Notre rédaction est allée aujourd'hui à la rencontre de l'ambassadeur de Roumanie en France, Luca Niculescu. Ancien journaliste, Luca revient sur la saison France-Roumanie, sur son amour pour la France et sur tous ceux qui œuvrent à promouvoir la Roumanie loin des clichés.
Vous étiez journaliste avant de devenir ambassadeur de Roumanie en France. Est-ce que cela vous a aidé dans vos fonctions ?
Tout d’abord je dois dire que c’est un immense honneur de représenter mon pays et pour moi, particulièrement, de le représenter ici, en France. Car, comme vous venez de le dire, j’ai été journaliste pendant plus de 20 ans, essentiellement à RFI Romania, une très bonne radio, dont l’une des missions est de mettre en valeur cette relation tellement spéciale qui existe entre nos deux pays. Donc je peux dire que cela m’a aidé au moins par deux aspects. Tout d’abord, en travaillant à RFI Romania, je connaissais déjà assez bien la France et je m’y intéressais. Ensuite, les journalistes sont des gens curieux, ils aiment bien nouer des relations, ils aiment aller au fond des dossiers lorsqu’ils découvrent un sujet passionnant. Figurez-vous que pour les diplomates c’est à peu près la même chose : nous rencontrons beaucoup de gens, nous devons avoir des contacts dans tous les milieux, nous traitons tous les dossiers de la relation roumano-française. Et il n’existe pas un seul domaine où cette relation ne soit pas très dynamique. Je vais vous donner quelques exemples : au niveau politique, les contacts entre nos présidents sont d’une richesse extraordinaire.
En 2016, le Président Hollande est venu en Roumanie, en 2017, le Président Emmanuel Macron, fraîchement élu, choisissait la Roumanie pour sa première visite bilatérale à l’étranger – un signal fort aussi pour notre partie de l’Europe. En 2018, ce fut le tour du Président Klaus Iohannis de venir à Paris à l’occasion de l’ouverture de la Saison France-Roumanie et pour signer une Déclaration politique qui renforce le Partenariat Stratégique entre nos deux pays. Et puis c’est de nouveau le président Macron qui est allé en Roumanie en 2019 pour le Sommet de Sibiu, lors de la Présidence roumaine du Conseil de l’Union Européenne et pour une rencontre de substance avec le Président Iohannis. L’année dernière, l’ancien Premier ministre Ludovic Orban a fait une visite officielle de deux jours à Paris. Et, tout récemment, le premier homologue avec lequel le nouveau Premier ministre roumain, Florin Cîțu, a eu une discussion téléphonique, a été le chef du gouvernement français, Jean Castex. Sans parler des rencontres entre nos ministres des affaires étrangères et bien d’autres qui sont en préparation pour 2021, en espérant que, grâce au vaccin, le virus sera bientôt derrière nous.
Au niveau économique, il suffit de de se balader dans les rues de Bucarest pour y voir la présence française, les enseignes sont partout et avant la crise nos échanges avoisinaient les 10 milliards d’euros par an. Et je suis heureux qu’il y ait aussi des sociétés roumaines qui s’implantent en France, dans le domaine de l’informatique et des hautes technologies, mais aussi dans d’autres secteurs. Il y a également ce que l’on appelle la coopération « décentralisée », celle entre nos villes et nos communes : savez-vous que pour la France, la Roumanie est le deuxième pays en Europe, après l’Allemagne, en termes de jumelages et de coopérations renforcées ?
Il y a les échanges culturels, que vous mettez si souvent et si bien en valeur dans les pages du PetitJournal.com de Bucarest et, bien évidemment, il y a l’Europe, où nous avons tant de projets ensemble. Tout cela et bien d’autres aspects font un mandat très riche pour l’ancien journaliste que je suis qui est devenu ambassadeur. Et il existe aussi un point commun : l’importance de l’équipe. Pour faire une bonne radio, on a besoin d’une bonne équipe. C’est pareil dans la diplomatie.
