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De la Roumanie à l’Eure-et-Loir, la réussite d'un étudiant roumain

Florian Voinea EssecFlorian Voinea Essec
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 9 novembre 2020, mis à jour le 16 juin 2023

Notre rédaction est allée aujourd'hui à la rencontre d'un brillant étudiant roumain vivant en France, Florian Voinea. Ce jeune homme ne parlait pas un mot de français au moment de son arrivée, et en quelques années seulement, il a franchi tous les obstacles pour intégrer une prestigieuse école de commerce.

 

Grégory RATEAU: Parlez-nous un peu de votre départ de la Roumanie pour la France. Comment s'est passée votre intégration au tout début?

Florian VOINEA: Ma mère est chirurgienne-dentiste, nous sommes arrivés en France en août 2012 suite à une opportunité professionnelle. Il y avait une différence radicale entre la réalité et ce que j’imaginais de la France et de ma future vie ici. Mon intégration n’a pas été facile ni rapide. J’ai commencé à véritablement me sentir intégré uniquement au lycée, soit 3 ans après mon arrivée en France.

 

Pourquoi seulement au lycée?

J'avais du mal à comprendre le langage quotidien, les activités et les préoccupations de mes camarades de classe. Je sentais tout simplement que nous ne faisions pas partie du même monde. Ma timidité à l'époque ne m'a pas aidé. De plus, j''avais tendance à "vivre dans mon propre monde", un peu déconnecté de la réalité.

 

Les Français avaient-ils des a priori du fait que vous soyez roumain?

Il y a un grand contraste entre le soutien inconditionnel de la communauté locale et certains incidents isolés plus sensibles. Je ne peux pas généraliser. J’ai passé mes deux premières années en milieu rural. Les habitants de là-bas n’avaient pas forcément des a priori quant à ma nationalité. Beaucoup ne connaissaient rien à la Roumanie, dans un office postal, on a même demandé à ma mère si le nom « Roumanie » marqué sur sa carte d’identité était son prénom. Une autre fois, on lui avait demandé si la Roumanie se trouvait en Europe. D'autres Français avaient cependant une image négative de la Roumanie, et je pense qu’ici notamment il y a pas mal de clichés associés à l’immigration économique. D’un autre côté, ma mère et moi avons bénéficié du soutien total et inconditionnel de la part communauté locale et notamment de l’administration municipale, pour faciliter notre intégration (professionnelle pour ma mère, scolaire pour moi). Nous leurs sommes entièrement reconnaissants, nous ne serions pas arrivés là sans eux.

 

Vous ne parliez pas le français en arrivant. Comment avez-vous fait pour rattraper le retard par rapport aux autres élèves?

J’avais fait un mois de cours intensifs de français en juillet 2012 pour préparer mon arrivée. Cela m’a permis d’apprendre la structure de la langue mais cela s'est révélé insuffisant et j’avais de très grandes lacunes en termes de vocabulaire et de grammaire. Dès la rentrée et jusqu’au moment où ma mère a commencé son activité professionnelle en octobre, elle reprenait avec moi à la maison tout ce que j’avais fait au collège dans la journée. On faisait les devoirs en roumain et ensuite on les traduisait plus ou moins bien en français. En plus de cela, un camarade de classe français (dont la sœur avait fait des études en médecine dentaire à Iasi) me donnait les devoirs à faire tous les soirs car, au tout début, je n’arrivais même pas à comprendre ce qu’il fallait faire pour le lendemain! Pour m’aider, l’épouse du maire du village, ancienne institutrice, m’a donné quelques cours de français. Par contre, durant cette période, je n’ai pas véritablement senti de soutien de la part du corps professoral : ils me traitaient comme un élève parmi d’autres. J’avais cependant une avance notable en mathématiques et en langues étrangères (anglais et allemand) par rapport aux élèves français. Cela m’a permis de combler mon retard initial en français et même d’avoir de très bons résultats généraux. Suite au premier conseil de classe, la directrice du collège a directement proposé à ma mère de me soutenir avec des cours supplémentaires de français, assurée par une professeure du collège. J’ai continué ma collaboration avec elle pendant 2 ans, et cela a été très utile pour moi. Par ailleurs, pour anecdote, c’est elle qui m’a fait prendre connaissance du système des grandes écoles.

 

Comment percevez-vous la Roumanie aujourd'hui, avec le recul?

