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MIREL BRAN - La légèreté d'être des Roumains

Mirel Bran journaliste le monde RFI RoumanieMirel Bran journaliste le monde RFI Roumanie
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 26 août 2019, mis à jour le 29 août 2023

La Roumanie fait beaucoup parler d'elle en ce moment. Nous sommes allés à la rencontre du correspondant du journal Le Monde, le journaliste Mirel Bran, pour nous éclairer sur ce qui fait l'essence du peuple roumain. Mirel Bran est aussi l'auteur des livres "Les Roumains", "Bucarest, le dégel" et "La Roumanie, 20 ans après".

 

 

Grégory Rateau: À la frontière de l'Orient et de l'Occident, entouré de pays slaves, qu'est-ce qui caractérise, selon vous, le peuple roumain?

Mirel Bran: Les Roumains sont un peuple de frontières qui a longtemps vécu en marge des grands empires. Ils ont développé des stratégies de survie qui peuvent étonner les Européens de l'Ouest. Le système D est roi dans ce pays qui a traversé une des dictatures les plus féroces de l'ancien bloc communiste. L'avantage de ce profil psychologique est de montrer une grande flexibilité face aux problèmes de la vie quotidienne et une certaine légèreté de l'être. Les Roumains excellent dans l'art de perdre du temps. C'est une qualité rare et un atout important dans un monde qui va de plus en plus vite vers quelque chose qui nous échappe. Être en paix avec sa paresse est une qualité précieuse pour les temps à venir.

 


D'autres pays de l'Europe de l'Est ou de l'Europe Centrale, comme la Pologne, la République Tchèque ou la Hongrie ont connu, comme la Roumanie, le joug du communisme. Pourtant aujourd'hui, ces pays se portent mieux que la Roumanie. Croyez-vous que ce soit de la seule faute de ses dirigeants ?

J'entends souvent cette question. Il faut simplifier pour comprendre. On a décidé de créer des frontières imaginaires en Europe. On a l'Europe occidentale, riche, développée, puissante, civilisée, et on a l'Europe centrale - Pologne, République Tchèque et Hongrie- une Europe qui a intégré le modèle occidental, donc fréquentable. Et on a la Roumanie, la Bulgarie et cette nébuleuse qu'on appelle les Balkans. Là on commence à s'y perdre, on avance sur du sable mouvant. Au niveau géographique, la Roumanie est située aux confins orientaux de l'Union européenne. Au niveau des mentalités, elle se trouve au carrefour entre l'Occident et l'Orient. Vous me demandez pourquoi les pays de l'Europe centrale se portent mieux que la Roumanie. À mon tour je vous demande : qu'est-ce qui vous fait croire que ça va mieux à Budapest, à Prague ou à Varsovie qu'à Bucarest ? Quand on voit le sursaut démocratique de la société civile roumaine qui dit « non » à la corruption en manifestant jour et nuit sur la place publique, on a plutôt envie d'être à Bucarest aujourd'hui.

 


En tant que correspondant du journal Le Monde en Roumanie, vous avez suivi de près la vague des manifestations dans le pays. Croyez-vous que cet évènement a changé l'image que l'on a des Roumains à l'étranger ?

Cette histoire d'image des Roumains à l'étranger m'exaspère un peu. Tout le monde m'en parle, surtout les Français qui viennent investir et vivre en Roumanie. Ils me demandent : « Que faut-il faire pour changer l'image des Roumains à l'étranger ? » Et je leur réponds : « rien ». L'image de la Roumanie à l'étranger changera quand les Roumains eux-mêmes changeront leur image. C'est comme ça que ça marche. Vous pouvez mettre tout le PIB de la Roumanie dans une campagne publicitaire pour améliorer l'image du pays à l'étranger, ça ne marchera pas. Nous n'avons pas besoin d'argent pour ça, il suffit d'un déclic, et seuls les Roumains en sont capables. Les manifestations contre la corruption que l'on observe depuis début février dans toute la Roumanie sont le signe qu'un tel processus a commencé. Ces mouvements de protestations ne posent pas des questions politiques mais des questions identitaires. En sortant dans la rue, les Roumains se définissent eux-mêmes comme un peuple exemplaire. C'est un phénomène historique dans un monde en perte de repères.

 


Beaucoup d'intellectuels parlent du fatalisme qui serait un trait caractéristique des Roumains. Pensez-vous que la nouvelle génération peut se défaire de ce trait de caractère ?

J'ai 53 ans. Ma génération a vécu le fatalisme dont vous parlez comme une maladie. Que dire de la génération de mes parents qui s'était jetée corps et âme dans l'utopie communiste ? Le communisme et le fatalisme qu'il a engendré ont été une tragédie pour les Roumains. Créer l'enfer sur terre au nom du paradis, c'est cela que nos parents ont vécu. Ma génération a tenté d'échapper à cette malédiction, mais nous n'avons pas réussi. C'est la génération de mon fils qui y parviendra. Je fais confiance à ces jeunes roumains qui sont en train de donner une leçon de démocratie à une Europe en proie aux nationalismes et aux extrémismes.

 


Justement, pensez-vous que les vagues de repli identitaire et de nationalisme qui déferlent sur l'Europe et le monde aujourd'hui, arriveront aussi en Roumanie ?

Le nationalisme et le repli identitaire que l'on constate aujourd'hui en Europe et dans le monde ont été vécus en Roumanie dans les années 1990. C'était une réaction prévisible dans un pays qui a connu l'une des dictatures les plus dures dans le monde. Aujourd'hui, la Roumanie est à l'abri de ces phénomènes. En 2014, les Roumains ont élu un président d'origine allemande. Est-ce qu'on peut imaginer les Français installer Angela Merkel à l'Elysée ? Les Roumains ont connu la folie de la dictature puis ils ont senti les bénéfices d'une société ouverte. L'adhésion à l'Union européenne a été une véritable révolution pour un peuple qui avait du mal à retrouver ses repères. Évidemment, personne n'est à l'abri du repli identitaire et du nationalisme dans un monde qui déraille chaque jour un peu plus. C'est justement dans cette cacophonie mondialisée que la Roumanie tente de faire entendre la voix de la raison. Qu'elle y parvienne ou non est une autre histoire, mais je crois que ça vaut la peine d'essayer. C'est cela qui permettra à nos enfants d'être fiers de leurs parents.

 

grégory rateau
Publié le 26 août 2019, mis à jour le 29 août 2023

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