Constatez-vous une évolution dans la manière dont sont perçus les Roumains en France suite à la saison France-Roumanie ?
Cette Saison fut un moment fantastique: des centaines d’évènements, des dizaines de milliers de participants, près de mille papiers et références dans la presse française (et on sait à quel point il est compliqué parfois d’avoir un « bon » papier, car les journalistes souvent écrivent sur les « trains qui sont en retard, pas sur ceux qui arrivent à l’heure »). Et cela a bien dépassé le plan culturel. On est entré dans le social, l’économique, le politique, la coopération décentralisée, le digital, on a touché presque tous les domaines de coopération bilatérale entre nos deux pays. Le slogan de la Saison a été « Oubliez vos clichés », car il y a des clichés des deux côtés. Est-ce que l’on a réussi ? Honnêtement, je pense que nous sommes sur une très bonne voie. Il y a quelques jours à peine, j’étais invité par la grande maison française de parfumerie et de mode Fragonard pour l’avant-première de sa collection printemps-été 2021. Cette collection s’appelle tout simplement « Couleurs Roumaines ». Et effectivement, en entrant dans la boutique, j’ai été submergé par les couleurs joyeuses inspirées de l’artisanat roumain, que ce soit sur des vêtements, des vases, des objets de céramique, des cuillères en bois, des coussins, etc. De plus, ces collections portent des noms roumains : Ileana, Sanda, Elena, Ioan… La Roumanie devient tendance !
Je peux vous citer plein d’autres exemples et, dans cette période difficile, j’ai une pensée particulière pour le personnel médical. Je suis heureux quand je vois que l’effort du personnel médical roumain est reconnu en France. Ainsi, j’ai été ému en voyant que, dans son message du 9 mai, pour la Journée de l’Europe, le Ministre de l’Europe et les Affaires Etrangères, Jean-Yves le Drian, en parlant des « solidarités de fait », saluait, entre autres, le travail des médecins roumains qui sauvent la vie des patients européens. J’ai été aussi fier de voir qu’un compatriote, Radu Lupescu, remarquable médecin anesthésiste-réanimateur à Strasbourg, a été décoré par le Président Emmanuel Macron de l’Ordre du Mérite au grade de Chevalier, pour son engagement infatigable dans le combat contre la Covid-19.
Et la culture, bien sûr ! Cristian Măcelaru qui devient le directeur musical de l’Orchestre National de France, c’est un bonheur pour la Roumanie et pour la France. Tout comme ce fut un bonheur le week-end dernier de lire toute une série d’articles dans les pages des journaux français sur des écrivains roumains récemment traduits. Le « nobélisable » Mircea Cărtărescu avec « Melancolia », le roman initiatique de Bogdan-Alexandru Stănescu « L’enfance de Kaspar Hauser » ou le roman classique de l’immense Mihail Sebastian « La ville aux acacias ».
Il y a un lien très fort, historique et culturel entre nos deux pays, nos deux cultures. Comment se matérialise-t-il concrètement aujourd'hui à la vue de la signature l'année dernière d’une nouvelle Feuille de route du Partenariat stratégique entre nos deux pays ?
Ce Partenariat stratégique a été mis en place en 2008. C’est un document très important, qui définit les lignes de force de notre coopération sur le plan bilatéral mais aussi au sein de l’Europe et des organisations internationales. Comme je le mentionnais, en 2018, une Déclaration politique a été signée par les Présidents Emmanuel Macron et Klaus Iohannis à l’occasion de la présence en France du Chef de l’Etat roumain, pour l’inauguration de la Saison culturelle Roumanie-France. Un nouveau pas dans le développement de nos relations a été franchi l’année dernière, fin octobre, avec la signature à Paris, par les deux premiers ministres, de la Feuille de route actualisée du Partenariat Stratégique bilatéral. Ce document, qui présente en détail les priorités de notre coopération dans tous les domaines d’intérêt commun – politique, économique, culturel, etc. – marque un changement, je dirais, qualitatif dans les relations roumano-françaises, déjà très riches et profondes. Il confère une dimension plus stratégique à notre dialogue, aussi bien sur le plan bilatéral que sur le plan européen, où nos positions convergent dans de nombreux dossiers, et ce à un moment où la France se prépare à assumer la Présidence du Conseil de l’Union Européenne, au premier semestre de l’année prochaine.
