« DISCO BTT: Expoziție Multimedia », est une exposition insolite sur les discothèques communistes en Roumanie, qui jette un éclairage tout à fait inédit sur cette époque très controversée. Cela a tout particulièrement éveillé l'intérêt du LePetitJournal.com de Bucarest qui est allé à la rencontre de Iulia Rugină, réalisatrice, en charge du concept de l’exposition, pour comprendre un peu mieux cette atmosphère particulière. Si comme nous, vous vous demandez s'il était possible de faire la fête sous Nicolae Ceaușescu, cet article est fait pour vous.
crédit photo : Adi Marineci
LePetitJournal.com de Bucarest: Comment cette idée d’exposition sur la thématique des discothèques communistes vous est-elle venue?
Iulia Rugină : Il y a deux ans, je réalisais un film de fiction où il y avait un personnage qui était DJ à Disco Ring Costinești. L'action se déroulait pendant la période communiste, et parce que j’avais besoin de certains objets pour le mise en scène, l’idée m’est venue de contacter Sorin Lupașcu, qui avait été lui aussi DJ pendant le communisme et qui possédait une collection impressionnante de cassettes et de bandes audio. Du coup, en plus des objets, il nous a fourni pas mal d’histoires.
Dans vos recherches pour cette exposition, qu’est-ce qui vous a le plus frappé?
C’est le fait que les gens qui venaient à ces discothèques n’en avaient pas une perception négative ou un sentiment de contrainte, car la discothèque durant le communisme était en effet un endroit où on pouvait être soi-même et surtout se réjouir d'écouter de la musique. Une musique à peine accessible, qui nous venait de l'étranger.
Comment les autorités communistes voyaient ces discothèques?
Il n’y avait aucune résistance communiste, au contraire, c’était justement les autorités qui, par leurs différents programmes pour la jeunesse, s’occupaient de la mise en place de ces discothèques: elles étaient le produit du système qui les soutenait. Rien d’underground dans le fond; ils y avaient les équipements adaptés et des employés qui s’en occupaient.
La nouvelle génération serait tentée de croire que la discothèque communiste devait être sous contrôle, un lieu prohibé et dissimulé. Quelles différences constatez-vous entre les discothèques contemporaines et celles de cette période?
De nos jours, il s’agit plutôt de sortir en boîte pour boire, consommer, c’est ça le but en quelque sorte: ce qu’on boit et avec qui. Or à cette époque, c’était tout le contraire, on y allait seulement pour la musique et cette différence est de taille. Il est bien évident que les discothèques de l’époque n’étaient pas si nombreuses comme les boîtes de nuit d’aujourd’hui, mais personne ne te persécutait pour le simple fait de danser. La tâche la plus difficile reposait donc sur les épaules du DJ, qui devait s'approprier la musique; ce n’était pas comme de nos jours, où tous les sons sont disponibles sur Google et Youtube. Ainsi, le DJ était un intermédiaire entre le public et la musique étrangère, par des moyens plus ou moins légaux. Par exemple, ils donnaient de l’argent à un pote pilote, sportif ou bien hôtesse de l’air, en leur demandant d’acheter des disques audio, ce qui n’était pas du tout illégal, mais après, cette musique était copiée sur des bandes magnétiques, on la multipliait et on la distribuait. C’était un vrai réseau de transmission de la musique. Mais l’accord du Parti s’imposait afin de diffuser certaines chansons car ils avaient peur que les paroles aient des messages instigateurs. Ainsi, les chansons étaient contrôlées, traduites et approuvées par le Parti Communiste.
C’était aussi le Parti qui décidait des horaires d'ouverture de ces discothèques?
En général, entre 13h et 15h, c’était le programme du jour, les gens s'y rendaient en rentrant de la plage, et ils dansaient en maillot de bain. Une pause était programmée ensuite et on recommençait à partir de 18h jusqu’à 22/23h.
Quel genre de musique était diffusée? Quelles étaient les tendances en dehors de la musique occidentale?
Les DJ s’inspiraient des revues de spécialité de l’étranger, ils suivaient les hits du moment, mais on promouvait aussi la musique roumaine, plusieurs artistes chantaient en live dans les discothèques. Ainsi, on dansait sur du Michael Jackson, du Modern Talking, sur Madonna et ABBA, on dansait aussi sur du blues. Et surtout, à l’époque le DJ entrait en contact direct avec le public, s’adressait aux gens, annonçait la chanson, l’album et donnait des infos sur l’artiste (ce qu’il lisait dans les revues de contrebande). C’était le seul moyen que les gens avaient pour apprendre un tout petit peu de choses sur les artistes. Or, être DJ aujourd’hui signifie quelque chose de tout à fait différent selon moi.
Vous considérez donc ce phénomène de contact direct avec la musique et le public comme une sorte d’éducation musicale?
Tout à fait, ma sensation- parce que je n’ai pas vécu à cette époque- est que c’était plutôt une ouverture par la musique, contrairement à nos jours, avec l’explosion d'Internet et toute la technologie qui va avec. Se procurer une chanson, ça n’a rien de précieux à présent, or, pendant le communisme, on écoutait des artistes sans les voir, et on pouvait découvrir par exemple après des années, que c’était un homme et pas une femme (rire). Ma mère me racontait que lorsqu’elle a vu les membres de Deep Purple, elle a commencé à pleurer, car, dans sa tête, elle les concevait de façon totalement différente. Cela apportait une pointe de magie et une autre façon de se rapporter à la musique.
Vous me disiez que ce sujet est quelque chose qui vous tient à coeur. A part cette exposition que vous venez d’organiser, avez-vous d'autres projets qui vont dans ce sens?
On voudrait réaliser un documentaire, car ces histoires ne sont écrites nulle part, mais c’est un travail assez difficile, puisqu’il implique des recherches de journalistes et des enquêtes d’investigation. C’est pour cette raison que j’aime beaucoup participer à l’exposition, car il y a beaucoup de gens qui viennent ici et racontent leurs histoires. J'apprends beaucoup à leur contact.