De ses périples en Roumanie, Grégory Rateau, écrivain, réalisateur et scénariste français, a voulu en faire un livre. Rencontres, sensations, expériences... tout est raconté dans ce récit de voyage en lice pour le prestigieux prix Pierre Loti qui récompense chaque année le meilleur récit de voyage. Déjà disponible à la librairie française de Bucarest Kyralina et dans toute la France, Hors-piste en Roumanie, récit du promeneur est un livre qui permet de découvrir en profondeur une Roumanie difficilement accessible. Son auteur vit aujourd'hui à Bucarest et Lepetitjournal.com/Bucarest l'a rencontré.
Lepetitjournal.com/Bucarest - Hors-piste en Roumanie, récit du promeneur est un livre difficile à classifier. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre démarche en tant qu'écrivain ?
Grégory Rateau - Je suis arrivé en Roumanie il y a un an et demi avec ma fiancée, qui est Roumaine et Libanaise, pour mener des enquêtes dans plusieurs régions du pays. Ce travail aurait dû aboutir à une série de documentaires, mais le projet est finalement tombé à l'eau. Il m'est resté de ces voyages l'envie de raconter les premières perceptions que j'ai eues en découvrant ce pays. Le fait d'utiliser la première personne est venu assez naturellement, car je me suis senti comme un expatrié qui cherche dans son exil à se retrouver. La littérature m'a toujours aidé dans les moments difficiles.
Ces premières perceptions du voyageur, dont vous parlez, peuvent être très diverses. Comment avez-vous fait pour les ordonner dans votre livre ?
J'ai essayé de coucher sur le papier le plus rapidement possible tous les endroits que j'ai pu découvrir et les rencontres que j'ai pu faire, mais aussi mes états d'âme. Je pars d'expériences vécues comme le faisait mon écrivain voyageur préféré, Nicolas Bouvier, ces expériences sont liées à un événement, un lieu ou à une sensation, et je les développe grâce aux outils de la littérature. Je repense à une phrase de cet auteur: "Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui même. On croit qu'on va faire un voyage mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait." Je me suis donc laissé porter au gré des évènements, des rencontres. On retrouve par exemple certaines réflexions sur le deuil. J'ai construit ce livre en petits chapitres, dans lesquels on aborde tout type de sujet, une forme "de textes métro" pour reprendre les propos d'un critique sur mon livre. En un mot, j'invite le citadin pressé à me suivre pour le détourner de son quotidien balisé.
Donc vous vous racontez dans votre livre, vous n'inventez rien?
Je ne crois pas à la fiction, tous les écrivains se racontent même s'ils se dissimulent habilement derrière des personnages ou des situations fantasmées. Ecrire c'est vivre deux fois, on ne peut vivre deux fois de suite la même chose même par le souvenir. Notre mémoire nous joue des tours ou nous décidons volontairement ou pas de dessiner d'autres contours au réel.
Quelle idée de la Roumanie aviez-vous avant d'écrire ce livre ?
Je suis venu plusieurs fois, mais à chaque fois lors des vacances, donc ma vision de la Roumanie était un peu idéalisée. J'ai toutefois voulu être honnête, car mon envie d'écrire est partie de déconvenues suivant ainsi les conseils de Cioran qui disait, non sans l'ironie que nous lui connaissons: "On ne devrait écrire des livres que pour dire ce que l'on aimerait confier à personne..."Je dois dire d'ailleurs que j'aurais pu rester avec une image assez négative de ce pays. Mais le fait de raconter et de me raconter, m'a sauvé. J'ai ainsi pu découvrir une Roumanie authentique. J'ai aussi été sauvé par mes lectures roumaines, comme l'ensemble de l'oeuvre de Panait Istrati. Raconter la Roumanie à travers mes voyages était donc aussi une façon de lui rendre hommage.
Comment conseilleriez-vous aux Français de découvrir cette Roumanie que vous décrivez dans votre livre ?
De fréquenter les Roumains et d'assister à des grands moments religieux comme Noël ou Pâques. Il faut accepter les invitations à des barbecues et ne pas hésiter à aller dans des petits troquets pour partager une discussion. La barrière de la langue n'est pas infranchissable. Je ne parle pas très bien le roumain, mais autour d'un verre de tuica, on arrive toujours à se débrouiller. Il existe un langage universel. L'important est d'aller à la rencontre des gens et cela nécessite de découvrir la campagne roumaine, cet endroit hors du temps où l'on réapprend à voir et à écouter. Il est plus difficile de fraterniser avec des inconnus à Bucarest, d'être dans cette contemplation nécessaire pour ralentir son rythme de vie et tisser des liens essentiels avec les êtres et les choses qui nous entourent.
La Roumanie aujourd'hui, en quelques mots ?
Je trouve qu'il y a beaucoup de solidarité, mais aussi une sorte de découragement. Emil Cioran en parlait déjà très bien. Les Roumains sont découragés parce qu'ils ont été mis de côté pendant longtemps. Et même si aujourd'hui ils ont accès à la société occidentale, il reste une certaine honte, très présente chez ceux qui s'exilent. Pour ceux qui restent, par contre, je trouve qu'il y a un fort attachement au territoire. En fait, il y a un rapport d'amour et de haine évident, car les Roumains sont très patriotes et ils ne veulent pas ressembler forcément aux autres pays européens. Nous, les Français, nous sommes plutôt dans l'auto-critique et le rapport à notre pays n'est pas toujours aussi passionné même si les choses peuvent changer à tout moment. Je constate aussi qu'il y a des retours en Roumanie, des jeunes qui décident de rentrer chez eux et cela malgré toutes les difficultés pour essayer de construire avec leur peuple un avenir plus lumineux pour ce pays.
Qu'avez-vous fait avant d'arriver en Roumanie?
J'ai réalisé des courts-métrages, dont un à Tripoli, en 2005. A cette époque, le Liban était dans une situation difficile, des groupes armés se tiraient dessus tout le temps. Ça a été une expérience difficile à vivre. Ce film a beaucoup voyagé dans les festivals, il a même été projeté à Cannes et acheté par la BBC. En parallèle, j'ai écrit des scénario pour le cinéma et j'ai enseigné cette matière, j'ai aussi animé des ciné clubs à la filmothèque du quartier Latin, à La Pagode et dans un cinéma à St Germain des près à Paris ce qui m'a permis de rencontrer les plus grands cinéastes et d'apprendre auprès d'eux. On ne cesse jamais d'apprendre.
Propos recueillis par Jonas Mercier
Hors-piste en Roumanie, récit du promeneur - L'Harmattan, 2016, Grégory Rateau