La Roumanie ne fait toujours pas partie de l'espace Schengen. Quelles sont, selon vous, les perspectives d'une future adhésion ?
Il est, tout d’abord, essentiel de rappeler que la Roumanie a parcouru toutes les étapes nécessaires et remplit, depuis plusieurs années déjà, les conditions d’adhésion à l’espace Schengen. A présent, mon pays applique la majorité des dispositions de l’acquis Schengen et contribue donc de facto à la sécurité de cet espace, en protégeant avec responsabilité la frontière extérieure de l’Union Européenne sur plus de 2000 km. De plus, la Roumanie a choisi de participer à tous les nouveaux instruments de sécurité qui sont en cours d’être créés au niveau européen et qui sont destinés à renforcer l’espace Schengen – le système d’entrée-sortie, l’interopérabilité etc. La finalisation du processus d’adhésion est un objectif majeur pour mon pays, qui va donc poursuivre les efforts en ce sens. Comme vous le savez, les évolutions du contexte migratoire et de sécurité après 2015 ont appelé un débat au niveau européen en vue de consolider le fonctionnement de l’espace Schengen. La Roumanie est pleinement engagée à contribuer à cette réflexion. Par ailleurs, la crise que nous traversons nous a appris à quel point nous dépendons les uns des autres. Ainsi, nous nous sommes très vite rendu compte qu’il était vital de soutenir la relance de toutes nos économies pour éviter un effet de domino, que l’on partage ou non une même monnaie, tout comme il s’est rapidement avéré nécessaire de se coordonner à 27 sur les restrictions de voyage, mais aussi pour permettre la mobilité des travailleurs au profit des secteurs économiques, comme l’agriculture, dont l’activité devait continuer. Cette expérience nous a montré, une fois de plus, que le marché intérieur et la libre circulation ne peuvent en réalité se distinguer. Un espace Schengen pleinement intégré est essentiel pour garantir un marché unique consolidé. Et l’enjeu est de taille, notamment à un moment où nous devons renforcer la compétitivité et la résilience de l’économie européenne. La Roumanie compte sur l’appui de la France pour rejoindre l’espace Schengen et j’ai été traversé par un sentiment d’optimisme lorsque j’ai lu un texte très intéressant du Secrétaire d’Etat Clément Beaune dans lequel il parlait, pour l’avenir, d’une superposition de plus en plus nette du Marché unique lui-même, de l’espace Schengen qui s’élargit et de la zone euro.
Comment avez-vous personnellement vécu cette période de crise sanitaire et de confinement ? Etes-vous confiant pour l’avenir ?
Le premier confinement a été le plus compliqué, car les choses évoluaient rapidement. Notre première priorité a été de répondre aux très nombreuses demandes venant de la part des ressortissants roumains vivant en France qui voulaient soit rentrer très vite chez eux, soit avaient des doutes sur la continuité de leur emploi en France, soit des étudiants eux aussi inquiets etc. Les premiers jours, nous recevions quotidiennement plus de mille appels et messages ! Nous avons créé, outre les lignes téléphoniques habituelles, une ligne spéciale, une adresse mail dédiée, nous avons mobilisé toutes nos équipes consulaires et diplomatiques pour essayer de répondre à toutes les questions. Et ici, je dois dire un grand merci à la communauté roumaine de France. Nous avons lancé un groupe sur un réseau social avec les responsables de la communauté roumaine de France, que ce soit des représentants d’associations, de formations politiques, de cultes religieux et nous nous sommes tenus informés tous les jours, nous avons agi ensemble pour résoudre les cas les plus délicats, et je suis encore très ému lorsqu’un moment ou un autre de solidarité me revient en mémoire. Comme par exemple, ce geste d’un compatriote qui est venu nous apporter à l’ambassade, au tout début de la crise, alors qu’il y avait partout une pénurie de masques, quelques dizaines de masques pour que les collègues qui travaillaient au service consulaire (car nous avions maintenu un service consulaire d’urgence) puissent se protéger.
