regard d’adulte et non pas de touriste est nécessaire pour la reconnexion avec le passé de leur famille, quand pour d’autres, le simple fait de poser des questions, d’interroger les générations précédentes, leur permet de se retrouver et d’en apprendre plus sur eux-mêmes.

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Une ambition artistique novatrice au Cambodge

Exposer au Cambodge en premier lieu est essentiel pour Serey Siv qui a vu de trop nombreux artistes cambodgiens quitter leur pays dès qu’ils le pouvaient pour exposer ailleurs, notamment aux Etats-Unis ou en Europe : « Je parle de la relation qu’entretiennent les Cambodgiens avec leurs racines et leur passé, et je souhaite qu’ils soient les premiers à voir mon travail car ce sont eux à qui ces photos vont le plus parler ». Si le milieu culturel n’est pas encore extrêmement développé à Phnom Penh, c’est en partie parce que trop d’artistes ont fui et ne sont jamais revenus. Selon le photographe, qui est aussi commissaire de son exposition, c’est le rôle de cette nouvelle génération d’artistes cambodgiens qui n’ont pas vécu les décennies noires du Cambodge de se réapproprier un domaine artistique cambodgien parfois laissé à l’abandon. L'exposition est visible au centre Bophana jusqu'au 20 Septembre.

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victor_bernard
Publié le 14 août 2018, mis à jour le 15 août 2018

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