Ma perception de la Roumanie a énormément évolué depuis mon arrivée en France. Pendant longtemps, ma vision de la Roumanie a été construite par contraste, voire par opposition. Pendant mes trois premières années en France, j’étais nostalgique de la Roumanie. Souvent, je regrettais de l’avoir quittée. Mais je savais qu’il n’y avait pas de retour en arrière possible. Ma perception s’est inversée lorsque j’ai commencé à me sentir intégré en France. En ayant grandi, et grâce à l’enseignement français, j’ai découvert certaines valeurs qui ne m’auraient pas été inculquées en Roumanie, dont notamment la laïcité, l’égalité, l’antiracisme, l’éco-responsabilité. A partir de ce moment, j’avais tendance à mépriser la Roumanie comme étant un pays arriéré aux valeurs archaïques. Cette vision était sans doute trop radicale et elle cohabitait avec une vision idéalisée de la France. Ce n’est qu’en approchant de la majorité, et notamment lorsque j’ai obtenu la nationalité française en février 2018 que j’ai véritablement compris que mes deux identités, roumaine et française, n’étaient pas opposées mais complémentaires. Cette double identité m’enrichissait et faisait de moi un être pluriel. De plus, en mûrissant et en élargissant ma vision du monde, ma perception des deux pays a commencé à être beaucoup plus réaliste. J’ai appris qu’aucune société et qu’aucun système n’était parfait.

 

La France vous offre-t-elle des chances que la Roumanie n'aurait pas pu vous offrir?

Le système d’études avec classes préparatoires et grandes écoles est spécifique à la France, il s’agit d’un système peu connu à travers le monde mais très apprécié pour sa qualité par ceux qui le connaissent. Il n’a pas d’équivalent en Roumanie. D’un autre côté, je n’ai pas personnellement connu les études supérieures en Roumanie, donc je m’abstiens de comparer les deux systèmes en détail. Par ailleurs, nombre de personnes formées en Roumanie ont fait des carrières brillantes partout dans le monde, dans tous les domaines. De mon point de vue, deux aspects essentiels manquent au système roumain par rapport au système français. Premièrement, le système éducatif roumain est presque exclusivement axé sur la théorie et la mémorisation au détriment de la pratique, presque inexistante. Cela est valable à tous les niveaux, du primaire au supérieur. A titre d’exemple, le système français permet de faire des stages de découverte dès la dernière année de collège et pendant le lycée. Deuxièmement, le système éducatif roumain est excessivement concurrentiel et impose trop de travail et de pression aux enfants dès l’école primaire. Souvent, cela n’offre que peu d’opportunités aux élèves d’un moins bon niveau de trouver leur place. La France, au contraire, offre des formations variées à tous les niveaux.

Je considère que la France m’a indubitablement offert des opportunités extraordinaires mais je suis aussi reconnaissant à la Roumanie pour avoir formé mes toutes premières bases durant mon enfance, sans lesquelles je n’aurais pas aussi bien réussi en France. Je considère aussi que les « chances » dépendent de beaucoup plus de éléments que le pays d'origine.

 

Vous avez fait votre rentrée dans une des écoles de commerce les plus prestigieuses de France : l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC). Comment s'est passée cette rentrée un peu particulière avec la pandémie?

La pandémie m’a pris totalement au dépourvu au mois de mars, soit quelques semaines avant les concours. Les deux mois de confinement, dans l’incertitude et sous la pression des concours qui allaient être reportés, n’ont pas été faciles. Mais je me suis vite adapté à la nouvelle situation, déterminé à réussir. J’ai pris le bon côté des choses et j’ai considéré le temps supplémentaire comme une chance pour me préparer davantage. Ma prépa à Notre-Dame du Grandchamp (Versailles) a très bien su organiser notre télé-apprentissage, et j’ai pu ressentir un très fort support émotionnel de la part de mes professeurs tout au long du confinement et du concours. Finalement, le format des concours a été adapté à la pandémie, et j’ai passé mes concours en présentiel deux mois plus tard que prévu. J’ai eu mes résultats au début du mois d’août, et j’ai ressenti mon admission à l’ESSEC comme une grande victoire et l’aboutissement de tous mes efforts depuis mon arrivée en France.

J’ai commencé le programme grande école dès septembre. De mon point de vue, l’ESSEC a globalement bien su gérer la situation sanitaire en alternant cours en ligne et en présentiel. Je suis agréablement surpris par l’ensemble des séminaires, des apprentissages et de la vie associative de mon école, et surtout par la complexité et la diversité des formations et perspectives professionnelles qu’elle offre.

 

Un retour au pays serait-il envisageable après vos études?

Pour être honnête, je n’envisage pas de retourner en Roumanie, mais j'y vais en moyenne une fois par an et je le fais toujours avec grand plaisir. Je considère que le contexte actuel en Roumanie ne pourrait pas m’offrir une opportunité d’épanouissement par rapport à mes attentes. Sans généraliser et tout en restant objectif, je pense aussi à beaucoup de Roumains qui, animés par le rêve de retourner dans leur pays natal pour changer les choses, ont été déçus par la froideur voire même le mépris avec lequel ils ont été accueillis à leur retour et par la difficulté à matérialiser leurs projets. Mais, quand même, je reste ouvert à toute opportunité : après tout, mon arrivée en France, avec toutes ses conséquences, a été une opportunité imprévisible.

 

grégory rateau
Publié le 9 novembre 2020, mis à jour le 16 juin 2023

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