Et puis, bien sûr, la vie diplomatique en tant que telle a changé, elle est passée du présentiel aux réunions en ligne. C’est là où je peux avouer que j’ai ressenti durement l’impact de la pandémie, car la vie d’un diplomate est faite de beaucoup de contacts, de rencontres… et puis toutes les activités culturelles que l’ambassade organise normalement à l’Hôtel de Béhague, ont dû bien sûr être annulées ou transférées en ligne. Nous avons quand même la chance d’avoir à l’Ambassade un grand et beau jardin, ce qui nous a permis de nous sentir moins à l’étroit. Quant à l’optimisme, oui, il est là, davantage par rapport à il y a six mois. Nous avons à présent un vaccin, des vaccins, ce qui est une chance extraordinaire, la meilleure chance que nous ayons de revenir rapidement à une vie normale.
Des événements, des dates importantes que vous aimeriez présenter à nos lecteurs ?
Nous avons de beaux projets pour 2021 avec nos collègues de l’Institut Culturel Roumain, et j’espère que la situation sanitaire s'améliorera pour pouvoir les organiser comme il faut. Les premiers ministres roumain et français ont décidé au mois d’octobre dernier de déclarer cette année « l’année Enescu », car nous voulons marquer le 140ème anniversaire de la naissance du compositeur et la 25ème édition du célèbre festival de musique de Bucarest qui porte son nom. L'année 2021 marque en même temps plusieurs dates importantes : le 145e anniversaire de la naissance de Constantin Brâncuși, le 110ème anniversaire de la naissance d’Emil Cioran et 115 ans depuis le premier vol réalisé par Traian Vuia à Montesson, près de Paris.
Un autre projet qui me tient beaucoup à cœur est le Grand Prix du Groupe des ambassadeurs francophones de France (GAFF), que je préside. Nous organiserons au printemps, en partenariat avec l’Académie française, la cérémonie de remise de ce prix, pour sa deuxième édition.
Nous essaierons également de reprogrammer de nombreux évènements qui ont été reportés ou annulés en 2020, dès que les conditions sanitaires le permettront. Par exemple, le défi Paris - Bucarest à vélo, un projet ambitieux de l’association Casiopeea, placé sous le haut patronage du Ministère français chargé des Sports, et dont l’ambassade est partenaire.
Nous allons aussi poursuivre nos efforts pour la coopération dans les industries culturelles et créatives. C’est encore une démarche conjointe, française et roumaine, et je tiens à saluer tout le travail des autorités roumaines dans différents ministères et aussi celui de l’ambassadrice de France à Bucarest, Laurence Auer, qui s’était déjà énormément impliquée dans la réussite de la Saison Roumanie-France, lorsqu’elle était à Paris, au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères.
Je dois, en même temps, l’avouer très sincèrement : quoi que l’on fasse, chaque initiative, chaque action n’auront l’impact escompté que si les médias s’en font l’écho. C’est pour cela aussi que je veux remercier le Petit Journal.com de Bucarest et vous-même pour tout ce que vous faites pour montrer le dynamisme de notre relation sur tellement de plans. LePetitJournal.com de Bucarest, qui a connu une hausse considérable d’audience ces dernières années, est l’une de mes premières lectures du matin. Je vous assure que ce n’est pas seulement par obligation professionnelle, mais pour le plaisir de découvrir toujours de nouvelles facettes, idées, personnes qui incarnent jour après jour la relation entre la Roumanie et la France.